Quelles sont les raisons de la présence et des prêts de la Chine en Afrique ?

mercredi 9 août 2023.
 

Peu avant les années 2010 la Chine est devenue le premier partenaire commercial de l’Afrique devant les États-Unis et l’Europe [1]. Depuis plusieurs années, cette progression chinoise en Afrique se poursuit et va en s’amplifiant [2]. Entre 2000 et 2020, les institutions financières chinoises ont signé 1 188 engagements de prêts d’une valeur de 160 milliards de dollars avec 49 gouvernements africains, leurs entreprises publiques et cinq organisations multilatérales régionales [3].

Les médias parlent de prêts sans concession faits à taux avantageux, car souvent garantis par des matières premières dont le continent africain ne manque pas. Désenchantés par des décennies de prêts du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale (BM) souvent conditionnés à des plans d’ajustement structurel et plus généralement à l’ingérence néocoloniale et impérialiste des pays du Nord global dans leurs économies, nombreux sont les pays du Sud global qui se tournent aujourd‘hui vers la Chine [4] pour leurs emprunts [5]. En effet, celle-ci promet des prêts plus avantageux et met surtout en avant une relation moins inégale et historiquement moins négative avec les pays africains que celle de l’Europe ou des États-Unis. Si sur le point historique, on ne peut lui donner tort, nous verrons que cette relation est pourtant fortement à l’avantage de la Chine et hautement critiquable.

Dans la troisième partie de cette analyse, il est question des raisons qui poussent la Chine à investir autant, à prêter autant aux États africains, et des alternatives proposées par le CADTM.

Sommaire

Pourquoi l’annulation des dettes détenues par la Chine n’est qu’une solution (...) Les raisons des prêts chinois sur le continent africain À l’instar de la plupart des autres états, la Chine recherche avant tout à garantir ses intérêts dans le jeu international

Les raisons des prêts chinois sur le continent africain

À l’instar de la plupart des autres états, la Chine recherche avant tout à garantir ses intérêts dans le jeu international. Que cela soit bon ou mauvais n’est pas la question ici, nous tenons simplement à rappeler et illustrer que derrière les discours officiels de coopération et de fraternité se cache souvent une autre réalité. Historiquement, Pékin a commencé à investir en Afrique dans un esprit de solidarité révolutionnaire et communiste, mais surtout pour pouvoir se faire des alliés sur la scène internationale. En effet, dans les années 60, après la création des principales institutions internationales (ONU, FMI, BM), la Chine de Mao avait peu d’alliés. C’est d’ailleurs là la clef de l’investissement chinois en Afrique, si la Chine se sert de l’Afrique du Nord et de l’est pour son projet de nouvelle route de la soie, cela n’explique que très peu sa présence dans le reste du continent. Sauf si l’on se rappelle de l’une des conditions des prêts chinois qui est le désengagement des relations diplomatiques avec Taïwan. Ainsi depuis les années 60, la Chine met un point d’honneur à isoler diplomatiquement Taipei et sa stratégie a été un succès puisqu’avec le récent abandon des relations diplomatiques entre le Burkina Faso et Taïwan, le seul État du continent à encore reconnaitre Taïwan est l’Eswatini (ex-Swaziland).

Mise à part cette mise en quarantaine de Taïwan, la Chine se sert régulièrement de ses investissements pour assurer des débouchés à ses nombreuses sociétés qui commençaient à se sentir à l’étroit sur le territoire chinois. Afin de maintenir une croissance forte (ce qui implique produire de plus en plus), la Chine s’est tournée vers le marché africain. De grandes compagnies chinoises de télécommunications telles que Huawei sont aujourd’hui très bien installées en Afrique. Ce sont encore de grosses entreprises chinoises de construction qui obtiennent les contrats pour réaliser les chantiers commandés par les pays africains grâces aux prêts chinois. Ici encore, rien de bien nouveau si on se rappelle les aides liées que les pays européens et notamment la France proposent depuis longtemps déjà aux pays africains. Un problème secondaire causé par cette façon de faire est que l’argent ne sort jamais de Chine, on appelle cela un prêt circulaire. Si ce n’est pas grave en soit, cela provoque néanmoins des dettes cachées puisque ces flux financiers sont plus compliqués à tracer, certains états africains mentent ainsi ou gardent secret le volume réel de leurs dettes afin de continuer à bénéficier de conditions de prêts plus avantageuses sur les marchés internationaux. En effet, quand un état est perçu comme ayant trop de dettes, les taux usuriers tendent à augmenter fortement. On notera aussi que ce système décourage l’emploi de mains-d’œuvre locales et plombe les entreprises nationales de construction qui ne sont pas employées pour ces travaux.

De plus, la Chine s’assure également une diversification de ses sources d’approvisionnement que ce soit en pétrole et gaz ou en minerais. Ainsi, si une source se tarit ou qu’un partenaire fait défaut ou même tente de faire pression, la Chine peut quasiment immédiatement le remplacer. De cette manière, elle augmente grandement sa résilience lors de crise des matériaux et des ressources par exemple.

La question du soft power est également importante, on remarquera qu’en 2021, il y avait en Afrique 56 instituts Confucius (instituts d’apprentissage de la langue chinoise et de promotion de la culture chinoise). Les échanges universitaires sino-africains tendent aussi à augmenter, la création d’instituts militaires financés et supervisés par la Chine également. La Chine cherche via cette présence, mais aussi grâce au poids de ses investissements, à gagner les votes africains dans les institutions internationales tels que l’ONU, l’OMC, la BM et le FMI. C’est également une manière pour la Chine de devenir une puissance « discursive » mondiale [6], de façonner les imaginaires et les narratifs comme les USA ou l’URSS n’ont pas manqué de le faire.

Nous insistons encore une fois sur le fait que le but de cet article n’est pas d’effrayer ni de créer un sentiment anti-Chine. Le genre de stratégie internationale mise en place par la Chine n’a rien de particulier ou d’atypique, les autres États tendent globalement à faire pareil, les États-Unis en tête. Nous nous efforçons simplement d’analyser et de déconstruire des discours grandiloquents parlant de fraternité, d’amitié, etc., qui cachent souvent des objectifs bien plus pragmatiques et parfois problématiques. Ceci étant dit, revenons sur le sujet principal de cet article.

Pourquoi l’annulation des dettes détenues par la Chine n’est qu’une solution incomplète

S’il est clair que soulager des états africains très endettés du poids de leurs dettes ne peut pas être une mauvaise idée, il faut cependant prendre l’ampleur du problème dans sa globalité. Le problème de la dette est un problème systémique [7] et il ne se règlera pas seulement avec une annulation partielle et unilatérale des créances chinoises en Afrique. En effet, la question de la responsabilité de chacun dans l’endettement africain est ici primordiale à poser. Que ce soit pour des raisons historiques (par exemple dette coloniale) ou via des interventions dévastatrices dans l’économie de pays (PAS et ingérence des IFI en général) [8] les pays du Nord global feraient bien d’analyser leurs propres responsabilités dans le pillage de l’Afrique par l’endettement plutôt que de sonner le tocsin par rapport au péril chinois. Ces différentes questions ont été plus largement traitées par le CADTM Afrique dans une étude commandée par le parlement européen et The Left [9]. Nous vous renvoyons donc à cette analyse pour un traitement global de cette question [10] et nous nous permettons de retranscrire dans cet article les conclusions de l’étude en question qui regroupe les alternatives viables et qui pourraient réellement faire une différence pour le continent africain [11]. Nous nous permettons néanmoins de citer succinctement les principales conclusions ci-dessous à savoir :

- Annuler les dettes et s’opposer aux conditionnalités des créanciers
- Procéder à un audit citoyen de la dette
- Poser des actes unilatéraux pour assurer une protection effective des droits humains
- Lever les brevets privés pour assurer un accès à la santé pour toutes et tous
- Mettre un terme aux dispositifs fiscaux inégalitaires
- Pour une politique d’endettement légitime auprès de banques socialisées
- Mettre en place de véritables politiques de réparation

Nous aimerions conclure en rappelant que n’importe quelles dettes, si elle ne sert pas la population, sont illégitimes, peu importe le créditeur. C’est en fait la logique de maximisation du profit et d’assujettissement des peuples à des créanciers peu scrupuleux qui est à dénoncer. La Chine, comme n’importe quel pays, semble avant tout chercher son avantage personnel et entre ainsi dans un rapport prédateur, eu égard à son actuelle puissance économique (financière incluse). Ainsi, depuis la crise Covid et dans la perspective d’une possible crise de la dette africaine qui en résulterait, la Chine se fait de plus ne plus en plus prudente sur les prêts qu’elle accorde et tends à sélectionner les partenaires aux économies plus solides [12]. La difficulté pour les pays du continent africain à accéder à des prêts ou des investissements soutenables les rend vulnérables à des logiques commerciales néfastes pour leurs économies. Cette difficulté à accéder à des investissements durables, souhaitables et soutenables est à inscrire plus largement sur le compte du capitalisme mondialisé et néocolonial qu’il est urgent de mettre à bas. C’est à la société civile , aux états progressistes et à la justice internationale qu’incombe le devoir d’imposer des collaborations plus juste entre États du Sud et du Nord ou sud-sud, selon des critères progressistes, écologiques, féministes et solidaires.

Notes

[1] Le détail pays par pays est consultable ici Strategy (UK), Department for International Trade / Department for Business, Energy and Industrial. « International Trade in Goods and Services Based on UN Comtrade Data ». Consulté le 6 juin 2023. http://comtrade.un.org/labs/BIS-tra....

[2] Le Temps. « Comment la Chine alimente la dette africaine ». 25 juillet 2018. https://www.letemps.ch/economie/chi....

[3] « Chinese Loans to Africa During the Covid-19 Pandemic | Global Development Policy Center ». Consulté le 6 juin 2023. https://www.bu.edu/gdp/2022/04/22/c....

[4] Données globale ou par pays disponible ici « Chinese Loans to Africa Database ». Consulté le 6 juin 2023. https://www.bu.edu/gdp/chinese-loan....

[5] Précisons ici que les emprunts aux IFI continuent tout de même, les plans d’ajustement structurel également, les prêts de la Chine étant « supplémentaire » aux débiteurs traditionnels.

[6] Nantulya, Paul. « L’approfondissement des liens entre la Chine et l’Afrique au cours du troisième mandat de Xi Jinping ». Centre d’Études Stratégiques de l’Afrique (blog). Consulté le 6 juin 2023. https://africacenter.org/fr/spotlig....

[7] Toussaint, Éric. Le système dette Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation. Les liens qui libèrent., 2017.

[8] Zajontz, Tim. « Debt, distress, dispossession : towards a critical political economy of Africa’s financial dependency ». Review of African Political Economy 49, no 171 (2 janvier 2022) : 173 83. https://doi.org/10.1080/03056244.20....

[9] https://www.cadtm.org/Afrique-le-pi...

[10] Afrodad a également publié une charte africaine de l’emprunt que nous vous invitons à consulter. Disponible ici : https://afrodad.org/wp-content/uplo...

[11] CADTM. « Afrique  : le piège de la dette et comment en sortir », consulté le 31 mai 2023. https://www.cadtm.org/Afrique-le-pi....

[12] Acker, Kevin, et Deborah Brautigam. « Twenty Years of Data on China’s Africa Lending ». https://www.econstor.eu/bitstream/1...

Auteur.e

Pierre-François Grenson CADTM Belgique


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