Dissolution du mouvement Soulèvements de la Terre

mardi 27 juin 2023.
Source : Libération
 

Extraits de l’article de Libération :

https://www.liberation.fr/societe/d...

Sophie Binet, CGT

« Cette dissolution se révèle très problématique d’un point de vue démocratique. On ne doit pas tout régler de manière sécuritaire. Le gouvernement avait déjà utilisé des lois antiterroristes contre les mobilisations sociales et environnementales, afin de dissoudre des organisations ou les criminaliser. Et c’est encore le cas aujourd’hui. Cette banalisation est lunaire et scandaleuse. Il y a une forme de floutage généralisé entre ce qui est violent et ce qui ne l’est pas. Or, de ce que je sais, les Soulèvements de la Terre ne prônent absolument pas la violence physique contre les personnes. Donc il ne faut pas tout mélanger. Même si, en tant que dirigeante syndicale, je n’ai pas à juger leur manière d’agir, leur mode d’action est à mes yeux légitime. Et il répond à la volonté d’une partie de la jeunesse d’être de plus en plus radicale, une attitude que je comprends au vu de l’inaction des pouvoirs publics sur la question environnementale. Cette dissolution s’inscrit finalement dans une forme de radicalisation du pouvoir que j’ai déjà condamnée lors de la mobilisation contre les retraites. Cette décision n’est pas une bascule, c’est le triste prolongement de la manière dont le gouvernement combat les mobilisations sociales et environnementales depuis plusieurs années. Gérald Darmanin confond par ailleurs ses idées politiques avec des décisions juridiques. D’ailleurs, le ministère de l’Intérieur est régulièrement rappelé à l’ordre par la justice. » (Recueilli par Damien Dole)

« Une erreur policière et politique, mais aussi une erreur des militants » Daniel Cohn-Bendit, ancien député européen écologiste, ancien soutien d’Emmanuel Macron

« La dissolution est une erreur policière et politique. Cela ne sert à rien. Demain les Soulèvements de la Terre se reconstitueront en s’appelant “La terre se soulève”. On l’a vu après 1968, on peut jouer au chat à la souris pendant des mois. Avec les réseaux sociaux, aujourd’hui, ils pourront se mobiliser autrement qu’en distribuant des tracts appelant à une manif à 14 heures place d’Italie. Mais c’est aussi une erreur des militants de penser que la violence permettra de faire avancer quoi que ce soit. Le problème du réchauffement climatique est si profond qu’il faut faire comprendre à l’ensemble de la société que c’est fini, on ne peut plus vivre de la même manière. En Allemagne, j’ai vu un débat entre un ministre Vert et un activiste prônant la désobéissance civile. Le premier reprochait au second de braquer tout le monde et le militant lui répondait : on n’est pas là pour être aimés ! Ok, mais les écologistes doivent démontrer que la survie de la planète dépend de notre capacité à trouver des majorités. Les groupes comme les Soulèvements de la Terre croient toujours qu’ils éduquent le peuple et qu’ainsi le peuple va suivre… Mais la dissolution n’est pas non plus au bon niveau. Au fond, on a l’impression que Gérald Darmanin a besoin des Soulèvements de la Terre et que les Soulèvements de la Terre ont besoin de Gérald Darmanin. » (Recueilli par Laure Equy)

« Cette nouvelle génération de militants prendra toujours de court les autorités » Bruno Serralongue, photographe

« Cette dissolution n’est pas une surprise, le gouvernement agit tel qu’il le fait depuis les Gilets jaunes, mais ça ne changera rien du tout car tout le monde peut se revendiquer des Soulèvements de la Terre. Nous sommes face à un renversement de perspective total, ce ne sont pas des individus qui luttent mais la Terre elle-même qui se soulève. Ce qui est demandé à travers ce mouvement c’est une autre façon de cohabiter avec les vivants. Ce n’est pas une structure verticale mais au contraire un dispositif horizontal, qui agrège toutes les personnes qui sont touchées par les événements climatiques.

« La nature qui se défend, c’était la même idée d’un renversement et cela permet de montrer à toutes les forces répressives que ce qui est en jeu est bien plus grand, bien plus contemporain, une force tellurique. Le gouvernement est en retard. Avec pour seule réponse de criminaliser ces mouvements écologistes qui sont à la pointe. J’ai également travaillé sur le mouvement de lutte contre les pipelines aux Etats-Unis, et là aussi, la seule réponse des Etats fédéraux est de criminaliser les militants, ces ecowarriors comme ils s’appellent eux-mêmes.

« J’ai travaillé sur les deux manifestations à Sainte-Soline, et j’ai notamment suivi les échanges très riches, en présence d’invités du monde entier, en amont et en aval des manifestations, qui ont été complètement éclipsés par les violences. Cette façon de déporter l’attention est récurrente et stratégique de la part du gouvernement. Mais cette nouvelle génération de militants a une imagination dingue, ils sortent des schémas de lutte habituels. Ils prendront toujours de court les autorités. » Recueilli par Claire Moulène

« Ne rien dire, alors qu’ils brûlent notre maison et étouffent nos futurs, cela ne nous sauvera pas » Emma Bigé, philosophe

« J‘étais présente au soulèvement de Saint-Colomban et, en un sens, je comprends la terreur du gouvernement à voir ainsi s’organiser le peuple face à l’écocide en cours : il y avait là des familles, des vieux, des parents et des enfants, à vélo et sur des tracteurs, tous et toutes convaincues que la brutalité qu’on leur inflige, à eux et à leurs futurs, demande de faire plus que de signer des tribunes. Pendant la manifestation, avec un petit groupe écoféministe, on a lu, répété et appris par cœur un poème d’Audre Lorde qui s’intitule Litanie pour la survie et qui finit en disant “Mais quand nous sommes silencieuses / nous craignons encore. / Alors il vaut mieux parler / en se rappelant / que nous n’étions pas censées survivre.”

« Je crois qu’on en est très exactement là : ne rien dire, ne rien faire, alors qu’ils brûlent notre maison et étouffent nos futurs, cela ne nous sauvera pas ; les macroniens prétendent que la résistance écologique, c’est du terrorisme, tout en menant une politique de casse sociale et environnementale. C’est une inversion assez classique dans le discours que tient le pouvoir : tout ce qui s’oppose à lui est interprété comme “terroriste”, en vertu de quoi on n’a pas besoin de l’entendre (il suffit de le dissoudre). Cela permet de masquer le véritable crime : l’inaction climatique du gouvernement et des grands groupes financiers qu’il soutient.

« Je crois que les Soulèvements, c’est un geste trop fort pour être arrêté, d’abord parce que ça fait longtemps qu’il a lieu (et qu’il ne fait que nommer une pratique écologique insurrectionnelle qu’on peut faire remonter aux marronnages du temps de l’esclavage) et ensuite parce que c’est un geste d’alliance terrestre qui saute puissamment au-delà des identités préconstituées : comment est-ce qu’on peut ignorer “la Terre qui elle-même se soulève” ? comment ne pas se joindre quand c’est notre sol lui-même qui, partout sur le territoire, se révolte contre sa bétonisation ? » (Recueilli par Claire Moulène)

Emma Bigé vient de publier Mouvementements. Ecopolitiques de la danse. La Découverte, 2023

« Les intelligences se heurtent à une adversité organisée » Dominique Marchais, cinéaste

« Pour les meneurs, le but était évident : une fois divisé le grand patrimoine commun, il aurait été facile d’acheter aux prolétaires affamés les anciens bien de la communauté. » Mario Rigoni Stern, dans Histoire de Tönle, décrit en quelques lignes les techniques d’appropriation du foncier au début du XXe sur le plateau d’Asiago. Il parle du « partage de tous les biens qui étaient depuis toujours propriété commune ». Il suffit de remplacer affamés par assoiffés et le compte est bon. Continuité donc. Mâchoire serrée et menton bravache hier (Sivens, les écolos perquisitionnés pendant l’état d’urgence, opération César…), air narquois aujourd’hui : le patriarcat tient bon, le centralisme aussi. Et pas seulement au gouvernement. Il faut que la transition-piège à cons passe, coûte que coûte, avec ses méthaniseurs, ses barrages, ses bassines, ses EPR et autres joyeusetés. Car il y a des officines où on n’a toujours pas digéré les faucheurs d’OGM, le moratoire sur le gaz de schiste ni Notre-Dame-des-Landes. Des acteurs hégémoniques, qui rongent leur frein pour revenir en arrière toute. Alors nous qui souhaitons une élaboration démocratique et rationnelle des problèmes et des actions, nous ne serions pas contre avoir la puissance publique de notre côté – mais ce n’est pas ce qui se passe. Les intelligences et les bonnes volontés se heurtent à une adversité cohérente, organisée, puissante. Alors que faire quand dire « la planète brûle » n’est plus une image mais une banalité ? Les termes de l’alliance sont difficiles à trouver et il est parfois commode pour se tenir ensemble d’avoir un ennemi commun. Mais peut-être faut-il passer à autre chose, dans notre tête même, dépasser l’Etat (facile à dire quand on n’est pas en garde à vue ou dans le coma, c’est vrai). En tous cas, ce ne sont pas les gesticulations dissolvantes des gouvernements qui dissoudront le sentiment d’injustice et de colère face au gâchis permanent qui nous est servi en guise de politique. » (Recueilli par Didier Péron)

Dominique Marchais est l’auteur de documentaires d’écologie critique et prospective comme le Temps des grâces, la Ligne de partage des eaux et, encore inédit, la Rivière.

« Le gouvernement ouvre la porte à un processus incontrôlable » Pierre Charbonnier, philosophe

« Ce processus de criminalisation de la désobéissance civile est inacceptable. Je soutiens sans réserve les personnes qui se retrouvent assimilées à des organisations terroristes, et qui n’ont évidemment rien à voir avec cela. Le gouvernement joue à un jeu dangereux du point de vue démocratique, il ouvre la porte à un processus incontrôlable. Et cela par calcul politique : en agitant une menace imaginaire, on pense resserrer les liens autour d’un exécutif dont la confiance a été érodée par l’épisode des retraites. Par ailleurs, la rhétorique de la criminalisation, via la réponse policière, élude totalement les questions écologiques dans le débat public. Le gouvernement en porte la responsabilité. Je n’ai enfin aucun grief quant aux modes d’action employés. Il s’agit d’une atteinte aux biens, qui s’inscrit dans l’histoire de la désobéissance civile et de l’exploitation des leviers matériels pour créer un rapport de force.

« Avec les Soulèvements de la Terre, nous nous retrouvons sur un constat fondamental : l’enjeu climatique est avant tout une question d’infrastructures. Mais je n’adhère pas nécessairement à la dualité orchestrée dans leur discours entre le béton et la terre, deux grands symboles mis face à face. L’opposition frontale aux grands projets techniques, qui conduit les membres des Soulèvements à parler de « démanteler les infrastructures du désastre », comme le tunnel Lyon-Turin ou l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, peut conduire à négliger la nécessité de certains efforts industriels, la nécessité de construire une écologie populaire et efficace. Bien sûr, il faut abandonner certains équipements qui ont une grande emprise sur les terres, rejettent d’immenses quantités de gaz à effet de serre, etc. Mais cela nécessite de leur en substituer d’autres permettant de vivre ensemble, d’assurer des perspectives d’emploi et de « vie large », comme dit Paul Magnette. L’enjeu aujourd’hui, c’est que la transition s’adosse à un vaste groupe social porteur d’intérêts composites, qu’elle fournisse sécurité, protection et perspectives d’avenir. Sans quoi elle restera la quête arcadienne qu’elle était il y a un demi-siècle.

« Je ne suis pas certain que le grand récit de la terre contre la machine porté par les Soulèvements permette de créer cette coalition écologique. En tout cas, la défense de l’agriculture paysanne et des riverains de ces grands projets doit s’articuler avec l’intérêt général, converger avec les organisations syndicales, pour entraîner toute la société ». (Recueilli par Thibaut Sardier)


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