Elections présidentielles d’Argentine : Victoire de Cristina Kirchner au premier tour (Libération, Le Monde, Le Figaro)

lundi 29 octobre 2007.
 

1) Libération

Scrutin sans surprise en Argentine : comme l’annonçaient tous les sondages, Cristina Fernandez de Kirchner, la femme du président sortant, le péroniste de centre-gauche Nestor Kirchner, a largement emporté l’élection présidentielle d’hier, et n’aura pas même besoin d’un deuxième tour, le 25 novembre, pour s’installer à la Casa rosada, le palais présidentiel. Elle obtiendrait, selon les derniers résultats encore provisoires, 44% des suffrages, contre 22% à sa rivale la plus directe, Elisa Carrio, chef de file de la Coalition civique, également de centre-gauche, une formation nouvelle qui intègre notamment le Parti socialiste argentin.

La Casa rosada, Cristina Fernandez connait bien, depuis 2003, quand son mari a été élu. Plutôt mal élu, avec 22% des voix : il avait notamment bénéficié du retrait du candidat arrivé deuxième, Carlos Menem. Depuis, il a su remonter ce handicap de popularité, grâce au redressement économique qui a suivi la grave crise et la faillite économique du pays, en 2001. Toujours est-il que Nestor Kirchner et son épouse, depuis la Casa rosada, formaient un véritable couple politique, le président consultant régulièrement sa femme, même si Cristina continuait aussi, comme sénatrice, à mener sa propre carrière politique, commencée dans les années 90 comme députée du parlement régional de la province de Santa Cruz, dans le sud du pays. Il n’empêche : la surprise a tout de même été grande quand Nestor Kirchner a annoncé qu’il ne se représenterait pas mais passerait le flambeau à sa femme. Sans donner aucune explication et sans passer par un quelconque mode de désignation partisan. Hier, en quelque sorte, c’est un couple qui s’est fait réélire. Et même si désormais c’est Cristina qui tiendra le devant de la scène, personne ne croit en Argentine que son mari cessera de peser dans la vie politique. Certains lui prêtent même l’intention de reprendre le relais à l’élection de 2011.

En attendant, Cristina Fernandez a commencé, hier soir, dans son discours de victoire, par rendre hommage à son mari, à « remercier le président Kirchner, profondément engagé avec son pays et son peuple. » En 2003, « ce pays paraissait impossible à reconstruire », mais avec cet homme qui « a alors assumé la présidence de la république, mon compagnon de toujours, nous avons énormément avancé, relancé l’économie, combattu la pauvreté et le chômage. » Elle a promis « de rassembler les Argentins, et notamment les Argentines, femmes seules, étudiantes, ouvrières, chefs d’entreprises » derrière son projet « d’approfondissement du changement », avec sans doute la même équipe et les mêmes alliances. « Les K », comme disent les Argentins, restent au pouvoir, mais cette fois derrière « CFK ».

2) Le Monde

Cristina Fernandez de Kirchner, l’épouse du chef de l’Etat sortant, est devenue dimanche soir à 54 ans la première femme élue à la tête de l’Argentine en s’imposant dès le premier tour de scrutin.

"Nous avons gagné avec une marge confortable, la plus importante depuis l’avènement de la démocratie (en 1983)", a lancé la "Primera dama" à ses partisans réunis dans un hôtel de Buenos Aires.

"Nous savons qu’il est nécessaire d’approfondir les changements et que pour cela, il nous faudra réunir le plus grand nombre d’Argentins", a-t-elle poursuivi dans un discours appelant à l’union de tous, "sans rancoeur et sans haine".

Après dépouillement dans quelque 57% des bureaux de vote, la sénatrice de centre gauche est créditée d’un score de 44% des voix. Elle devance largement l’ancienne parlementaire Elisa Carrio (21,73%).

Selon la loi argentine, est élu dès le premier tour un candidat ayant réuni plus de 45% des suffrages exprimés ou 40% avec une avance de plus de dix points sur son premier rival.

Roberto Lavagna, ancien ministre de l’Economie arrivé troisième, a rapidement reconnu la victoire de Fernandez.

Dans un communiqué de presse diffusé dans la nuit, Elisa Carrio reconnaît elle aussi l’issue des urnes : "Nous croyons que la tendance confirme que Cristina Kirchner est élue présidente de la république d’Argentine, et nous la félicitons pour sa victoire", écrit-elle.

Des applaudissements et des cris de joie ont éclaté dès la publication des sondages sortie des urnes au QG de Fernandez de Kirchner, où les partisans de la favorite du scrutin s’étaient rassemblés en masse pour célébrer cette rarissime transition démocratique entre deux conjoints.

"C’est vraiment spectaculaire parce que pour la première fois de notre histoire une femme est élue par le peuple", se réjouit Aida Molinari, 47 ans.

Derrière elle, des sympathisants brandissent des pingouins gonflables, symbole des époux Kirchner qui ont bâti leurs carrières politiques dans les terres australes de Patagonie. "Alerta, alerta, Cristina presidenta" (Attention, attention, Cristina est présidente), scandent-ils.

CAMPAGNE TRANQUILLE

Cristina Fernandez a mené campagne sur le bilan de son mari, au pouvoir depuis 2003. Pour de nombreux Argentins, Nestor Kirchner a sorti le pays de la débâcle financière des années 2001/02, qui avait vu le PIB fondre de près de 11%.

Pour la cinquième année consécutive, l’économie va croître à un taux de 8 à 9%, le chômage est retombé à son plus bas niveau en dix ans et la pauvreté a reculé, même si un quart environ des 40 millions d’Argentins sont toujours sous le seuil de pauvreté.

Principale conseillère de Kirchner pendant ses quatre années de présidence, la sénatrice s’est glissée sans difficulté dans la campagne.

Désignée sans primaires, évitant au maximum les médias, la candidate péroniste n’a nullement souffert des accusations sur la mise à sa disposition des moyens de l’Etat.

Les dénonciations d’une dérive autoritaro-dynastique - les époux Kirchner rechercheraient une alternance inédite à la Casa Rosada (un mandat pour lui, un mandat pour elle, un mandat pour lui, etc.) - n’ont pas pris davantage.

Car le noyau dur de son électorat se recrute parmi les pauvres et la classe ouvrière, qui considèrent que leurs vies se sont améliorées sous Kirchner et qui voient en elle la garantie d’une poursuite du rebond économique.

"Elle poursuivra la politique de son mari, qui a tant fait pour les pauvres, en construisant des logements par exemple", lançait dimanche soir Ramon Reggie Quiroga, chauffeur de métier, au siège de campagne de la candidate.

La deuxième femme élue à la tête d’un pays d’Amérique latine en deux ans, après l’élection en 2006 de Michelle Bachelet au Chili, va devoir s’atteler sans attendre à des dossiers chauds, à commencer par de possibles pénuries d’énergie dans un pays où les infrastructures ont du mal à suivre la croissance économique et l’inflation élevée, le principal problème de la troisième économie latino-américaine

3) Le Figaro

Cristina Fernandez de Kirchner, 54 ans, a conclu son dernier meeting dans les bras de son mari dont elle espère prendre la succession à la présidence de la République argentine. Tandis qu’elle est acclamée par plusieurs milliers de militants, quelques larmes ont coulé sur ses joues, dérangeant son impeccable maquillage.

L’image est trompeuse. Ce n’est pas une épouse dévouée et fragile qui veut faire son entrée à la Casa Rosada, le palais présidentiel de Buenos Aires. C’est une femme de caractère, autoritaire et déterminée, capable de traiter les journalistes d’« ânes » quand ils l’interrogèrent sur les pouvoirs exceptionnels que son mari de président s’était octroyés.

Ses collaborateurs l’appellent la « patronne ». Un ancien membre de son équipe, Tio Plaza, se rappelle : « Cristina est aussi intelligente qu’insupportable. Elle est brillante, mais j’ai fini par la quitter », a-t-il raconté à sa biographe Olga Wornat, auteur du livre Reina Cristina. « Elle est l’âme combative du couple Kirchner, » estime José Angel di Maura, un autre de ses biographes. De combativité, elle n’en manque pas, comme lorsqu’elle déclara en juillet devant le patronat espagnol que « les manoeuvres des entreprises espagnoles sont inadmissibles », alors que l’Argentine cherche plutôt à pacifier ses relations avec les investisseurs étrangers.

En politique intérieure, elle a acquis le surnom de « rebelle ». Sénateur péroniste élue en 1995, elle ose s’opposer à Carlos Menen, alors président, en demandant la démission du ministre de la Défense ! Elle voulait le sanctionner pour un scandale de ventes d’armes à l’Équateur. Peu habitués à être bousculés, les péronistes l’exclurent de leur groupe parlementaire.

Par ses prises de position tranchées, Cristina Kirchner a acquis une crédibilité politique. Longtemps, elle a été plus connue que son époux. Friands d’histoires drôles, qui parfois en disent plus sur la réalité que des discours convenus, les Argentins racontent que Hillary Clinton apostropha un jour Cristina Kirchner : « Alors, grâce à ton mari, tu vas devenir présidente ? - C’est le contraire, répond l’Argentine, si lui est président, c’est grâce à moi ! » Pendant la campagne, elle a beaucoup voyagé pour renforcer sa dimension internationale, allant même jusqu’à recevoir, jeudi dernier à Buenos Aires, la perdante de l’élection présidentielle française, Ségolène Royal.

« Des styles différents mais un même pays dans la tête »

Cristina Kirchner a conquis de haute lutte le droit de se présenter à la présidentielle. Aux sénatoriales de 2005, elle a réussi à battre l’épouse d’Eduardo Duhalde, l’un des puissants chefs péronistes de Buenos Aires. Cela a permis aux kirchnéristes de prendre pied dans la principale province, qui regroupe près de 40 % de la population argentine, et à Cristina Kirchner de s’imposer comme incontournable dans le parti.

Avec son mari, qu’elle appelle « Kirchner », ils sont complémentaires. « Nestor et Cristina sont comme un animal bicéphale. Ils ont des styles différents mais un même pays dans la tête », expliquait l’ancien ministre des Affaires étrangères Rafael Bielsa au quotidien La Nacion. Dans El Pais, l’une des rares interviews qu’elle a accordé, elle expliquait en juillet : « Nous avons étudié ensemble [avec Nestor]. Nous nous disputions car j’avais du mal à le retenir assis à étudier. Il me tuera pour ce que je dis, mais moi, je ne bougeais pas et lui devait se lever toutes les demi-heures pour écouter les infos ou boire du mate [thé argentin]. »

Cristina Kirchner s’énerve quand on l’interroge sur sa coquetterie. « Attaquer une femme parce qu’elle aime s’habiller, parce qu’elle est féminine ! Je ne crois pas que la féminité soit incompatible avec la politique. J’ai toujours soigné mon apparence physique, je me suis toujours maquillée comme (on peint) une porte... Je crois que je suis née maquillée... Il faudrait que je me déguise en pauvre pour être une bonne dirigeante politique ? » s’agaçait-elle cette semaine sur Radio 10. Dans la biographie que lui consacre Olga Wornat, elle se confie sur la perspective de recourir à la chirurgie esthétique pour éliminer ses rides naissantes : « Je le ferais bien tout de suite, mais les médias vont m’assassiner. »


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