Un 1er Mai de violence journalistique

samedi 13 mai 2023.
 

Des heures d’images et d’analyses le prouvent : sur les chaînes info, le 1er Mai a été marqué par les violences, des manifestants, ça va sans dire. Jean-Michel Aphatie s’en plaint sur LCI et proclame que, pour tirer les leçons de cette journée, rien ne vaut la hauteur de vue de Marine Le Pen.

1er Mai : la violence au rendez-vous. » C’est le titre du « parti pris » de Jean-Michel Apathie, lundi soir sur LCI. « Ce que l’on va retenir de cette journée, parce qu’elle ne change rien sur le plan de la politique… » La plus importante mobilisation pour un 1er Mai depuis 2002 n’a aucune signification politique. « … On va retenir la violence. » C’est bien pratique. « Cette violence sur laquelle il faut un peu insister. » Juste un petit peu. À l’instar de BFMTV, qui passe son après-midi et sa soirée à filmer et à commenter les « tensions ». « Excusez-moi de vous interrompre, Christophe, s’interpose Olivier Truchot. Parce qu’on a de nouvelles images qui viennent de nous arriver. »

C’est dommage. Christophe Barbier était justement en train de livrer une analyse de haute volée : « Dans notre système, ce ne sont pas les manifestations qui changent le droit… » Ça n’est jamais arrivé, ni en 1984 (loi Savary), ni en 1995 (réforme Juppé), ni en 2006 (CPE). « … Ce sont les lois, le vote à l’Assemblée nationale par la démocratie représentative. » Et le recours au 49.3. « Les manifestations sont un des éléments d’ambiance… » Depuis janvier, elles ambiancent comme jamais. « … Qui peut amener un gouvernement à changer son projet à l’écoute de la population. » Sauf s’il n’entend pas. « C’est pour ça que treize, douze, quinze ou vingt manifestations, ça ne doit pas changer cela. » Le gouvernement doit rester sourd, c’est la règle « dans notre système ».

À défaut d’entendre, regardons ces « nouvelles images qui viennent de nous arriver. C’est un policier qui est victime d’un jet de projectile ». Pauvre policier. « On va commenter ces images. » Avec autant de prudence que de rigueur. « On voit le policier qui prend… — Ça semble être un gendarme mobile qui reçoit un projectile, corrige Guillaume Farde. — Un engin explosif. » Quelle horreur. « Oui, confirme le spécialiste police-justice, y a aussi des mortiers d’artifice, des pavés… et donc ce gendarme a été touché. » Par l’engin explosif d’un de ces « casseurs venus tuer du flic », comme dit Gérald Darmanin. « C’est à mettre en relation avec toutes les images violentes qu’on a vues cet après-midi. » On recense déjà plusieurs morts parmi les forces de l’ordre, comme à chaque manifestation… Oups, pardon, il y a erreur : le gendarme touché par un « pavé » ou un « mortier d’artifice » est en réalité victime d’une grenade assourdissante lancée à hauteur de tête par un de ses collègues, 3 mètres derrière lui, comme le révèlent les images un peu mieux « analysées » que sur BFMTV… un quart d’heure plus tôt.

Pardonnons à la chaîne info cette « analyse » réalisée (presque) à chaud. Sans doute va-t-elle bientôt être corrigée. Deux heures plus tard, par exemple, quand Yves Calvi larmoie : « La manifestation a été plus dure que d’habitude pour nos policiers. » Sur BFMTV, on dit « nos » policiers — et on dit « on » pour décrire l’action des policiers de la Brav-M quand un reporter y est embarqué. Un syndicaliste policier approuve Yves Calvi : « Les images le montrent, y a des scènes terrifiantes. » Merci à BFMTV de fournir les images terrifiantes. « On a vu tout à l’heure une tentative d’homicide sur personne dépositaire de l’autorité publique en bande organisée, on a vu des collègues au sol inanimés qui ont reçu des pavés ou des tirs de mortiers. » L’intox est officiellement confirmée. « Un policier s’est évanoui après avoir reçu un pétard en pleine tête », persiste encore la chaîne le lendemain matin en rediffusant les terrifiantes images. Sans préciser que la victime de ce « tir ami » est sans doute le membre des forces de l’ordre le plus gravement blessé depuis le début du mouvement social.

Fidèle agence de communication du ministère, la chaîne relaie abondamment le discours d’apaisement de Gérald Darmanin et répète à longueur d’antenne le bilan des « policiers et gendarmes blessés ». Sans préciser que ce nombre inclut les gendarmes blessés par leurs propres grenades, les policiers asphyxiés par leurs propres lacrymos (comme à Paris ou à Strasbourg), les entorses de la cheville en donnant un coup de pied dans la tête d’un manifestant à terre, les tendinites de l’épaule à force de matraquer, la contusion du doigt coincé dans la portière du fourgon, etc. BFMTV use des mêmes précautions pour égrener, comme à chaque manif, le bilan des arrestations obligeamment fourni par le ministère. Même si ces arrestations ne débouchent sur aucune mise en cause, même si la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté dénonce leur « instrumentalisation ». Même si l’ancien préfet Didier Lallement révèle dans son livre que les forces de l’ordre sont encouragées à les multiplier parce qu’elles constituent un outil de communication — c’est réussi.


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