Figure de la gauche marxiste antistalinienne ukrainienne, Marko Bojcun (21 mars 1951-11 mars 2023) vient de disparaitre. Il est notamment l’auteur de The Workers’ Movement and the National Question in Ukraine : 1897-1918 (Le mouvement ouvrier et la question nationale en Ukraine : 1897-1918, Brill, 2021). Nous publions des extraits de l’interview qu’il avait accordée à Commons en décembre 2017.
Maksym Kazakov : Mark, en Ukraine, vous êtes connu comme un excellent analyste des questions contemporaines ukrainiennes –en matière de politique et développement socio-économique. Aujourd’hui, vous êtes également connu en tant qu’historien, chercheur sur la classe ouvrière et la question nationale. Mais j’aimerais maintenant vous interroger sur votre vie et votre travail en tant qu’activiste social. Vous êtes né en Australie. Il y a eu plusieurs façons d’arriver dans la diaspora. Comment votre famille s’est-elle retrouvée en dehors de l’Ukraine ?
Marko Bojcun : Ma mère est partie en Allemagne depuis la Slovaquie pendant la guerre. Ma mère et son père, Petro Kulchytskyi, ont fui le front, sont arrivés à pied en Tchécoslovaquie, d’où ils ont été déportés en Allemagne, où mon grand-père est mort, et ma mère s’est retrouvée dans un camp de réfugiés à la fin de la guerre. Mon père était membre de la division SS de Galicie. À la fin de la guerre, il a été emprisonné. Puis il a été libéré et s’est retrouvé dans le même camp que ma mère. Ils se sont mariés, sont allés en Italie et, de l’Italie, ont embarqué pour l’Australie en 1949. Là, ils ont de nouveau été placés dans un camp, mais séparément : ma mère a été dans un camp, mon père a été envoyé pour construire un chemin de fer dans les montagnes. Ils ont vécu séparément pendant deux ans, puis se sont installés à Newcastle, où je suis né en 1951. Mon père a d’abord travaillé dans le chemin de fer, puis dans une aciérie. Ma mère a géré notre ferme : nous avions un peu de terre. J’ai grandi principalement dans les bois, à la périphérie de Newcastle. J’allais à l’école pieds nus presque toute l’année, jusqu’à ce qu’il fasse froid pendant quelques semaines. L’Australie est un pays chaud. C’est ainsi que j’ai grandi. La communauté ukrainienne en Australie était assez petite, environ 20 000 Ukrainiens dans tout le pays. À Newcastle, ils étaient environ 200. Mes parents ont joué un rôle actif dans la communauté : ils ont enseigné à l’école le samedi, construisent la maison du peuple, puis l’église. Nous avions vécu en Australie pendant 20 ans, mais au sein d’une petite communauté. Mes parents ont décidé d’émigrer à nouveau, cette fois au Canada, où mon père avait des sœurs et des frères non loin de là, dans les États du nord des États-Unis. Ils voulaient se rapprocher de leur famille, appartenir à une communauté ukrainienne plus importante. Mes parents espéraient que leurs enfants deviendraient de meilleurs Ukrainiens s’ils voyaient ce que pouvait être une communauté plus grande. C’est ainsi que nous avons déménagé en 1968. Nous avons navigué de l’Australie au Canada. Lorsque nous avons quitté l’Australie, la température à Sydney était d’environ 40 °C, et lorsque nous avons traversé le Canada en train jusqu’à Toronto, la température était de -20 °C (rires). En trois semaines, nous sommes passés d’un pays semi-tropical à un pays semi-arctique.
MK : Vous avez déménagé aux États-Unis en 1968, au moment où les manifestations étudiantes les plus massives avaient lieu aux États-Unis et où le mouvement afro-américain était à son apogée. En 1969, le légendaire festival de Woodstock a eu lieu. Avez-vous ressenti cet esprit des années 1960 en arrivant au Canada ?
MB : Je l’ai pleinement ressenti. J’ai quitté la forêt australienne pour l’Amérique du Nord et j’ai vécu dans une ville pour la première fois. La guerre du Viêt Nam était en cours et de nombreux jeunes hommes fuyaient vers le Canada pour éviter d’être enrôlés dans l’armée. Des étudiants de l’université de Kent ont été tués [par la Garde nationale]. Ma première participation à une action a été une manifestation devant le consulat américain de Toronto contre le meurtre des étudiants de Kent. Ces années-là, la première génération d’immigrants ayant eu la possibilité d’étudier à l’université a grandi. J’ai donc rencontré des Ukrainiens-Canadiens à l’université et j’ai rapidement participé au mouvement étudiant ukrainien. Ce mouvement étudiant, ukraino-canadien, évoluait progressivement vers la gauche. En l’espace d’un an, nous sommes tous devenus socialistes, pour ainsi dire. Nous sommes passés d’une sorte d’acceptation ou d’accord non critique avec le nationalisme ukrainien dans lequel nous avions été élevés... Ce n’était donc pas quelque chose que nous acceptions librement, nous avions été élevés dans cet esprit. Puis nous sommes passés du nationalisme ukrainien au socialisme radical, et certains d’entre nous sont passés au trotskisme. C’est ainsi que j’ai rejoint le mouvement trotskiste. Nous avons défendu les prisonniers politiques soviétiques, réclamé des droits pour les minorités ethniques et culturelles et participé à des actions générales contre la guerre et pour l’autodétermination du peuple québécois. Mais ce qui se passait en Europe - Mai 1968 à Paris, l’invasion soviétique de la Tchécoslovaquie en août de la même année - était aussi quelque chose de très proche dans notre conscience.
Nous avons suivi ces événements, le développement du mouvement dissident en Ukraine soviétique et les répressions de 1972. Cela a provoqué des manifestations. J’ai organisé une grève de la faim à Winnipeg, si je ne me trompe pas, en 1972. À l’époque, nous en avons interpellé le Premier ministre du Canada, Pierre Trudeau. Il a été contraint de négocier avec nous pour mettre fin à la grève de la faim. Trudeau a accepté que lorsque le Premier ministre soviétique Kossyguine viendrait négocier avec lui, il soulèverait la question de la répression et des prisonniers politiques en Ukraine. Nous avons arrêté la grève de la faim. Il y a eu de telles monilisations. Beaucoup d’entre nous se sont radicalisés et sont partis en Europe pour étudier dans des universités, notamment en Écosse. Bohdan Kravchenko a été le premier à s’y rendre et a ensuite fondé le magazine Critique, une publication anglophone très influente sur l’Europe centrale et orientale, l’histoire et la modernité.
À Londres, Glasgow et Paris, nous avons « recruté » des étudiants d’Amérique du Nord. En 1975, nous avons commencé une nouvelle action : la contrebande de littérature illégale vers l’Europe de l’Est pour soutenir les mouvements de résistance : ukrainien, tchèque, polonais et hongrois. Nous avons participé à l’organisation d’un réseau qui fournissait de la littérature illégale, des machines à écrire, du papier, diverses aides matérielles et toutes sortes de livres. Et en 1975, nous avons fondé le magazine Dialogue. Au Canada, il existait également un magazine en anglais appelé Meta. Ces deux revues commentaient et participaient à des discussions sur la situation politique en Union soviétique, en Europe de l’Est, en Afghanistan et sur le mouvement ouvrier Solidarité en Pologne. Ces sujets étaient au centre de notre attention.
Dans le mouvement trotskiste, j’ai participé au secrétariat international [4e internationale], dirigé par Ernest Mandel. Je l’ai quitté en 1982 parce que la section canadienne (où je vivais à l’époque) a pris une position ambivalente sur l’invasion soviétique de l’Afghanistan. J’ai considéré que c’était une honte et j’ai exigé le retrait immédiat des troupes [soviétiques].
MK : Comment l’ancienne génération de la diaspora ukrainienne vous a-t-elle influencé ?
MB : Nous étions amis avec eux. C’est la génération du Parti démocratique révolutionnaire ukrainien (PDRU), fondé dans les camps de personnes déplacées après la guerre. C’est la génération de Vpered, un journal socialiste radical publié par Vsevolod Holubnychyi, Roman Paladiychuk et Ivan Maistrenko. Nous avons rencontré ces personnes dans les années 1970, nous avons lu leurs œuvres, nous avons reçu d’eux des exemplaires de Vpered et nous avons essayé de poursuivre cette tradition, de la restaurer et de l’appliquer aux questions contemporaines. J’ai personnellement rencontré Ivan Maistrenko en 1975 à Munich. Il avait déjà 75 ans, mais il était très impressionnant. Il avait une moustache de cosaque - un vrai socialiste ukrainien. Lorsque nous sommes allés boire une bière, il a revêtu une cape en cuir qu’il avait apportée d’Ukraine. Cette cape datait probablement de la guerre civile. J’ai rencontré Vsevolod Holubnych à New York. Il a grandement influencé notre compréhension de l’histoire des mouvements révolutionnaires et du parti communiste ukrainien, du développement de l’Union soviétique, de l’économie de la République socialiste soviétique d’Ukraine et de la famine de 1932-1933. Nous avons beaucoup appris de lui sur ces sujets. C’était une personne unique, rare dans l’émigration ukrainienne, parce qu’il avait des positions marxistes. Il était en effet l’un des principaux chercheurs et dépassait dans son travail scientifique presque toutes les personnes qui avaient d’autres convictions politiques, y compris les nationalistes. Il était respecté bien au-delà de la communauté ukrainienne dans les cercles universitaires d’Amérique du Nord et d’Europe.
Il se trouve que les Américains, qui occupaient l’Allemagne de l’Ouest avec les Britanniques et les Français, n’ont pas permis à Ivan Maistrenko et, dans un premier temps, à Vsevolod Holubnychyi d’émigrer en Amérique. Maistrenko était communiste et Vsevolod Holubnychyi était infirme. Mais Roman Paladiychuk, qui était également membre de ce mouvement de gauche, une petite communauté d’Allemagne de l’Ouest, a pu s’installer au Canada. Ils étaient tous pauvres et n’avaient rien pour publier un journal. Mais Paladiychuk avait l’esprit d’entreprise et savait comment gagner de l’argent si nécessaire. Il a donc acheté du café d’Amérique du Sud au Canada, l’a envoyé par la poste à Munich, et là, le comité de rédaction du journal Vpered a divisé ce paquet en plusieurs petits paquets qu’il a vendus aux soldats américains et à d’autres habitants de Munich qui avaient les moyens de s’offrir du café naturel. Le produit de ces ventes leur a permis de financer leur journal pendant dix ans. Le journal a eu beaucoup de succès et a bénéficié d’une grande publicité.
MK : Comment la gauche ukrainienne était-elle organisée au Canada ?
MB : Le cercle de gauche était petit. Il y avait jusqu’à 50 membres qui coopéraient activement à la publication du magazine et à l’organisation de mobilisations, de grèves de la faim et de manifestations, mais les actions que nous organisions étaient beaucoup plus nombreuses. Les premières manifestations à Ottawa en décembre 1970, à l’arrivée de Kossyguine, ont rassemblé jusqu’à 5 000 personnes. Nous avions invité un certain nombre de personnes de l’Union des étudiants ukrainiens au Canada, qui n’était pas une organisation politique, mais une communauté d’étudiants. Au milieu des années 70, elle comptait plusieurs milliers de membres. Si le noyau de la gauche était assez restreint, les idées de gauche étaient très populaires, ce qui se reflétait dans les journaux, les magazines tels que Student, Meta, etc. et dans le contenu des actions. Cela a duré jusqu’au milieu ou à la fin des années 1970, puis il y a eu un long, très long déclin. La société en général est devenue beaucoup plus conservatrice. Les politiques néolibérales se sont imposées en Amérique du Nord et en Europe occidentale. Le cercle de la gauche s’est rétréci et, en 1985, il était à peine visible. Quelques personnes essayaient encore de faire quelque chose ici et là. J’ai déménagé en Angleterre en 1985, j’y suis resté et j’ai commencé à publier un autre magazine intitulé Ukraine Today. Avec Jarko Koszew, nous avons publié deux numéros. L’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl en 1986 a été suivie d’un dégel, de la perestroïka, de la glasnost, de l’arrivée au pouvoir de Gorbatchev, et mener des activités illégales n’était plus nécessaire. Avec des personnes prêtes à le faire, nous pouvions agir plus ouvertement, voyager librement en Europe de l’Est et finalement en Union soviétique, contacter des personnes avec lesquelles nous essayions d’établir des relations depuis longtemps et les aider. C’est ainsi que nous en sommes arrivés aux années 1990. […]
MK : Comment imaginiez-vous l’Ukraine soviétique ? Qu’est-ce que la RSS d’Ukraine pour la diaspora ?
MB : Personnellement, j’ai été fortement influencé par Trotsky et son ouvrage La révolution trahie. Je ne voyais pas l’Union soviétique comme un État ouvrier déformé, mais comme une dictature dans laquelle la bureaucratie, bien qu’elle n’ait pas de propriété privée, tenait l’économie et les leviers coercitifs de l’État entre ses mains, c’est-à-dire qu’elle les dominait. Nous considérions l’Union soviétique de ce moment comme une dictature stalinienne plus douce, parce que c’était l’ère post-Khrouchtchev, l’ère de Brejnev et de Kossyguine. Nous pensions qu’elle était dominée non seulement par l’idéologie du stalinisme, une dictature à parti unique présentée comme le visage de la dictature du prolétariat, mais aussi par un parti chauvin grand-russe qui opprimait les peuples non russes de l’URSS, qui n’avaient aucun droit à l’autodétermination, si ce n’est sous des formes culturelles folkloriques. Le droit constitutionnel à l’autodétermination nationale n’était pas reconnu en patrique.
MK : Quand êtes-vous venu pour la première fois en RSS d’Ukraine et quelles ont été vos impressions ?
MB : Je suis arrivé pour la première fois au cours de l’été 1988 pris d’une grande peur. J’étais assis dans un avion et je regardais la frontière, je voyais des villages et des terres. J’ai réalisé que j’étais déjà arrivé en Ukraine. Je me suis dit : quand l’avion atterrira, je descendrai et j’embrasserai le sol. Je suis donc descendu de l’avion, et il y avait des gens avec des mitraillettes sur le tarmac ! Toute une rangée de soldats. Je me suis dit : « Je ne vais pas embrasser le sol devant eux « . J’ai attendu d’être arrivé au parc Taras Chevtchenko et c’est là que j’ai embrassé le sol. Je suis arrivée avec une certaine crainte, mais je transportais déjà de la littérature dans ma valise. J’avais deux valises : dans l’une, je transportais des affaires pour ma famille, des bottes, des vêtements et un magnétophone. Cette valise m’a été volée à l’aéroport. Je ne l’ai jamais retrouvée. Dans la seconde valise, que j’ai emportée dans l’avion, j’avais de la littérature. Je me suis beaucoup plaint qu’on m’ait volé la plus grande valise et que les gardes- frontières n’aient pas vérifié ce que j’avais dans la seconde. J’ai donc pu l’amenée et j’ai pu la donner aux gens d’ici. C’était ma première visite. J’y suis allée avec un groupe de touristes. Nous nous sommes retrouvés à Lviv et je suis allé voir l’archevêque Sterniuk de l’UGCC [Église grecque-catholique ukrainienne], qui était assigné à résidence. Je lui ai rendu visite. Il n’a été libéré qu’un an plus tard. En 1989, lorsque je suis revenu en voiture de Hongrie, j’ai eu l’occasion de rencontrer Vyacheslav Chornovil, Bohdan Horyn, des représentants de divers groupes d’opposition qui avaient grandi à Lviv, Kyiv et dans d’autres villes. Toute l’atmosphère avait changé de manière significative. C’est à ce moment-là que j’ai vraiment commencé à communiquer avec les membres du mouvement. C’était déjà vers l’effondrement de l’URSS.
MK : Y avait-il un segment de gauche parmi les opposants que vous avez rencontrés en RSS d’Ukraine ? La dissidence a commencé par une critique de gauche du « socialisme réel », mais y avait-il encore des militants de gauche à cette époque ? Ou bien tout le monde était-il déjà devenu libéral et nationaliste ?
MB : Le spectre des convictions idéologiques était très large : des catholiques grecs, des baptistes, qui étaient également persécutés, aux nationalistes, aux démocrates, aux membres du parti communiste qui réclamaient ardemment des réformes, en passant par les défenseurs de la langue ukrainienne. J’ai rencontré quelques groupes de gauche à Lviv en 1989. L’un d’eux était un jeune groupe de sociaux-démocrates ukrainiens chargés d’assurer la sécurité des manifestations qui se déroulaient à Lviv. Il y avait d’énormes manifestations. Ses membres se promenaient avec des brassards et maintenaient l’ordre étaient de jeunes socialistes et sociaux-démocrates. C’était un groupe à part. Ils m’ont emmené voir Chornovil. Il aimait discuter avec eux, il les considérait comme des interlocuteurs intelligents. Je ne sais pas ce qu’ils sont devenus par la suite. Le deuxième groupe était dirigé par Oleh Olesevych, je dirais le premier hippie de Lviv. Il portait les cheveux longs et la police l’attrapait constamment par les cheveux. Il a organisé le USSR-USA Trust Group, qui prônait le désarmement. Ils avaient profité de la lutte pour le désarmement nucléaire mondial pour établir des liens et communiquer avec des personnes partageant les mêmes idées dans les pays occidentaux. Il s’agissait de pacifistes et de militants de gauche sincères. Il y avait de tels groupes à Moscou, à Leningrad et peut-être à Kyiv. Un groupe très influent s’appelait Memorial. Je ne dirais pas qu’ils étaient de gauche, mais c’étaient des démocrates cohérents, des antistaliniens. Le mouvement de la perestroïka comprenait de nombreux membres du parti communiste issus de ses strates inférieures. […]
MK : À Londres, vous êtes devenu l’un des pionniers des études ukrainiennes dans ces années-là. Vous avez été le premier.
MB : J’ai enseigné les sciences politiques et l’histoire de l’Ukraine à la School of Slavic and East European Studies de l’université de Londres depuis 1991. Pourquoi ai-je été le premier à le faire ? Jusqu’en 1991, le gouvernement britannique n’autorisait pas les universités à étudier l’histoire et les traditions locales des différents peuples de l’URSS. Tout cela relevait des études russes, ou de l’étude de l’Union soviétique. Ils ne voulaient pas offenser les dirigeants soviétiques en accordant une attention particulière à l’Ukraine, à la Géorgie, à la Lituanie, etc. Et en 1991, lorsqu’il est devenu évident que tout s’écroulait, l’étude de l’histoire et de la science politique des différentes républiques de l’Union soviétique a commencé. J’ai été le premier à enseigner spécifiquement l’Ukraine. En 1993, j’ai déménagé à la London Metropolitan University, où j’ai décidé de créer un centre qui étudierait le développement futur de l’économie, de la politique et des relations internationales d’une Ukraine indépendante, et qui faciliterait les liens entre les chercheurs et les étudiants d’Ukraine et du Royaume-Uni. J’ai organisé un programme de bourses pour les étudiants ukrainiens. Ils venaient chez nous pour certaines périodes afin d’étudier et de mener leurs propres recherches. Ce programme a duré plusieurs années - j’ai trouvé l’argent nécessaire. J’ai également organisé des projets de coopération entre des universités européennes et ukrainiennes dans le domaine de l’intégration européenne - les relations entre l’Ukraine et l’UE, les aspirations de l’Ukraine à rejoindre l’UE. J’ai organisé plusieurs projets de ce type au cours des années 1990. […]
MC : Dans les années 1970 et 1980, les communistes ouverts et les marxistes étaient les chefs de file de la vie intellectuelle au Royaume-Uni. Que pensez-vous de l’état actuel de la gauche marxiste ?
MB : Je ne peux pas dire grand-chose sur les universités car je n’y travaille plus. Bien sûr, il y a encore des marxistes de ma génération qui travaillent dans différentes disciplines. Mais ce qui est plus intéressant, c’est que l’ère des partis communistes et du mouvement communiste, qui a commencé en 1917, est terminée dans la société. Les jeunes générations sont confrontées à la tâche d’inventer une nouvelle voie, un nouveau langage et une nouvelle forme d’activité pour poursuivre les mêmes idéaux et objectifs que le mouvement communiste a poursuivis dans le passé, lorsqu’il était véritablement révolutionnaire, progressif et égalitaire, plutôt que stalinien et dégénéré. Nous sommes confrontés à de nouveaux défis pour renouveler et rafraîchir cet esprit et cette volonté d’émancipation. Cela nécessite un nouveau langage, de nouvelles formes d’activité. Cela se manifeste déjà au niveau de nouveaux mouvements sociaux, de petites initiatives qui commencent à défendre les droits des réfugiés et des immigrants, à défendre notre système de santé, qui est soumis à une forte pression de privatisation, et sur diverses questions de solidarité internationale et de mouvements de libération. Ces nouveaux mouvements sociaux et initiatives de solidarité sont actifs et se reflètent dans le renouveau du parti travailliste, qui a déjà gagné plus d’un demi-million de membres. Il s’agit principalement de jeunes qui cherchent un moyen de s’exprimer, de devenir politiquement actifs. Nous en sommes aujourd’hui à la phase initiale.
MK : Que fait la campagne de solidarité avec l’Ukraine ?
MB : Ce mouvement est apparu en 2014, après la prise de la Crimée par la Russie. Il comprend des syndicalistes, des militants du parti travailliste, divers groupes de gauche et des personnes non affiliées. Nos principes : nous défendons les droits démocratiques et l’autodétermination nationale de l’Ukraine ; nous sommes contre l’impérialisme russe et occidental. Nous défendons les syndicalistes, les démocrates et les militants des mouvements sociaux, et nous essayons à Londres de faire connaître leur sort et de les défendre. Nous avons également pour tâche de critiquer les courants pro- Poutine dans la gauche, qui sont très forts, je dirais même dominants en Europe occidentale - en France, en Grande-Bretagne, en Allemagne. Il est très regrettable que les soi-disant mouvements de gauche assimilent le soutien à l’État de Poutine à l’image progressiste de la Russie. Ils pensent que leur défense de l’État russe et leur opposition à l’impérialisme américain sont progressistes. Ils ne voient pas en profondeur comment les personnes de bonne volonté sont persécutées en Russie et en Ukraine, c’est pourquoi nous essayons d’éclairer sur la situation.
MK : Merci, Mark.
Marko Bojcun Maxim Kazakov
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