Etats-Unis : les Cassandre de la dette s’époumonent à tort

vendredi 24 février 2023.
 

En mars 2011, une commission de la Maison-Blanche visant à réduire les déficits publiait une mise en garde effrayante à propos de la dette publique. A moins que l’Amérique ne prenne de sérieuses mesures pour maîtriser les déficits futurs, avertissait-elle, il fallait s’attendre à une crise budgétaire dans les deux années suivantes. C’était il y a douze ans.

A l’époque, le taux d’intérêt sur les obligations américaines à dix ans était d’environ 3,5%. On ne fit cependant pas grand-chose pour faire baisser les déficits. Or fin décembre 2022, le taux à dix ans, qui a augmenté de façon substantielle au cours de l’année écoulée du fait que la Réserve fédérale relève les taux pour combattre l’inflation, était d’environ… 3,5%.

Ce que je veux souligner, c’est qu’au début des années 2010, soit la dernière fois que nous avons été confrontés à un risque de crise sur le plafond de la dette, il existait au sein de l’élite un consensus selon lequel les déficits budgétaires constituaient une menace grave, voire existentielle. Vu rétrospectivement, ce consensus était complètement erroné. Et ceux d’entre nous qui le contestaient étaient traités d’excentriques, à côté de la plaque.

Aujourd’hui, les mêmes tentent d’effectuer leur retour, appuyant les efforts déployés par les Républicains pour prendre l’Amérique en otage en refusant de rehausser le plafond de la dette. Il est par conséquent important de comprendre que les arguments de ceux qui agitent l’épouvantail de la dette sont encore moins convaincants qu’ils ne l’étaient en 2011.

Des chiffres à taille américaine

Il est vrai que la dette américaine est très importante - 31.000 milliards de dollars. Mais l’Amérique est un grand pays, ce qui fait que presque tous ses chiffres le sont aussi. Une meilleure façon d’aborder la question est de se demander si le règlement des intérêts pèse d’un grand poids sur le budget. En 2011, ceux-ci représentaient 1,47% du PIB - soit la moitié de ce qu’ils étaient au milieu des années 1990. En 2021, c’était 1,51%. Certes, ce chiffre augmentera du fait que la dette existante est refinancée à des taux d’intérêt supérieurs, mais l’intérêt net réel - les règlements des intérêts ajustés à l’inflation - restera probablement en dessous de 1% du PIB durant la prochaine décennie. Cela ne ressemble pas à une crise.

Qu’en est-il côté démographie ? L’Amérique vieillit, ce qui se traduit par une pression croissante sur la Social Security et le Medicare. Cela n’augure-t-il pas de gros problèmes dans l’avenir ? Certes, le vieillissement est un vrai problème. Mais son impact budgétaire s’est déjà en grande partie fait sentir. Les deux tiers environ des baby-boomers, soit les personnes nées entre 1946 et 1964, ont déjà atteint l’âge d’éligibilité aux programmes Medicare.

La poursuite du vieillissement imposera des exigences supplémentaires au budget, mais cela ne concernera que quelques points de pourcentage du PIB. Le Congressional Budget Office publie régulièrement des projections budgétaires à long terme qui sont souvent citées dans les débats. En 2011, il avait prévu que le coût des intérêts fédéraux en 2021 équivaudrait à 4,4% du PIB - plus de deux fois leur montant réel. Il prévoyait également qu’en 2035, la dette fédérale atteindrait 187% du PIB. Selon sa projection la plus récente, elle sera de 117%.

D’autres priorités que la dette

Cela dit, les surprises budgétaires ne sont pas toujours positives - qui aurait pu prévoir les énormes dépenses dues au Covid-19 ? - et je ne soutiens pas que la dette publique ne peut jamais poser problème, ni que notre position budgétaire à long terme est parfaitement saine. Mais si vous vous préoccupez sérieusement de l’avenir de l’Amérique, vous devez réfléchir à des tas d’autres questions, depuis le changement climatique jusqu’aux infrastructures et à la pauvreté infantile. La dette fédérale devrait être placée tout en bas de la liste des priorités.

Et pourtant, les Cassandre de la dette tentent d’effectuer leur retour. C’est en partie parce que déblatérer contre elle donne l’impression d’être sérieux et responsable. Mais aussi parce que les diatribes sur le déficit sont trop souvent mises au service d’un agenda idéologique - la tentative de réduire les budgets de la Social Security, du Medicare et du Medicaid (programme d’assurance maladie pour familles déshéritées) - mais pas, bien entendu, pour fournir à l’administration fiscale les moyens de lutter contre l’évasion fiscale.

Aussi, voici ma proposition : ne rejouons pas 2011. Ne paniquons pas autour d’un problème monté en épingle. N’allons pas nous imaginer que les paons du déficit font autre chose qu’adopter une posture. Et ne laissons pas les médias devenir une fois encore les complices de fait d’un agenda idéologique partisan.

© The New York Times february 2023


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