Ultradroite française, 500 mercenaires, le KGB et Vladimir Poutine

lundi 6 février 2023.
 

OSS 117 au pays de l’ultradroite

Au sein des Barjols, groupuscule dont des membres sont jugés pour association de malfaiteurs terroriste, Delphine Tissot avait vendu un projet de coup d’État par des mercenaires russes. À l’audience, elle a avoué : « Je ne le connais pas personnellement, monsieur Poutine. »

Matthieu Suc

27 janvier 2023 à 13h15

SurSur les réseaux sociaux, elle était « Nikita », comme la tueuse du film du même nom. Auprès des autres membres de l’ultradroite, elle était « Commandant C2 », une gradée de la DGSI. À la barre de la 16e chambre du tribunal correctionnel de Paris, elle est simplement Delphine Tissot.

Dans un ample pull à col roulé blanc et un pantalon à motifs écossais gris, derrière de fines lunettes, la quinquagénaire élude toutes les questions avec des répétitifs « Aucune idée » ou des « Ça, c’était du pur délire ». Entre deux réponses laconiques, on entend presque ses masques tomber. Durant trois heures, jeudi après-midi, la prévenue jugée pour association de malfaiteurs terroriste est mise face à ses contradictions, ses mensonges. Son audition, lente et laborieuse, confirme ce qu’avait révélé l’instruction judiciaire : son costume d’agent secret est vide.

Sur les réseaux sociaux, la prévenue ne cache pas sa fascination pour la Russie et pour les armes. © Photo illustration de Sébastien Calvet / Mediapart Dans l’affaire dite des Barjols, ces militants d’ultradroite qui projetaient d’assassiner le président Macron et fomentaient un coup d’État, Delphine Tissot arrive sur le tard. Deux ans après les premières interpellations.

Elle a été balancée par les deux principales figures du groupuscule qui revendiquait plusieurs milliers de membres. Jean-Pierre Bouyer, l’homme qui voulait poignarder Emmanuel Macron, a raconté au juge d’instruction : « Elle menait [les Barjols] par le bout du nez. C’est une des raisons pour laquelle je suis parti aussi. Elle a eu énormément d’influence sur Collinet. » Denis Collinet, le fondateur des Barjols, à qui Tissot avait prétendu être une agente de la DGSI et avoir assuré plusieurs missions en Afrique.

Un Collinet qui, en garde à vue, balance à son tour celle avec qui il a entretenu une très éphémère liaison. « Elle m’a raconté un truc mais je vous préviens c’était gros. Même moi je suis tombé dans le panneau tellement c’était bien ficelé. On devait rentrer dans l’Élysée avec 500 Russes qui seraient arrivés en France. Ces Russes auraient été habillés en uniforme de militaires français. Plusieurs groupes patriotiques devaient participer et leur rôle aurait été de se mettre devant l’Élysée pour représenter le peuple. » Plus tard, il insistera. « C’était une idée de Delphine Tissot. » À plusieurs reprises. « C’est elle qui organisait. En quelque sorte, elle nous disait quoi faire. » Dans le dossier, un message de Tissot à Bouyer en atteste. Elle lui écrit : « Tu devras m’obéir pour ne pas te prendre une balle, pas question de salir les tapis à l’Élysée avec ton sang. »

500 mercenaires, le KGB et Vladimir Poutine

Le putsch en préparation était pris suffisamment au sérieux par les Barjols pour qu’un formulaire soit communiqué aux différents membres leur demandant de se positionner sur leur « volonté de s’impliquer dans une action de force » et pour que Collinet se fende d’un mail destiné à rassurer tout un chacun : « Si l’action principale réussit, les forces de l’ordre et les forces armées se rallieront à nous, sachez qu’il y a eu des consignes de transmises à différents contacts en régiment, commissariat, gendarmerie. » Le problème, c’est que tout repose sur les épaules de Delphine Tissot. Le putsch n’aura jamais lieu, mais il vaut tout de même à celle qui jurait être une agente de la DGSI d’être interpellée le 3 novembre 2020 par ce qui est supposé être son propre service.

En garde à vue, elle fond en larmes. Elle explique vouloir prévenir d’exactions sur le point d’être commises. Elle avait su la veille de son interpellation qu’un code avait été lancé pour passer à l’action. Ce code, qui lui aurait été communiqué en 2018, était un message posté sur Facebook disant : « Je reste tranquille avec mes gosses, n’est-ce pas Delphine ? » Il était supposé être le déclencheur d’attaques sur une mosquée ou une synagogue de la part d’un groupuscule autre que les Barjols.

Quand les enquêteurs la ramènent à la réalité des charges qui pèsent sur elle, le projet de coup d’État, Delphine Tissot affirme que Denis Collinet a tout inventé. Son seul projet était la mise en place d’une constitution transitoire qui aurait été imposée pacifiquement. Aucune violence, encore moins à l’aide de 500 Russes.

« Je ne suis pas du KGB, je ne suis pas une espionne, arguait-elle.

– Vous n’êtes pas du KGB, mais faites-vous partie de la DGSI ?

– Non… »

Petite-fille de militaire, fille de militaire, mariée un temps à un gendarme, Delphine Tissot n’a jamais été agent secret. Elle a officié en tant que secrétaire au sein de l’état-major de l’armée de terre avant d’être invitée à démissionner en raison de son caractère « impulsif et imaginatif ». Au moment où elle participe à des réunions conspiratrices avec les Barjols, elle n’est pas membre de la DGSI mais au chômage.

Cela devait être pour rire…

La membre des Barjols planifiant un putsch à l’Élysée

À la barre, la prévenue ne nie plus son implication mais la minimise toujours.

Le projet de coup d’État ?

« Ça a été un délire. »

Son rôle de coordinatrice d’un putsch militaire en France ?

« Certainement dans mon délire avec l’Élysée et les Russes. »

Les 500 mercenaires russes envoyés avec l’approbation du dictateur du Kremlin ?

« Cela devait être pour rire… J’allais partir en vacances en Russie. J’ai dû leur dire : “Ça tombe bien, je vais à Moscou cet été, je vais vous ramener 500 Russes dans la valise.” »

Mais, très sérieuse, elle veut rassurer le tribunal :

« Je ne le connais pas personnellement, monsieur Poutine. »

Elle botte en touche quand le président Thomas Jouck l’interroge sur des courriels évoquant le projet « Armageddon élites ».

« Ça, je ne me rappelle pas. »

Dans la Bible, l’ Armageddon désigne l’ultime combat entre le bien et les forces du mal lors du jugement dernier. Dans le dossier, « Armageddon élites » se réfère à des canons électromagnétiques.

« Pourquoi vous envoie-t-on des informations sur ces armes ?

– Aucune idée. »

Un intérêt pour les armes en contradiction avec ses déclarations d’hostilité contre toute forme de violence. Une posture également mise à mal par la photographie sur la page d’accueil de son profil Facebook montrant le haut de son visage avec, en arrière-plan, un cœur composé de plusieurs dizaines d’armes à feu. À la barre, elle explique que c’est une métaphore de ses « relations amoureuses destructrices ».

« Vous auriez pu prendre un cœur qui saigne… lui fait remarquer le président Jouck.

– Ça fait gnangnan ! lui rétorque-t-elle.

– Et pourquoi vous êtes membre de ces groupes qui veulent tirer sur des mosquées ?

– Je ne comprenais pas le fonctionnement de Facebook. »

Le magistrat a beau la relancer, lui faire remarquer à plusieurs reprises que sa réponse à elle « est très éloignée » de sa question à lui, rien n’y fait. Il se heurte à un mur. Et l’audience s’enlise.

Avec un tact certain, Thomas Jouck lui annonce vouloir l’interroger sur ce qui transpire dans tout le dossier. « Vous parlez de tellement de choses, que c’est compliqué de distinguer ce qui est réel ou subjectif… »

Jean-Pierre Bouyer l’a qualifiée dans le cabinet du juge d’instruction « d’un peu mythomane ». Sur procès-verbal, la DGSI souligne qu’« avec un discours alarmiste, Delphine Tissot parvient à fédérer sur des sujets relevant de l’affabulation ». Dans ses échanges sur les réseaux sociaux ou messageries cryptées, elle dit avoir été victime d’« un attentat à Ouaga [Ouagadougou, ndlr] », elle confirme son expérience barbouzarde : « Une destitution ne se fait pas en manifestant… J’ai posé des groupes à travers le monde… Depuis deux ans je suis épiée, je mène une vie “classique” mais ça ne va pas durer… »

Son discours a fait mouche chez les Barjols. « Quand j’ai vu la supercherie, je l’ai bloquée et terminé, déclarera son ancien amant Collinet, tout de même un brin admiratif. Elle était tellement convaincante et intelligente cette femme-là qu’elle nous a lobotomisés. […] J’ai su après que c’était une femme malade et mythomane. »

À l’audience, le président Thomas Jouck lui demande avec beaucoup de douceur :

« Pourquoi vous vous inventez une vie comme ça, madame ?

– À un moment, il a fallu que je me protège contre les blessures que j’avais subies. C’était certainement ma volonté de montrer que je ne me laisserais pas faire. »

Delphine Tissot fait là allusion à la haine qu’elle aurait rencontrée, après son divorce avec son mari gendarme, dans le village où elle habitait.

Mais pourquoi se prétendre agent secret ?

À propos d’un militant d’ultradroite avec lequel elle discute sur les réseaux sociaux, elle livre son explication : « Il n’arrêtait pas de se vanter de choses qui étaient fausses, je suis entrée dans son jeu. Il délire, je délire. Cela ne fait de mal à personne. »

Il faut espérer. Car, deux ans après avoir rompu avec les Barjols, Delphine Tissot a continué à parler de coups d’État.

Un roman sur « une société postapocalyptique »

La veille de son interpellation en novembre 2020, elle annonce à un certain « Oli Glock » aller bientôt « chercher des jouets », des « catégories A ». À un retraité qui avait candidaté à AFO, un autre groupuscule d’ultradroite dont plusieurs membres sont mis en examen pour avoir fomenté des projets d’attentat, elle évoque « un vieil ami qui a fait sa carrière au Mossad, c’est mon mentor ». Le retraité s’inquiète : « Nous combattrons ensemble. Où ? Quand ? Comment ? Avec qui ? Avec quels moyens ? Tu ne me l’as jamais dit. »

Elle qui a prénommé l’une de ses trois enfants Cassandre aurait des visions. Quelques semaines avant que Donald Trump ne perde l’élection présidentielle, elle annonce que « quelqu’un de très connu va mourir, j’en ai également rêvé », le président américain.

Un peu plus tôt, au printemps 2020, elle s’était inquiétée des vaccins anti-Covid « avec puce électronique », le produit « d’une organisation diabolique ».

« C’était de la méfiance », se justifie-t-elle à la barre.

Et quand ce n’est pas de la méfiance, c’est de la fiction. Certains de ses messages seraient tirés, à la croire, d’un roman qu’elle écrivait à l’époque. « J’y décris une société postapocalyptique, explique-t-elle à la barre. Avec des cadavres partout, des gens qui mangent des cadavres. Dans mon récit, c’est suite à l’élection d’une femme blonde que la France est tombée dans le chaos. »

Mais quand elle qualifie, dans un message à une connaissance, une voisine de « vieille pute du Mali », elle se justifie : « C’est un terme raciste mais je ne suis pas raciste. »

Alors, comment appréhender le cas de Delphine Tissot, Deus ex machina du coup d’État jamais concrétisé ?

À l’issue de quatre années d’enquête, le Parquet national antiterroriste (Pnat) avait requis un non-lieu en sa faveur. Mais les juges d’instruction en ont décidé autrement en la renvoyant au tribunal avec douze autres prévenus. Elle encourt dix ans de prison.

L’expertise psychologique, réalisée en cours d’instruction dans un jargon souvent incompréhensible qui provoqua quelques rires lors de sa lecture à l’audience, avait conclu que Delphine Tissot ne souffrait pas de trouble pathologique, d’aucun trouble de la personnalité, seulement d’un « discours riche, parfois trop riche, qui peut faire douter de son authenticité ».

« Vous pensez que vous avez besoin d’un suivi psy ? insiste le président Jouck.

– Non. »

Elle n’en dira pas plus.

Il est 17 h 10. L’audience continue avec l’audition de son ancien amant, le chef des Barjols. Delphine Tissot déserte le prétoire pour attraper un train et rentrer chez elle, retrouver les fantômes de sa vie rêvée.

Matthieu Suc


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