Marine Le Pen salue les apprentis putschistes : le retour du refoulé

samedi 1er mai 2021.
 

La présidente du RN, qui s’emploie depuis des années à « dédiaboliser » son parti, a apporté un chaleureux soutien à une tribune de généraux à la retraite menaçant d’un coup de force. Un rappel de tout ce que le RN cherche à masquer.

Par Lucie Delaporte

C’est une « lettre empreinte de conviction et d’engagement » écrite par des « hommes attachés à leur pays ». Présenté ainsi par Valeurs actuelles qui l’a publié le 21 avril – le jour anniversaire des 60 ans du putsch d’Alger –, le texte, rédigé par des généraux à la retraite, appelle à rien de moins qu’à un sursaut militaire face au chaos dans lequel serait plongé notre pays. Un appel reçu cinq sur cinq par la présidente du Rassemblement national (RN) qui a fait savoir qu’elle partageait leur « analyse », les invitant même à la rejoindre.

Leur analyse ? Pour ces militaires, dont l’engagement est pour la grande majorité déjà bien connu à l’extrême droite, « [l’]heure est grave, la France est en péril ». Le pays serait en proie au « délitement ». Un « délitement » causé par « un certain antiracisme » qui n’aurait d’autre but que de préparer « la guerre raciale que veulent ces partisans haineux et fanatiques ». Emboîtant le pas aux polémiques attisées par Jean-Michel Blanquer et Frédérique Vidal sur « l’islamogauchisme », ces généraux estiment donc que la France est aujourd’hui principalement menacée par ceux qui « parlent de racialisme, d’indigénisme et de théories décoloniales ».

Ces généraux, dont beaucoup frisent les 80 ans, dénoncent « l’islamisme et les hordes de banlieue » qui entraînent « le détachement de multiples parcelles de la nation pour les transformer en territoires soumis à des dogmes contraires à notre constitution ».

S’ils commencent par appeler à « appliquer sans faiblesse des lois qui existent déjà », et se disent prêts à « soutenir les politiques qui prendront en considération la sauvegarde de la nation », les généraux préviennent : s’ils ne sont pas entendus, « le laxisme continuera à se répandre inexorablement dans la société, provoquant au final une explosion et l’intervention de nos camarades d’active dans une mission périlleuse de protection de nos valeurs civilisationnelles et de sauvegarde de nos compatriotes sur le territoire national ». Difficile de ne pas être plus explicite dans la menace d’un coup militaire qui viendrait sauver le pays.

Deux jours plus tard, Valeurs actuelles, qui a le sens de la mise en scène, offre ses colonnes à Marine Le Pen qui enjoint donc ces généraux à la rejoindre, affirmant « partager » leur « analyse ». « Je souscris à vos analyses et partage votre affliction. Comme vous, je crois qu’il est du devoir de tous les patriotes français, d’où qu’ils viennent, de se lever pour le redressement et même, disons-le, le salut du pays », écrit-elle.

« La divergence que je m’autorise est de penser qu’une exhortation ne puisse suffire à sortir ce pouvoir défaillant de ses coupables habitudes », poursuit la présidente du RN. Alors que ces gradés annoncent que des « camarades d’active » sont prêts à passer à l’action, la présidente du RN, feignant de ne pas tout à fait comprendre de quoi le texte menace, leur explique qu’il ne faut pas en « rester au stade de l’expression d’une indignation, fût-elle puissante ».

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Pour elle, passer à l’action « exige en démocratie la recherche d’une solution politique qui doit se concrétiser par un projet d’alternance qui a vocation à être validé par le suffrage des Français ». Une mise au point légaliste immédiatement sapée par une dernière formule des plus sibyllines : « Je vous invite à vous joindre à notre action pour prendre part à la bataille qui s’ouvre, qui est une bataille certes politique et pacifique, mais qui est avant tout la bataille de la France. » Une « bataille pacifique » ou un « putsch démocratique »… des oxymores qui, à eux seuls, pourraient résumer toutes les ambiguïtés du FN/RN depuis sa création.

À gauche, les réactions ont rapidement fusé pour dénoncer les militaires séditieux. Jean-Luc Mélenchon, qui a depuis annoncé un signalement au procureur de la République, avait immédiatement condamné sur Twitter la « stupéfiante déclaration de militaires s’arrogeant le droit d’appeler leurs collègues d’active à une intervention contre les islamogauchistes ». Benoît Hamon s’était lui aussi insurgé contre cet appel au « coup d’État militaire » soutenu par Marine Le Pen. Tous deux ont aussi pointé, au cours du week-end, l’absence de réaction du gouvernement qui a fini, dimanche en fin de journée, à travers trois tweets de la ministre de la défense Florence Parly, par condamner tant l’initiative de ces généraux que le soutien apporté par Marine Le Pen. Dans une tribune publiée ce lundi dans Libération, Florence Parly fustige « 20 généraux à la retraite, irresponsables, qui ne représentent qu’eux-mêmes ». « Vouloir politiser les militaires, c’est faire insulte à leur mission », lance-t-elle également à l’adresse de Marine Le Pen.

Si Valeurs actuelles, qui faisait sa une la semaine dernière sur un appel à « l’insurrection » lancé par Philippe de Villiers, a incontestablement réussi un beau coup de com’, pour Marine Le Pen, qui ne cesse depuis dix ans de vouloir rendre respectable son parti, ce soutien affiché à ces adeptes du coup de force est assez embarrassant.

Le profil des signataires que la présidente du RN applaudit montre en effet ce que le parti s’emploie depuis toujours à dissimuler : sa collusion profonde avec les franges les plus radicales de l’ultra-droite. Saluer une menace de coup d’État : un sacré retour du refoulé pour le parti fondé par Jean-Marie Le Pen aux côtés d’anciens miliciens pro-nazi et des figures de l’OAS…

Les signataires de la tribune sont pour l’essentiel déjà engagés à l’extrême droite et appellent, pour certains depuis des années, à un sursaut de l’armée face à une guerre civile jugée inévitable.

Jean-Pierre Favre-Bernadac, l’animateur du blog Place d’Armes à l’initiative du texte, est un officier à la retraite. Son profil Facebook regorge des publications habituelles de la fachosphère relayant les articles de Boulevard Voltaire ou relayant des vidéos complotistes sur l’incendie de Notre-Dame. En 2016, il lance un appel qui donne une idée de son positionnement politique. « À cause de vos idées proches du Front vous avez été injurié, menacé voire pire. Ne restez plus invisible, prenez contact avec moi », écrit-il sur sa page personnelle. À l’époque, il signe déjà une tribune sur le site royaliste Politique magazine pour expliquer qu’une « guerre civile » se prépare. La cause de cette guerre n’est pas encore « l’islamogauchisme » mais « l’idéologie multiculturaliste qui ignore les réalités d’une cohabitation impossible ».

Autre figure connue de la fachosphère, Christian Piquemal est un ancien général, radié de l’armée pour son activisme d’extrême droite. Il a notamment été arrêté après avoir participé le 6 février 2016 (encore une date anniversaire pour les factieux…) à une manifestation interdite contre l’« islamisation de l’Europe ». Il a depuis rejoint le Cercle national de la résistance européenne présidé par Renaud Camus.

À l’époque, son ami le général Antoine Martinez, lui aussi signataire de la tribune, crée un comité de soutien pour le défendre. Ce retraité de l’armée de l’air a participé à la création des « Volontaires pour la France », au lendemain des attentats du 13-Novembre, pour « défendre l’identité française » et « combattre l’islamisation du pays ». Mediapart avait révélé que le groupe d’ultra-droite Action des forces opérationnelles, dont plusieurs membres ont été arrêtés en juin 2018 pour avoir préparer un attentat contre des musulmans, était une émanation plus « radicale » des VPF.

Le général Martinez avait été à l’initiative en 2018 d’ une lettre ouverte accusant Macron de « trahison » pour avoir signé le pacte de Marrakech sur l’immigration. Déjà signé par dix généraux (qu’on retrouve en partie dans les signataires de l’actuelle tribune), le texte mettait en garde le président en des termes des plus menaçants. « En décidant seul de signer ce pacte, vous ajouteriez un motif de révolte supplémentaire à la colère d’un peuple déjà malmené. Vous vous rendriez coupable d’un déni de démocratie, voire de trahison à l’égard de la nation. » Le texte était signé par le général Tauzin qui, après avoir échoué à se présenter à l’élection présidentielle de 2017, avait déclaré à Macron sur Facebook en pleine crise des « gilets jaunes » : « Nous sommes quelques officiers généraux tout à fait disposés à venir vous apprendre à faire de la politique. Éventuellement à prendre votre place si vous voulez partir, ce que, je pense, vous allez faire bientôt », comme l’avait révélé Le Canard enchaîné.

Preuve de la porosité entre ces généraux travaillés par le désir de coup de force et le parti de Marine Le Pen, trois signataires, au moins, ont des liens directs avec le parti d’extrême droite. Le général François Gaubert, qui a adhéré au FN en 2012, a été candidat aux législatives dans l’Hérault pour le parti de Marine Le Pen et est aujourd’hui élu RN au conseil régional d’Occitanie. Le général de Richoufftz a lui été investi par le RN au Grau-du-Roi (Occitanie) aux dernières élections municipales. Norbert de Cacqueray-Valménier, 73 ans, général de l’armée de Terre à la retraite, figurait aux dernières élections municipales sur la liste RN de Guillaume Péguy à Vannes… Une liste soutenue, un petit monde, par le général Didier Tauzin.

En ouvrant grand les bras à ces militaires tentés par le coup de force, Marine Le Pen prend le risque de voir s’évanouir tous ses efforts de normalisation, reléguant ses déclarations d’amour à la République au rang de triste farce. Le site Place d’Armes a d’ailleurs publié une réponse cinglante à la présidente du RN, soulignant ses ambiguïtés. « Il est pour le moins maladroit d’effectuer une opération de “racolage” pour des objectifs électoraux. Elle aurait pu simplement se dire en phase avec nos préoccupations. De plus, qu’elle se rassure, nous n’en resterons pas à de simples exhortations. Notre combat commence à peine, nous ne lâcherons rien tant que nous n’aurons pas atteint notre but : sauver notre pays de la destruction », écrit le site « ouvert à tous les militaires (…) qui aiment la France. »


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