Encore une élection ratée pour le PS – interne, cette fois-ci. Dans la nuit de jeudi, les deux camps qui s’opposaient pour le poste de premier secrétaire ont revendiqué la victoire. Dimanche, le parti a confirmé le maintien d’Olivier Faure, sans l’approbation de son rival.
Le Parti socialiste (PS) reste un objet fascinant, six ans après son effondrement et la perte de son statut de grand parti de gouvernement. Depuis jeudi 19 janvier et la clôture du vote pour le poste de premier secrétaire, tenu le jour d’une mobilisation sociale historique contre la réforme des retraites, deux versions s’affrontent sur l’issue du scrutin.
L’épisode rappelle les heures – déjà peu glorieuses – de la lutte sans merci que s’étaient livrée Martine Aubry et Ségolène Royal pour le contrôle du parti en 2008, ou du conflit ouvert entre deux héritiers du mitterrandisme, Lionel Jospin et Laurent Fabius, en 1990.
La différence, c’est évidemment que le parti n’est plus que l’ombre de lui-même et que les protagonistes ont changé. Cette fois-ci, la querelle sur les résultats du scrutin interne oppose le maire de Rouen, Nicolas Mayer-Rossignol, au premier secrétaire sortant, Olivier Faure, par ailleurs député de Seine-et-Marne. Le premier a annoncé sa victoire dans la nuit de jeudi, en invoquant son avance « sur 90 % des [suffrages] dépouillés ». Le second a immédiatement répliqué, en affirmant que « les militants socialistes [lui ont] renouvelé leur confiance ».
Vendredi matin, la direction a envoyé un communiqué de presse confirmant la victoire d’Olivier Faure avec 50,83 % des suffrages, soit seulement 393 de voix de plus que son rival, sur près de 23 759 officiellement exprimés. Problème : la commission de récolement des résultats ne s’était pas encore réunie, alors que ceux-ci étaient contestés. Dans son texte, la direction indiquait au demeurant que « les résultats définitifs seront proclamés à l’issue du vote des délégués du congrès de Marseille », qui débutera le 27 janvier.
« Concrètement, c’est très serré, confie un soutien de Nicolas Mayer-Rossignol. Il est donc irresponsable de procéder ainsi. Les résultats n’ont pas été validés ni même présentés de manière contradictoire. C’est le signe d’une grande panique du côté de la direction… » L’équipe du candidat rouennais affirme que des « irrégularités graves et manifestes » ont été commises, donnant une « image déplorable du parti ». Tout en souhaitant que le comptage soit correctement fait jusqu’au bout, elle avance ses propres chiffres, en soutenant que son champion a recueilli « au moins 50,5 % des voix ».
Du côté d’Olivier Faure, un premier fédéral, ayant requis l’anonymat, reconnaît que la confrontation a bien été serrée, mais affiche la certitude qu’une fois prises en compte toutes les irrégularités, l’avance d’Olivier Faure sera confirmée. « Nous avons proposé dès jeudi soir que la commission de récolement soit tenue dans la foulée, ce qui a été refusé par nos adversaires », se récrie-t-il. « Nous avons estimé qu’à 4 h 45, après une nuit blanche, les conditions n’étaient pas optimales », s’est justifié Nicolas Mayer-Rossignol vendredi, en début d’après-midi.
Entretemps, la direction a proposé une « opération transparence » à destination des journalistes. Fédération par fédération, les résultats remontés au siège national ont été passés en revue, de même que l’état des procès-verbaux, avec des commentaires sur la façon dont les règles du parti ont été respectées.
« Pour pouvoir délibérer, il faut d’abord se mettre d’accord sur ces données brutes », a déclaré à cette occasion Corinne Narassiguin, numéro 2 du parti. « Il n’y a pas de faits alternatifs », a-t-elle ajouté, en écho aux accusations de « trumpisme électoral » portées par des partisans de la majorité actuelle contre ceux de Nicolas Mayer-Rossignol. Ce dernier, toujours vendredi après-midi, a promis d’aller « jusqu’au bout ». Et réclamé la tenue d’une commission pour garantir la sincérité du scrutin.
Un vœu exaucé, puisque celle-ci s’est réunie durant le week-end. Ses travaux se sont achevés ce dimanche après-midi. Selon la direction, elle les « a clos [...] à la suite du refus de passer au vote des représentants de Nicolas Mayer-Rossignol ». « Après examen des procès verbaux des fédérations et étude des requêtes en irrégularité, et alors que les voix faisant l’objet de contestations ont été réservées », affirme le communiqué, le score finalement atteint par Olivier Faure serait de 51,09 % des suffrages exprimés. Mais l’équipe de Mayer-Rossignol dénonce toujours « un passage en force ».
Remontons le fil pour prendre la mesure du désordre actuel. L’an dernier, en amont de l’élection présidentielle pour laquelle Anne Hidalgo était parvenue à imposer sa candidature, les élites dirigeantes du PS n’hésitaient pas à présenter le parti comme la « force motrice de la gauche », contre tous les enseignements du nouveau paysage politique issu de 2017. Après le score humiliant de la maire de Paris, Olivier Faure a sauvé les meubles du parti – et sa propre peau, pensait-il – en s’intégrant dans l’union de la gauche dominée par La France insoumise (LFI).
La réussite du premier secrétaire sortant était d’avoir déplacé les enjeux du congrès de Marseille. Ce n’était plus le calamiteux résultat de la présidentielle qui serait au cœur de son bilan, mais la place du PS dans la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes), sans laquelle il n’aurait probablement pas eu un groupe aussi étoffé à l’Assemblée, de 30 député·es actuellement. Sauf que cet enjeu-là n’a pas permis à Olivier Faure de « tuer le match ».
L’actuelle union de la gauche, chose inédite, est en effet dominée par son aile la plus radicale – en l’espèce, La France insoumise. Non seulement la pilule est dure à accepter pour un parti qui faisait grand cas de sa « culture de gouvernement » et était habitué aux premiers rôles, mais la personnalité de Jean-Luc Mélenchon et la nature de son mouvement ne facilitent rien.
Une partie de la base socialiste craint de voir le parti dépendre toujours plus du leader insoumis, dont elle réprouve certaines des positions et redoute que son style, antagoniste, aliène durablement à la gauche un électorat modéré, nécessaire pour atteindre une majorité absolue à l’échelle du pays. Une série de controverses, depuis les déclarations de Jean-Luc Mélenchon sur Taïwan jusqu’à ses réactions à l’affaire Quatennens, en passant par la crise interne de son organisation, n’aura rien arrangé depuis l’été dernier.
L’accord de la Nupes a parfois été douloureux dans les fédérations.
Olivier Faure
C’est d’ailleurs sur ce terrain de la supposée satellisation du PS dans la Nupes, voire de son effacement, que les rivaux d’Olivier Faure ont le plus insisté dans leurs textes d’orientation respectifs. Son opposante historique Hélène Geoffroy, qui affirmait sans ambages qu’elle souhaitait suspendre la participation socialiste à l’union de la gauche, a logiquement apporté son soutien à Nicolas Mayer-Rossignol. Le positionnement de ce dernier, très « attrape-tout », a ainsi servi de plateforme de rassemblement à tous les acteurs ayant intérêt à faire chuter Olivier Faure.
Le député de Seine-et-Marne a d’ailleurs eu beau jeu d’ironiser sur les soutiens de son opposant, parmi lesquels François Hollande, comptable d’un quinquennat désastreux pour le gauche et le PS en particulier. S’il admet que « l’accord de la Nupes a parfois été douloureux dans les fédérations », il reproche à ses critiques de ne pas avoir de plan alternatif crédible, et a réfuté tout « alignement » sur les Insoumis. L’argument n’a pas assez porté pour s’attirer une majorité nette du corps militant.
En tout état de cause, le PS paraît déchiré. Premièrement en raison de la contestation des résultats, dont il faut attendre de voir comment elle sera gérée en interne, ou si elle sera carrément portée sur le terrain judiciaire. Deuxièmement en raison de la division profonde que le scrutin illustre.
« La réalité, c’est qu’il y a un malaise sur cette alliance », insiste l’élue parisienne Gabrielle Siry-Houari. Autrefois dans l’équipe de Faure, elle a rejoint le camp Mayer-Rossignol. « J’ai défendu l’accord électoral, explique-t-elle, mais l’alliance a provoqué des positions mi-chèvre mi-chou de la direction sur des sujets fondamentaux, pour ménager les Insoumis. Cette inhibition s’est vérifiée sur la politique sanitaire, les questions internationales, les violences faites aux femmes… Les militants le ressentent, sans quoi on n’aurait pas fait 50 %. »
Le parti sera-t-il ingouvernable, même si Olivier Faure reste à sa tête ? Le premier fédéral qui s’est confié à Mediapart se veut optimiste. Selon lui, il faut tenir compte du renouvellement à l’œuvre de la base militante : « Depuis l’accord de la Nupes, 2 000 personnes nous ont rejoints, qui n’avaient pas encore le droit de voter. Et les soutiens de Mayer-Rossignol sont très concentrés géographiquement, là où sont ses “sponsors”, notamment Carole Delga en Occitanie. »
L’entourage d’Olivier Faure a d’ailleurs fait circuler une projection du futur conseil national, le parlement du PS, dont les équilibres seraient bien en faveur du premier secrétaire sortant. Certes, il a actuellement deux sièges de retard, parmi les 204 qui ont été distribués sur la base du scrutin du 12 janvier dernier, lorsque les trois textes d’orientation ont été départagés.
Mais il reste aux fédérations, au mois de février, à élire leurs premiers secrétaires – soit 102 sièges. Et en comptant les endroits où les « fauristes » n’auront pas de rivaux, ou seraient sûrs de gagner, la majorité serait acquise. Qu’à cela ne tienne, les partisans de Nicolas Mayer-Rossignol contestent également ces chiffres. « Nous avons nos propres projections, et elles ne disent pas la même histoire », nous glisse Gabrielle Siry-Houari.
Aux querelles de fond, pas toujours très lisibles de l’extérieur, qui se sont exprimées à l’occasion de ce scrutin interne, s’ajoute donc maintenant une bataille autour de la démocratie interne. Le congrès, dont la majorité des délégués sera favorable à Olivier Faure, devrait entériner les résultats affinés dimanche... sauf si un recours en justice provoque de nouveaux rebondissements.
L’enjeu sera en tout cas de faire cohabiter tout ce petit monde, dans un parti dont le potentiel électoral s’est dramatiquement amenuisé, et qui réussit encore à renvoyer l’image d’une pétaudière à l’opinion. Le tout en plein cœur d’un conflit social qui met à l’épreuve l’exécutif du pays.
Fabien Escalona
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