Retraites : une violence injuste et inutile (Manu Bompard)

mardi 17 janvier 2023.
 

Après des mois d’un faux suspens, Elisabeth Borne a donc présenté ce mardi 10 janvier son projet de report de l’âge de départ à la retraite. Le report décidé avant les vacances de Noël n’aura pas permis de fracturer le front syndical qui s’avance totalement uni dans cette bataille. C’est une bonne nouvelle. Il aura permis d’afficher un accord avec les Républicains sur certains points du texte. Mais il n’est pas certains que celui-ci vaille accord sur le projet dans sa globalité pour l’ensemble des députés concernés. Ce qu’il va rester du débat parlementaire nous le dira peut-être.

Nous connaissons donc désormais les contours du projet. Bien sûr, nous ne disposons pas encore du projet de loi de financement dans son intégralité puisqu’il ne sera présenté que le 23 janvier en Conseil des ministres. Mais nous en savons suffisamment sur les détails de la réforme pour entreprendre un travail de démontage systématique des mensonges et contre-vérités sur lesquels elle repose.

Tout d’abord rappelons les trois principaux points de la réforme :

Relèvement de l’âge de départ à la retraite : de 3 mois par an afin d’atteindre un âge de départ à 64 ans en 2030 ;

Accélération de la réforme Touraine (votée sous le quinquennat de François Hollande) : 43 annuités nécessaires pour une retraite à taux plein en 2027 au lieu de 2035 prévue initialement ;

Fin des régimes spéciaux de retraite.

Pour justifier cette réforme, le gouvernement attise la peur. « C’est la réforme ou la faillite », déclare le ministre Gabriel Attal, hors de toute réalité économique. Car le système de retraite n’est pas en danger. Le Conseil d’orientation des retraites indique dans la page 9 de son rapport : « les résultats de ce rapport ne valident pas le bien-fondé des discours qui mettent en avant l’idée d’une dynamique non contrôlée des dépenses de retraite. ». Dans ses projections, le système serait légèrement déficitaire en moyenne sur les 25 prochaines années puis reviendrait en excédent à partir de 2040 et jusqu’à 2070 dans la majorité des scénarios modélisés.

On peut d’abord prendre ces projections avec beaucoup de prudence.

Une réforme inutile

Car les prévisions du COR dépendent d’un grand nombre de paramètres économiques et ne se réalisent pas toujours. Par exemple, le rapport du COR publié en 2013 prévoyait un déficit de 22 milliards pour l’année 2022. Le rapport du COR publié en 2019 prévoyait un déficit de 10 milliards pour cette même année 2022. Il y’aura finalement eu en 2022 un excédent de 3,2 milliards. Les prévisions, même à très court terme, peuvent varier en profondeur.

Même dans l’hypothèse où les prévisions du COR se réaliseraient, elles ne mettent pas en danger le financement du système. Le déficit s’élèverait à entre 10 et 12 milliards par entre 2022 et 2032, sur un montant total des pensions qui s’élève à 330 milliards. Pour donner un ordre de grandeur, 10 milliards, c’est par exemple ce que pourrait rapporter chaque année un rétablissement d’un impôt de solidarité sur la fortune renforcée. C’est moins que ce qu’aurait pu rapporter cette année une taxe sur les superprofits. La moitié de cette somme serait couverte par la mise en application de l’égalité salariale entre les femmes et les hommes (une telle mesure engendrerait une rentrée de cotisations supplémentaires de l’ordre de 5,5 milliards d’euros selon une étude du Corif de 2017). Surtout, en compensant à la Sécurité sociale les exonérations actuellement non-compensées, en soumettant à cotisation la retraite par capitalisation et en stoppant le gel du point d’indice des fonctionnaires, ce sont plus de 12 milliards d’euros qui rentreraient dans les caisses du système de retraite.

Une réforme d’une très grande brutalité sociale

En vérité, le chiffon rouge du déficit ne sert qu’à tenter de rendre acceptable une réforme d’une très grande brutalité sociale. Elle frappera en priorité les plus précaires. 25% des plus pauvres meurent avant 62 ans et près d’un tiers avant 64 ans. Avec cette réforme, c’est plus de 15000 personnes supplémentaires chaque année que l’on retrouvera au cimetière avant l’âge de la retraite.

Mais toute la population sera touchée : avec une espérance de vie en bonne santé de 64,6 pour les femmes et de 63,7 pour les hommes, c’est moins de temps en bonne santé à la retraite et plus de temps au travail avec des incapacités et des maladies. De manière générale, ceux qui ont travaillé le plus tôt souffriront le plus des conséquences de cette réforme mais la peine est la même pour tout le monde : 2 ans ferme !

Les femmes sont en toute première ligne : alors qu’elles gagnent en moyenne 28,5% de moins que les hommes, elles sont également plus exposées au temps partiel et aux carrières hachées ; les femmes partent donc en moyenne 7 mois plus tard que les hommes et avec des pensions directes inférieures de 41% à celles des hommes (chiffre de 2018). L’accélération de la réforme Touraine, et le maintien de l’annulation de la décote à 67 ans, va contraindre l’immense majorité des femmes à rester au-delà de 64 ans afin d’espérer une retraite à taux plein.

il n’y a rien de bon dans cette réforme

Même les mesures présentées comme un progrès social et visant à compenser l’injustice de la réforme n’en sont pas vraiment. La retraite minimum à 1200 euros, matraquée sur tous les médias, ne concernera pas 70% des gens qui touchent moins de 1200 euros de retraite et n’ont pas de carrière complète. Elle sera finalement un montant brut, duquel il faudra déduire des prélèvements. Surtout, elle était déjà dans la loi votée en 2003 et qui devait rentrer en application en 2008. En vérité, le gouvernement ne fait qu’appliquer une loi qui devrait s’appliquer depuis 15 ans.

De même, les annonces présentant une meilleure prise en compte de la pénibilité ne manquent pas d’air lorsque l’on se rappelle que c’est le président de la République Emmanuel Macron qui aura décidé de supprimer 4 des 10 critères pris en compte pour déterminer la pénibilité du travail (manutention manuelle de charges, postures pénibles, vibrations mécaniques et exposition aux risques chimiques).

Bref, il n’y a rien de bon dans cette réforme. Et il n’y a aucune place pour une quelconque amélioration puisque le gouvernement a refusé d’examiner d’autres pistes que celles du report de l’âge de départ à la retraite ou de l’augmentation de la durée de cotisation, comme le demandaient les organisations syndicales. Dès lors, l’objectif est la mobilisation générale du pays.

Nous mènerons la bataille sur tous les fronts.

Bataille parlementaire, bien sûr, pour pointer les contradictions du projet gouvernemental, alimenter la mobilisation sociale et présenter des propositions alternatives à celles du gouvernement. Nous déposerons à l’Assemblée Nationale avec nos collègues de la NUPES tous les amendements nécessaires pour faire ce travail malgré l’utilisation par le gouvernement d’une procédure baillon qui s’apparente à un 49.3 déguisé.

Bataille d’opinion, aussi, pour dénoncer les mensonges du gouvernement, convaincre du caractère nocif de cette réforme et de la nécessité de s’engager dans ce combat. Dans les médias bien sûr, mais aussi dans la rue. La France insoumise se mobilisera partout dans le pays autour de points d’infos retraites. Nous organisons avec nos partenaires de la NUPES des meetings partout en France, à commencer par le meeting qui aura lieu le 17 janvier au gymnase Japy à Paris. Nous mettrons en place des cafés populaires de décryptage du projet de loi, à l’image de la campagne contre le Traité Constitutionnel Européen (TCE) en 2005. L’idée est que chaque citoyen s’empare de ce sujet et devienne à son tour un relai de la campagne.

Bataille sociale enfin car seul le rapport de force permettra d’obtenir le retrait de ce texte. Dès lors, nous participerons à toutes les initiatives de manifestation et apporterons notre soutien total aux salariés en grève. Une première date a été posée par l’intersyndicale le 19 janvier. Nous y participerons de manière massive avec l’objectif de construire une première étape du grand mouvement social dont nous avons besoin. La marche du 21 janvier, à l’appel des organisations de jeunesse, y contribuera également. Au travail !


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