Interview de Jack Lang dans Paris Match sur son "entente de plus en plus cordiale avec Nicolas Sarkozy " "Je dis mille fois oui à Bill Clinton et Al Gore"

mercredi 24 octobre 2007.
 

Paris Match. Vous vous présentez comme un homme libre... mais vous êtes aussi très convoité. Après la remise du rapport de la commission Balladur à Nicolas Sarkozy, quels sont vos projets ?

Jack Lang. Ma mission ne s’achève pas avec la remise du rapport la semaine prochaine, plus tôt que prévu, car nous avons carburé dur. Je vais me battre pour convaincre le chef de l’Etat et les partis politiques, notamment le P.s., d’accepter notre projet et de le voter au plus tard en janvier prochain. Je serai un porte-parole actif.

Est-ce votre participation à la commission sur la réforme de la Constitution qui explique votre entente de plus en plus cordiale avec Nicolas Sarkozy ?

Je connais Nicolas Sarkozy depuis quinze ans. J’ai réussi dans le passé à lui faire “bouger les lignes” là où un homme de droite classique aurait érigé un mur de bronze. Par exemple, en 2003, quand, ministre de l’Intérieur, il a fait abroger la double peine, qui était monstrueuse. Ou encore lorsque je l’ai convaincu de faire la paix avec les musiciens électroniques et les organisateurs de concerts techno que l’administration pourchassait.

Concernant la Constitution, il n’était pas contraint d’ouvrir ce chantier à haut risque. Je porte à son crédit d’être le premier à décider de changer assez profondément les institutions.

Vous qui avez été un proche de François Mitterrand, comment pouvez-vous vous sentir à l’aise avec Nicolas Sarkozy ?

Je n’ai jamais travaillé avec lui. Nos rapports sont aisés. Je n’aime pas toutes ses idées, loin de là. Mais il est un homme de droite sculpté d’une pâte particulière. Il m’intrigue ou me plaît. J’apprécie sa juvénilité et son intrépidité. Il prend des risques. Comme Victor Hugo le fait dire à Hernani, “c’est une force qui va”, un homme d’action, même s’il ne donne pas nécessairement le sentiment de savoir où il va. Et puis, je déteste les fumistes. Lui c’est un pro.

« L’idée même que j’accepte une ambassade pour m’y momifier vivant est grotesque. Je n’ai pas envie de devenir porte-valises de ministres »

Mais peut-on se dire de gauche et travailler main dans la main avec la droite, sans avoir le sentiment de trahir ?

J’appartiens à une autre famille de pensée que la majorité actuelle. Je suis très profondément à gauche, et je mourrai à gauche. Mais j’ai toujours pensé qu’entre les dirigeants en place et les députés d’opposition, dont je suis, il n’y a pas un mur de Berlin avec du fil de fer barbelé.

Vous êtes donc prêt à entrer au gouvernement ?

La question ne se pose pas en ces termes. Dans une telle éventualité, je n’engagerai pas seulement ma personne mais, à travers moi, une histoire, un combat, celui de François Mitterrand auquel me lient une reconnaissance, une admiration et une affection.

Face à la dégradation de notre patrimoine, vous auriez dit à Nicolas Sarkozy que le poste de ministre des Grands Travaux vous plairait.

Je n’ai jamais rien proposé. Ministre de la République, je l’ai été pendant douze ans. C’est un record. Je déteste être embrigadé. Je n’accepterai une fonction ou une mission que si je me sens légitime à l’exercer et en harmonie avec mes convictions.

Quel service rêvez-vous parfois de rendre ?

Pour le pays, je rêve que la priorité des priorités soit un investissement massif de l’Etat dans l’intelligence, la créativité, la culture, l’éducation et la recherche. Car c’est tout cela l’avenir. Si l’Allemagne nous dame le pion, c’est parce que depuis des années elle a accordé beaucoup plus d’argent à l’innovation.

Vous vous sentiriez donc bien mal dans un gouvernement qui, en priorité, a fait voter le paquet fiscal en faveur des riches ?

C’est exact. Je ne comprends toujours pas que le président de la République et sa majorité aient désarmé l’Etat aussi brutalement en le privant de 15 milliards d’euros.

Et les tests A.d.n. pour limiter l’immigration, dites-vous, comme Fadela Amara, que c’est “dégueulasse” ?

C’est une jeune ministre. Elle parle avec ses tripes. Mais c’est fondé.

Autres critiques sur le gouvernement Sarkozy ?

Je suis contre sa politique fiscale, sa politique sociale, les tests A.d.n., et j’estime qu’il entretient des relations trop cordiales avec George W. Bush. Je dis mille fois oui à Bill Clinton et Al Gore, mais j’ai la détestation de l’Amérique actuelle, celle de la guerre en Irak, de la pollution, des exécutions capitales au Texas, bref, de la réalité la plus horrible.

Votre collègue socialiste Bernard Kouchner a quand même accepté d’être ministre des Affaires étrangères.

Je ne veux jeter l’anathème sur personne, ni exonérer personne. J’ai ma boussole et ma conscience. Chacun agit selon son cœur et sa raison.

Qu’approuvez-vous dans la politique Sarkozy ?

Je dis oui à la révision constitutionnelle. Oui au traité européen simplifié. Oui au projet d’union méditerranéenne. François Mitterrand avait lancé l’idée, sans la réaliser, d’une organisation des Etats riverains de la Méditerranée. Aujourd’hui, Sarkozy défend avec force ce projet. Je ne veux pas de mission sur ce dossier mais j’organiserai au printemps un congrès méditerranéen avec les personnalités les plus marquantes de chaque pays, scientifiques, artistes, universitaires...

Que pensez-vous de l’ouverture ? Les ministres socialistes apportent-ils une valeur ajoutée ou sont-ils “de pâles figures”, comme les qualifie Benoît Hamon ?

J’étais un peu colère quand ils sont entrés au gouvernement, juste avant les législatives. Ils ne nous ont pas facilité la tâche. On a dû ramer. Pour le reste, dussé-je en scandaliser certains, je pense que l’ouverture n’est ni un sacrilège ni un crime contre l’esprit de la démocratie. Nous avons un système exagérément majoritaire, un système couperet, guillotine. Soit on est noir, soit on est blanc. C’est une anomalie.

D’aucuns vous disent preneur d’une ambassade à Rome.

L’idée même que j’accepte une ambassade pour m’y momifier vivant est grotesque, fût-elle à Rome. Je n’ai pas besoin d’être ambassadeur pour aller contempler sans m’en lasser la beauté du palais Farnèse. Je respecte le métier d’ambassadeur, mais ce n’est pas ma tasse de thé. Je n’ai pas du tout envie de devenir porte-valises de ministres.

« Je ne m’exonère pas de la responsabilité collective de la défaite de Ségolène Royal. Nous n’avons pas été à la hauteur »

On vous dit aussi prêt à diriger une liste pro-Sarkozy pour les prochaines municipales à Paris.

Encore une fantasmagorie. Pourquoi irais-je me dresser contre Bertrand Delanoë, qui a accompli un premier mandat avec succès en apportant à la ville des changements ? Ce serait absurde.

Allez-vous reprendre du service au P.S., dont vous avez quitté le secrétariat en juillet ?

Pour l’heure, non. Pendant cinq ans j’ai bossé comme un fou pour le P.S., nuit et jour, y compris le samedi et le dimanche. J’ai ressenti douloureusement la campagne et ses suites.

Etes-vous un déçu de Ségolène Royal, que vous avez soutenue ?

Je ne m’exonère pas de la responsabilité collective. C’est tous ensemble que nous n’avons pas été à la hauteur.

Faut-il désigner en 2008 ou en 2010 le leader du P.s. pour la présidentielle de 2012 ?

Inutile de nous presser. On ne va pas le fabriquer artificiellement. La renaissance du P.s. ne se fera que si trois conditions sont remplies : un leader, une vision et une organisation modernes. Je ne vois pour l’instant aucun des trois.

(paru dans Paris Match nr 308 du 8 octobre 2007)

interview Elisabeth Chavelet


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