La censure préalable d’une enquête de Mediapart provoque un tollé et une proposition de loi

vendredi 2 décembre 2022.
 

Après la décision de censure préalable contre nos informations sur les pratiques du maire de Saint-Étienne Gaël Perdriau, des élus, notamment de la Nupes, plus d’une trentaine de sociétés de journalistes, des avocats et des ONG dénoncent une mesure liberticide incompréhensible.

Le communiqué a paru mardi 22 novembre au soir et il est signé par l’ensemble des groupes qui composent la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) à l’Assemblée nationale. On y lit que « dans une démocratie et un État de droit digne de ce nom, il est incompréhensible que des procédures de censure avant publication et non contradictoires puissent être utilisées contre la presse ».

Cette réaction des député·es de la Nupes vient s’ajouter à celles des avocat·es, des journalistes et des défenseurs des libertés qui, depuis 24 heures, s’indignent du scandale judiciaire déclenché par le tribunal judiciaire de Paris, faisant injonction à Mediapart, sans débat contradictoire préalable, de ne pas publier de nouvelles révélations sur les pratiques politiques du maire de Saint-Étienne, Gaël Perdriau.

Mardi matin, la sénatrice centriste Nathalie Goulet s’est saisie de l’affaire en déposant une proposition de loi visant à interdire les ordonnances sur requêtes en matière de presse, laquelle serait ainsi exclue des articles du Code de procédure civile qui ont permis la censure préalable de notre enquête. Il s’agit d’un article unique visant à compléter l’article 5 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse par une phrase ainsi rédigée : « Une publication ne peut être interdite qu’en application d’une décision judiciaire rendue contradictoirement. »

« C’est une procédure très classique mais, en l’espèce, appliquée en matière de presse, ça conduit à une aberration,explique Nathalie Goulet, avocate de profession, à Mediapart. Le critère du non-contradictoire et l’atteinte à la liberté de la presse forment un cocktail explosif : c’est une atteinte totalement disproportionnée à la liberté de la presse. Il faut très simplement interdire ce type de procédure en matière de presse, cela fera jurisprudence. » Le président de la commission de la culture au Sénat, Laurent Lafon (Union centriste), soutient cette proposition.

« Si une clarification législative doit être opérée afin de ne pas entraver le droit fondamental à l’information, alors nous agirons de concert », affirme la députée communiste Soumya Bourouaha au sujet de cette proposition de loi. Et de poursuivre : « Si, en tant que législateur, il convient toujours d’être prudent lorsque l’on se prononce sur une décision de justice particulière, il m’appartient de veiller à ce que la liberté de la presse soit garantie et le travail journalistique ne subisse aucune entrave. »

Des messages de soutien venus de tous les horizons

Comme bon nombre d’autres membres de la commission des affaires culturelles et de l’éducation sollicités par Mediapart, l’élue de Seine-Saint-Denis a apporté un soutien à la rédaction. Depuis lundi et avant même la parution du communiqués de la Nupes, d’autres l’avaient fait publiquement sur les réseaux sociaux, à l’instar de l’écologiste Sophie Taillé-Polian, du président du groupe socialiste au Palais-Bourbon, Boris Vallaud, ou de la députée La France insoumise (LFI) Clémentine Autain.

« Même Isabelle Balkany défend Edwy Plenel et ses journalistes », note le Huffington Post au sujet de ce tweet de l’ancienne responsable politique, condamnée en 2020 à trois ans de prison pour fraude fiscale. Outre les élu·es, cette censure préalable a aussi suscité de vives réactions parmi les défenseurs du droit de la presse. « De mémoire judiciaire, jamais une telle interdiction préventive d’une publication de presse, qui constitue une mesure de censure préalable pure et simple, n’avait été prononcée par un magistrat », a ainsi écrit l’Association des avocats praticiens du droit de la presse.

Les syndicats de journalistes (SNJ, SNJ-CGT, CFDT) ont eux aussi fait connaître leur indignation contre « une décision de justice inédite et contraire au droit de la presse », selon les termes du communiqué du SNJ. Plus de 35 sociétés de journalistes (SDJ), du Monde à Marianne, en passant par Libération, BFM, Télérama ou TF1, ainsi que des confrères étrangers, comme la Fédération internationale des journalistes, ou des responsables de rédaction ont également apporté leur soutien à Mediapart.

« Cette censure préalable, décidée sans débat contradictoire, est une grave et flagrante attaque contre la liberté de la presse, peut-on lire dans le communiqué commun des SDJ, des associations de défense du droit à l’information et des collectifs de journalistes. Cet acte liberticide nous inquiète profondément quant à la situation de la liberté de la presse en France. » Le site Les Jours a même proposé de publier notre enquête en cas de confirmation de cette interdiction, une idée relayée par les directeurs de la rédaction de Libération, de Politis, par le directeur de L’Humanité et le cofondateur d’Atlantico, comme par nos partenaires de Mediacités.

Pour Reporters sans frontières (RSF), cette décision est « un contournement dangereux et flagrant de la loi du 29 juillet 1881 qui protège la liberté de la presse ». La Maison des lanceurs d’alerte ou l’ONG Transparency International ont elles aussi fait connaître leur solidarité envers notre rédaction. Quant au Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil), il « déplore une dangereuse atteinte à la liberté d’expression et à la liberté d’informer » et rappelle que le « législateur doit veiller à ce que le droit commercial ne puisse pas être utilisé pour censurer des journalistes ».

La rédaction de Mediapart


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message