Abstention : 1 approche multilatérale.

samedi 6 août 2022.
 

L’abstention a différents aspects et différentes causes que nous allons examiner ici. Leurs connaissances est de la plus haute importance pour les militants de la gauche populaire.

1 – Les causes politiques de l’abstention.

1. 1 –Un bilan instantané : L’abstention aux élections législatives 2022.

Pour ce second tour, 54% des Français inscrits sur les listes électorales ne se sont pas déplacés, dimanche 19 juin.

Parmi eux,

22% estiment qu’aucun des candidats présents ne correspond à leurs idée au soir du second tour.

19% des abstentionnistes estiment que les candidats ne parlent pas assez des sujets qui les préoccupent,

17% disent n’avoir pas pu être disponibles pour voter.

Pour 15% des abstentionnistes, les jeux étaient déjà faits et pour 14% d’entre eux il n’y a pas eu de campagne électorale.

Enfin, 13% des électeurs abstentionnistes disent que cette élection n’aura pas d’impact sur leur vie ou la situation du pays, et qu’ils ne s’intéressent pas à la politique de manière générale et qu’ils ne connaissent pas les candidats qui se présentent dans leur circonscription.

Pour 86,2 % des interrogés, les hommes politiques français se préoccupent surtout de leur carrière et, pour 67 %, ils sont coupés de la vraie vie des Français. Pour 35,9 % des personnes sondées, ne pas aller voter traduit un mécontentement, tandis que 27,6 % considèrent que voter ne sert à rien et 23,9 % ne se sentent pas représentés par les candidats.

Source : voir document (2)

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Les arguments avancés par les abstentionnistes dans le préambule précédent peuvent se classer dans les catégories suivantes :

1) Une crise de la représentation politique : les élus sont « hors sol », couper des réalités sociales vécues par les gens. Ou bien défendent essentiellement leurs intérêts de notable étant devenu des professionnels de la politique.

2)Un manque de conscience de l’importance des enjeux politiques d’une élection pouvant impacter la vie concrète des gens, 1 indifférence à la vie politique dont on ne se sent pas concerné.

3) Un manque d’information individuelle concernant les candidats, les programmes.

4) La manipulation médiatique notamment avec les sondages faisant croire que « tout serait joué d’avance ».

Voici ainsi une étude en instantané. Examinons maintenant les causes politiques de l’abstention dans la durée. *

1. 2 – La croissance de l’abstention avec le temps.

a) En France, comme dans la plupart des pays d’Europe, depuis les années 1980, se succèdent des gouvernements de droite et de gauche ayant chacun la même vision néolibérale de l’économie.

Ainsi, malgré ces changements successifs de majorité politique, les problèmes économiques et sociaux se perpétuent et ont même tendance à s’aggraver. À quoi bon voter, puisque rien ne s’améliore : persistance du chômage, de la précarité, affaiblissement des services publics, etc. ainsi les majorités successives de droite et de gauche se réduisent au cours du temps.

Les vestiges de ces droites et de ses gauches s’agglutinent en 1 hyper center ou en des coalitions variées pour maintenir l’hégémonie économique de la classe dominante. Pendant ce processus de décomposition/recomposition l’abstention ne cesse d’augmenter parallèlement à 1 montée progressive de l’extrême droite qui capte une partie de la colère populaire, « les laissés-pour-compte de la mondialisation ».

* b) Il ne faut pas non plus oublier le rôle des médias dans la construction de l’abstention. Le dénigrement quasi systématique des médias dominants des forces politiques alternatives comme le Front de Gauche, puis la France Insoumise puis la NUPES décourage un certain nombre d’électeurs de voter pour ces mouvements politiques alternatifs. Pour bien préciser le mécanisme d’action de cette propagande, considérons 1 ensemble d’électeurs E favorables à l’élection de Mélenchon ou au programme de LFI. Mais ces électeurs sont intoxiqués par cette propagande qui se développe sur plusieurs thèmes de dénigrement touchant chacun 1 cibleA, B, C, D, etc. l’électeur favorable a priori à Mélenchon ou à LFI se dit alors : A : oui, mais Mélenchon est islamo gauchiste B : oui mais, Mélenchon est anti républicain C : oui mais Mélenchon est laxiste avec la délinquance et l’immigration D : Mélenchon est anti flic et se préoccupe peu de l’ordre public même si les médias « non convaincus » que quelques milliers d’électeurs par groupe, la réunion de ces différents groupes peut donner 1 effectif de plusieurs centaines de milliers de personnes. C’est intox a certes 1 efficacité limitée mais elle ne peut être négligeable lorsque l’on en connaît l’ampleur comme l’a analysé l’association Acrimed dont nous avons rendu compte sur ce site. Il n’est pas impossible que des études d’impact de cette propagande soient réalisées par des sondages tenus secrets. Cette politique militante médiatique a donc 2 effets : affaiblir les mouvements politiques alternatifs et augmenter l’abstention.

* c)Un autre facteur politique intervient dans l’abstention : le rôle accru des institutions européennes qui remet largement en cause la souveraineté nationale, le chef de l’État ne faisant qu’appliquer avec le Parlement des prérogatives décidées à la commission européenne. *

d) Autre facteur politique à prendre en compte : la disparition de la guerre froide Est/ouest avec l’effondrement de l’URSS et la réunification de l’Allemagne ont affaibli la critique anticapitaliste et à renforcer l’idéologie libérale de la classe dominante capitaliste qui lui permet de dire qu’il n’existe pas d’alternative possible à son système. Ayant intégré cette croyance, 1 certain nombre d’électeurs de gauche se dise alors : « À quoi bon voter si ce n’est que pour modifier le système qu’à la marge ? »

La gauche radicale est donc face à 2 difficultés : sa participation passait à 1 gauche de gouvernement ou sa contribution à son élection et expliquer qu’il est possible de construire 1 alternative ou 1 rupture avec le capitalisme sans sombrer dans 1 socialisme d’État bureaucratique. L’extrême droite l’attaque sur la 1re difficulté et les libéraux l’attaque sur la seconde. L’exploit de Mélenchon est d’avoir réussi à créer 1 pôle d’union populaire sur 1 ligne de rupture. Ce faisant, il a réussi à diminuer le taux d’abstention chez les jeunes et les classes populaires. Mais encore beaucoup de travail reste à faire pour provoquer le basculement d’unepartie importante des abstentionnistes vers le bloc populaire. Cela ne peut se réaliser que par 1 travail continu de terrain.

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2 – Les causes économiques.

L’abstention se développe en Europe et en France à partir de la fin des années 1980 avec la mise en œuvre des politiques néolibérales dont connaît les effets néfastes : augmentation de la précarité des emplois et du chômage, croissance de la pauvreté et des inégalités sociales, destruction progressive des services publics et de la protection sociale, assujettissement des états aux intérêts des firmes multinationales, désindustrialisation et délocalisation, etc. Fasse a 1 tel bilan désastreux qui ne fait que s’aggraver de législature en législature, bon nombre d’électeurs en conclut qu’il ne sert à rien de voter puisque leurs conditions de vie ne fêtent que se détériorer. Au fil du temps, 1 certain fatalisme puis 1 certaine résignation envahisse les esprits. Les électeurs ont l’impression qu’ils n’ont plus aucune emprise sur leur destin. **

3 – Les causes socio-économiques.

Elles sont les conséquences des causes précédentes. La division internationale du travail et l’utilisation intensive de la sous-traitance par les grosses entreprises fragmentnte les collectifs de travail. Et rendent difficile la mise en place d’organisations syndicales. À cela s’ajoute la personnalisation et la diversification des métiers qui rendent plus difficile les solidarités entre travailleurs. Les nouvelles techniques de management et dans, on assiste à 1 montée en puissance de l’individualisme voir même parfois des rivalités entre travailleurs notamment avec les immigrés. Or des études sociologiques montrent que l’appartenance à 1 syndicat, à 1 association ou plus généralement 1 collectif de travail solidaire favorise la participation des travailleurs à des élections politiques. Ainsi, cette désagrégation du lien social favorise l’abstention.

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4 – Les facteurs sociologiques de l’abstention

Facteur un : l’âge et l’attachement à 1 tradition. Plus on est vieux, plus on vote. Le taux d’abstention chez les retraités se situe entre 10 et 20 pour cent mais chez les jeunes il peut atteindre 70 %. Les personnes plus âgées sont plus sensibles à la notion de « devoir citoyen » de voter même si on n’a pas 1 idée très claire de la motivation qui pousse à voter pour X ou Y. Cet attachement à 1 tradition peut être de nature républicaine religieuse : le taux d’abstention chez les catholiques pratiquants par exemple est relativement faible.

Les jeunes sont moins sensibles à à cette forme de « conformisme social ». Ils n’ont pas non plus l’expérience sociale ou politique des plus âgés. Mais cela ne signifie pas que les jeunes ne s’intéressent pas la politique : ils peuvent s’investir dans des associations écologiques, caritatives, etc.

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Facteur 2 : le revenu. Plus on est pauvre, moins on vote, plus on s’abstient. Plus on est riche, plus on vote, moins on s’abstient la corrélation entre les 2 courbes : taux d’abstention et revenus est impressionnante. De surcroît, les personnes aisées fondées dont aux partis politiques qui défendent leurs intérêts : 10 % d’entre elles financent les parties politiques contre 0,8 % dans la population générale. Voir le livre : Le prix de la démocratie de Julia Cagé. Les 66 % de remise fiscale concernant ces dons sont financées par le trésor public c’est-à-dire par l’ensemble des électeurs. Le livre montre que finalement, ce sont les personnes les moins aisées que par leurs impôts financent les dons des personnes les plus riches ! Livre très intéressant donc. C’est donc la double peine pour les abstentionnistes pauvres : ils laissent les riches voté à leur place et finance les dons des riches aux parties qui vont les appauvrir encore plus. *

Facteur 3 : les catégories socioprofessionnelles. Depuis des années, environ 2/3 des ouvriers et un peu moins d’employés s’abstiennent aux différentes élections. Les cadres moyens s’abstiennent moins les cadres supérieurs un peu moins que les cadres moyens. Néanmoins dans ces catégories, l’abstention augmente aussi. Le niveau de qualification étend souvent lier au niveau de diplôme, on constate 1 phénomène analogue avec la durée de la scolarité et des études en général. L’abstention la plus élevée se trouve chez les électeurs les moins diplômés. Ce niveau d’abstention liée à l’arrière archi sociale se trouve d’une manière similaire dans l’électorat du FN puis du RN. * Facteur 4 : l’affinité politique. Les électeurs de la gauche de la gauche radicale s’abstiennent plus que les électeurs centristes et de droite selon les élections. Certains électeurs « anti système » de gauche considèrent que le système politique est trop pipé pour avoir la moindre chance d’arriver au pouvoir par les urnes : découpage électoral inégalitaire, dénigrement systématique des médias, temps de parole ultra minoritaire, inégalités des moyens financiers dans l’organisation des campagnes électorales,… d’autres considèrent que les institutions sont trop pourriess est vassalisée par les grosses entreprises capitalistes pour s’en servir comme moyen de transformation sociale. D’autres encore considèrent que même si Mélenchon arrivait au pouvoir, il serait rapidement balayé par 1 sabotage ou 1 blocus économique des multinationales industrielles et financières. Ce genre de considération que l’on trouve fréquemment dans le milieu libertaire conduise à s’abstenir ou à voter blanc. Ces manières de voir constituent des formes du défaitisme. * Facteur 5 : la géographie sociale. Depuis les années 1975 l’abstention devient de plus en plus massive dans les quartiers comprenant des grands ensembles, 1 logement locatif populaire qui peut contraster avec 1 taux de participation électorale beaucoup plus important dans les centres-villes ou quartiers « bourgeois ». Évidemment, ce facteur géographique est à croiser avec les facteurs vu précédemment. Les zones rurales abandonnées par le commerce, les services publics sont des zones où fleurissent l’abstention ou le vote RN. C’est là que l’on peut percevoir d’une manière claire les effets d’une crise du militantisme politique. * Un autre paramètre géographique est à prendre en compte mais n’est pas à proprement parler de nature sociologique mais de nature institutionnelle : à quel niveau territorial est organisé le vote : communes, départements, régions, nations, Europe ? Les taux d’abstention traditionnellement les plus élevés concernent les élections départementales et régionales puis Européennes. Les taux d’abstention traditionnellement les moins élevés concernent les élections municipales, l’élection présidentielle et les élections législatives. Mais même dans ces derniers cas où autrefois, avant les années 1980 les taux d’abstention étaient de l’ordre de 20 % les atteignent progressivement 30 %, 40 % et maintenant plus de 50 %. Les abstentionnistes changent d’un type d’élection à l’autre : on parle d’abstention intermittente. « Le bloc » des abstentionnistes est en réalité hétérogène et mouvant. Abstention importante aux élections départementales, régionales et européennes s’expliquent en bonne partie par 1 méconnaissance des structures institutionnels assez différents niveaux et au rôle des élus qui opèrent dans ces institutions. 1 rapport de l’inspection générale de l’éducation nationale a montré il y a quelques années combien l’instruction civique dans les établissements scolaires était très insuffisante. La multiplicité des structures : communes communauté d’agglomération, département, région est difficilement lisible pour la plupart des citoyens. Les médias plus préoccupés d’entretenir 1 dépolitisation de la population que d’améliorer l’information des citoyens dégage très peu de temps dans ces programmes pour faire comprendre le fonctionnement de ces différentes structures. D’une manière analogue, les médias sont prompts à parler de la dette publique mais n’explique jamais de quoi est constitué le budget de l’État et comment il fonctionne.

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Conclusion.

Les explications précédentes ne doivent pas faire oublier ce qui me semble constituer la cause essentielle de l’abstention : le manque de formation politique et de conscience de classe des citoyens, l’absence d’une information de qualité des grands médias ; l’inexistence d’un organe statistique accessible aux citoyens permettant, d’une manière claire, de connaître les bilans de l’activité gouvernementale dans les différents domaines économiques, écologiques, social et politique. Et notamment 1 bilan des investissements dans les différents services publics civils et militaires.

Une autre cause liée à la précédente est 1 trop grande faiblesse du militantisme de la gauche radicale notamment en zone rurale et dans les quartiers populaires. La création de groupes d’actions de la NUPES au niveau des circonscriptions devrait améliorer ce militantisme encore trop faible.

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Les ressources utilisées dans le texte précédent.

Nous avons voulu synthétiser les données tout en les complétant figurant dans ses différents documents en évitant de submerger le lecteur par 1 flot de statistiques que l’on peut retrouver dans ces documents.

* (1) Les raisons de l’abstention, législatives 2022. France Télévisions https://www.francetvinfo.fr/electio... *

(2) Abstention et défiance envers les parties dans les milieux populaires

https://www.gauchemip.org/spip.php?... ** (3) Abstention et report de voix aux législatives de 2022. Public Sénat https://www.publicsenat.fr/article/...

*

(4) Étude de l’abstention sur une longue durée pour divers types de scrutin.The conversation La cause cachée de la montée de l’abstention. https://theconversation.com/la-caus... *

(5) Autre étude de l’abstention sur une longue durée. Vie publique Comprendre le phénomène de l’abstention. https://www.vie-publique.fr/parole-... **

Le vote et l’abstention en temps de crise (6) Céline Braconnier Dans Savoir/Agir 2010/3 (n° 13), pages 57 à 64

https://www.cairn.info/revue-savoir...

*

(7) L’abstention est-elle une « pathologie sociale » ? [*] Frédéric Lebaron Dans Savoir/Agir 2012/1 (n° 19), pages 99 à 105 https://www.cairn.info/revue-savoir...

*

(8) L’abstention, un enjeu central pour la gauche de rupture. Contretemps https://www.contretemps.eu/abstenti...

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(9) évolution du vote blanc et nul. Basta

« Depuis de nombreux scrutins, on crée des majorités fictives, et cela cache une grosse instabilité » VOTE BLANC 12 avril 2022 par Emma Bougerol

Les votes blancs et nuls sont en augmentation constante. Pour le sociologue Jérémie Moualek, cela dénote une crise profonde de la démocratie représentative, avec certains électeurs attachés au vote mais qui ne croient plus les candidats. Entretien. https://basta.media/presidentielle2...

*

(10) Quand les mots de l’abstention parlent des maux de la démocratie Denis BARBETp. 53-67. Journal Open édition https://journals.openedition.org/mo...

* 11) Comprendre l’abstention par la géographie sociale de Nantes. (Université de Nantes) https://asmn.univ-nantes.fr/index.p...

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Hervé Debonrivage


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