Zemmour, Roussel : le gros bide des chouchous des médias

lundi 2 mai 2022.
 

À quelques jours du dénouement de cette élection, petit détour sur ceux qui ont été les chouchous médiatiques de la présidentielle : Éric Zemmour et Fabien Roussel.

On ne présente plus le cas Zemmour, candidat surprise – un temps (long) – dans ce premier tour de l’élection présidentielle. Tour à tour présenté comme éditorialiste, polémiste ou chroniqueur, il est désormais le patron d’une nouvelle organisation d’extrême droite, Reconquête, qui a largement occupé l’attention politique. Au point que pas une matinale, pas une interview politique, ne faisait pas mention du dernier commentaire d’Éric Zemmour, obligeant les responsables politiques à se positionner. Ce faisant, si le candidat d’extrême droite a perdu son pari, il a gagné la bataille politique : il a donné le ton de cette campagne électorale.

Éric Zemmour doit son rond de serviette médiatique à un autre facteur : ses attaches avec le groupe Bolloré et ses juteuses émissions sur CNews. Selon Le Parisien, Éric Zemmour touchait entre 20 et 30.000 euros nets rien que pour ses apparitions sur la chaîne d’extrême droite. Ses importants fonds personnels lui ont ensuite permis de faire campagne sans appuis partisans prédominant.

Pour Nicolas Kaciaf, sociologue des médias, il ne faut pas trop rationaliser ce processus : « Il est très peu probable qu’il y ait eu une réunion organisée chez Vivendi pour coopter Zemmour comme candidat ». Seulement, l’espace médiatique créé par Vincent Bolloré demeure aux services des droites dans toute leur composante. CNews assume. « Financièrement, c’est très économique pour Bolloré, car faire une information d’extrême droite coûte peu : il n’y a pas besoin de partir en reportage. On a aussi un phénomène "lèche-cul du patron" où les journalistes vont parfaitement s’aligner avec l’angle éditorial voulu par Bolloré. Cela va donner une cohérence en finalité à cet espace », indique le sociologue.

Roussel, candidat de gauche préféré de la droite

Sur un tout autre front, le candidat du PCF a été félicité dans un large espace médiatique dit mainstream. Selon Nicolas Kaciaf, cela s’est fait par les commentaires de dynamiques de campagne, une manière de soutenir le candidat sans se mouiller idéologiquement. Le sociologue a remarqué que Fabien Roussel bénéficiait d’une double entrée dans le paysage médiatique : « Le front laïcard – proche de Macron – le soutient pour ses positions républicaines très bienveillantes à l’égard des forces de l’ordre. On note également une irruption dans le pôle national, car Roussel a sur-joué ce que j’appellerais le côté "Français moyen", c’est à dire l’attachement à un certain nombre de goûts et de valeurs que la gauche intellectuelle de centre-ville essayerait d’enlever aux classes populaires », reconnait-il.

D’après lui, c’est une stratégie politique éprouvée depuis longtemps à gauche : « Les classes populaires sont la raison d’être de la gauche, donc elle veut défendre ses intérêts. Sauf que les classes populaires blanches, majoritaires dans l’espace social ont peu à peu déserté la gauche au profit du vote d’extrême droite. Francois Ruffin avait déjà posé cette question dans Fakir, il y a une dizaine d’années. Comment se positionne-t-on pour attaquer le Front National, sans attaquer ses électeurs ? », s’interroge le sociologue. Et dans son histoire, le PCF a toujours voulu se préoccuper de la culture populaire : « L’Humanité dans les années 1950 a été un des journaux qui a consacré le plus de place – au prorata du nombre de pages – pour le tour de France cycliste. La gauche a la volonté de garder un lien fort avec le gout et les valeurs populaires », ajoute-t-il.

Sauf que Fabien Roussel, « en esquivant la question de la diversité, et des autres rapports de domination, est sur la même ligne que les personnalités du Printemps républicain. Cela reste une posture tactique je pense, mais il y a quand même l’idée que ces sujets viendraient diviser la société et rompre avec l’universalisme », rajoute Nicolas Kaciaf. Finalement, les éditorialistes des chaînes d’information fabulent devant une gauche passéiste qui ne mets pas le doigt – dans le discours du moins – sur les problématiques environnementales, féministes et raciales. « Pour le dire simplement, Roussel a représenté la bonne gauche qui résiste face au wokisme », lance le sociologue. Réussite médiatique =/= score électoral

Alors comment expliquer l’écart entre la grande réussite médiatique de ces deux candidats et leurs résultats à la présidentielle ? Pour le sociologue des médias, « les effets de buzz des réseaux sociaux nous ont fait perdre de vue les véritables ordres de grandeur. Un contenu qui va circuler 20.000 fois sur Twitter va donner l’impression de nous menacer. Seulement cela n’a rien à voir avec un JT qui est regardé par 5 à 6 millions de personnes tous les soirs ». Il est donc nécessaire de revenir aux fondamentaux pour comprendre le lien entre médias et résultats présidentielles : « Personne ne s’est préoccupé du traitement de la campagne par le journal de TF1 », insiste Nicolas Kaciaf. Et des données confirment les propos du sociologue. L’Ifop pour le magazine Marianne a réalisé un sondage en regardant les intentions de votes en fonction des médias par lesquels s’informent les citoyens. Si Éric Zemmour obtient 14% des voix chez les téléspectateurs de CNews, il n’est qu’à 7% chez les électeurs qui regardent le JT de TF1 et à 4% chez ceux du JT de France 2.

Il importe alors de mettre à distance les effets de focalisation. Les audiences du groupe Bolloré, de CNews à Cyril Hanouna, restent bien inférieures que celles des rédactions de France Télévisions ou du groupe TF1. Car, selon le sociologue, le traitement non polémique de ces journaux, favorise des campagnes effacées comme celle de Marine Le Pen ou d’Emmanuel Macron. « Il faut aussi être rassuré dans la capacité de nos institutions à réguler la vie politique. C’est à partir du moment où les temps de paroles ont été décomptés que Zemmour a baissé dans les intentions de votes », conclut Nicolas Kaciaf.

Pour rappel, si le temps de présence sur les antennes télévisées faisait l’élection, on assisterait ce dimanche à un second tour opposant Valérie Pécresse à Yannick Jadot.

Clément Gros


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