Biélorussie. Sabotages ferroviaires : les cheminot·e·s en action

vendredi 15 avril 2022.
 

Au lendemain de l’agression russe contre l’Ukraine, le comité exécutif du Congrès des syndicats démo­cratiques de la Biélorussie déclarait : « Nous tenons à vous assurer, chers Ukrainiens, que la grande majorité des Biélorusses, y compris les travailleurs, condamnent les actions irréfléchies du régime biélorusse actuel qui tolère l’agression russe contre l’Ukraine. Nous exigeons l’arrêt immé­diat des hostilités et le retrait des troupes russes d’Ukraine, ainsi que de Biélorussie. »

Il ne faut jamais prendre à la légère une décla­ration syndicale. Surtout en temps de guerre. La logistique militaire russe et la direction des chemins de fer biélorusses allaient l’apprendre à leurs dépens. Selon le centre des droits de l’homme Viasna, huit cheminots biélorusses sont arrêtés dès le début de la guerre pour sabotage contre un transport ferroviaire militaire russe.

Quelques jours plus tard, le 2 mars, Aliaksei Shyshkavets, 43 ans, habitant d’Asipovichy (impor­tant carrefour ferroviaire), est arrêté. Selon le minis­tère de l’Intérieur, il s’apprêtait à exécuter des actes de sabotage pour empêcher la circulation de certains trains. Deux autres personnes sont également arrê­tées à Staubtsy dans la nuit du 1er au 2 mars. Un autre « saboteur » aurait été arrêté à Zhodzina tou­jours le 2 mars. Début mars, des cheminots rapportent que les transports ferroviaires de matériel militaire russe et des munitions ont alors cessé de tra­verser la Biélorussie en raison des nombreux sabotages. Devant l’ampleur du phénomène, l’agence russe TASS annonce que le procureur général de Biélorussie a ouvert une enquête pénale sur ce qu’il appelle des « actes de terrorisme perpétrés par un groupe organisé contre l’infrastructure du chemin de fer » biélorusse. Il reconnaît que des installations de signa­lisation et autres matériels de transport ont été ren­dus « inutilisables ». Les cheminots arrêtés risquent jusqu’à quinze ans de prison. En dépit des menaces, les sabotages continuent.

Le 6 mars, Siarhei Kanavalau, un employé des che­mins de fer biélorusses, est arrêté à Vitsebsk. Selon le ministère de l’Intérieur, il avait prévu de désactiver les systèmes de sécurité ferroviaire. A Svetlahorsk, une unité de signalisation ferroviaire est incendiée. La police accuse trois habitants de Svetlahorsk de cette dégradation. Depuis, ce sont des dizaines d’actes de sabotage ferroviaires qui ont été com­mis. En témoignent les vidéos postées sur un canal Telegram pro-russe (TG) où 38 cheminot·es reconnaissent, dans une mise en scène digne des pro­cès de Moscou, avoir commis des actes de sabotage et être sous influence étrangère [voir photo ci-dessous].

Le 19 mars, le journal Novy Chas évoque douze sabotages ferroviaires qui ont paralysé le réseau ferroviaire, empêchant les wagons transportant du matériel militaire russe de se diriger vers la frontière ukrainienne. Dans la nuit du 16 mars, sur le tron­çon Farinovo-Zagattya, le coffret relais d’alarme est incendié.

Le 20 mars, Oleksandr Kamyshin [qui vit semi-clandestinement car recherché par l’armée russe : voir Ouest France du 20 mars 2022], président du conseil d’administration d’Ukrzaliznytsia (les che­mins de fer ukrainiens), annonce qu’il n’y avait plus de liaison ferroviaire entre l’Ukraine et la Biélorussie. Il remercie les cheminot·e·s biélorusses pour leur réponse rapide à la guerre. « J’ai récemment appelé les chemins de fer biélorusses à ne pas exécuter les ordres criminels de leur président et à refuser de transporter des militaires russes vers l’Ukraine. Aujourd’hui, j’ai le plaisir d’annoncer qu’il n’y a pas de liaison ferroviaire entre l’Ukraine et la Biélorussie. Je n’entrerai pas dans les détails, mais je suis très reconnaissant aux chemins de fer biélorusses pour leur réaction rapide », ajoute-t-il ironique.

Le 25 mars, les liaisons ferroviaires avec la Biéorussie sont toujours suspendues. L’information est donnée dans un message Facebook par Vitaly Koval, le gou­verneur ukrainien de la région de Rivne (nord-ouest de l’Ukraine). Dans ce message publié sur les réseaux sociaux, Vitaly Koval qualifie de « nouvelle importante » pour le peuple ukrainien et a exprimé sa gratitude aux travailleurs et travailleuses des chemins de fer pour leurs efforts et conclut : « Mes amis, la connexion ferroviaire avec la République de Biélorussie s’est arrêtée. Cela signifie que la Russie ne sera plus en mesure de fournir du matériel militaire et des provisions aux occupants via le chemin de fer biélorusse. » Depuis plus d’un mois, les sabotages se succèdent et le transport militaire russe ferroviaire est large­ment entravé.

Face à ces « difficultés » inattendues, les chemins de fer biélorusses pourraient être soumis à une « purge » à grande échelle, au cours de laquelle des « employés peu fiables » seraient licenciés, explique une chaîne cryptée de cheminots biélorusses. Des troupes d’uni­tés spéciales sont postées le long de voies ferrées. Certaines de ces patrouilles en armes seraient en civil, munies de talkies-walkies et de traceurs GPS. Elles installeraient leurs tentes à proximité des voies ferrées.

Le 30 mars, une escouade de ces soldats ouvre le feu sur un groupe de cheminots-partisans en action. Les coups de feu ont été entendus près de l’arrêt de Babina dans le district de Babruisk (tronçon Asipovichy-Zhlobin). Les partisans avaient ouvert deux armoires à relais (nécessaires à la signalisation ferroviaire). Ils ont réussi à en incendier une. Jusqu’au moment où un groupe de militaires qui se trouvait dans les bois et devait garder ledit matériel a ouvert le feu. Cependant, les partisans ont pu s’échapper.

Selon le site biélorusse Zerkalo (30 mars), au moins 40 employé·e·s des chemins de fer sont aux mains du KGB biélorusse. En outre, quatre autres cheminots dont un conducteur de train sont détenus à Gomel, dont au moins un a été placé dans le centre de déten­tion provisoire du KGB. Tous auraient été abonnés à la chaîne cryptée « Communauté des cheminots de Biélorussie », qui est dénoncée comme une formation extrémiste.

Patrick Le Tréhondat

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