Jean-Luc Mélenchon au JDD : « Cette présidentielle, je la sens bien »

vendredi 25 mars 2022.
 

Interview de Jean-Luc Mélenchon publiée dans le JDD

Le 30 janvier, vous déclariez : « Ce sont les États-Unis d’Amérique qui sont dans la position agressive et non pas la Russie. » Regrettez-vous certaines de vos prises de position quant au régime de Vladimir Poutine, ces dernières années ?

Quel intérêt à répandre un doute sur ma position ? J’ai toujours été un non-aligné. Non aligné, cela ne veut pas dire neutre. La preuve : je me positionne. Depuis dix ans, et en janvier encore, j’alertais : le statut militaire de l’Ukraine est une ligne rouge pour la Russie. Aussi longtemps que les États-Unis d’Amérique ont fait croire qu’ils prendraient l’Ukraine dans l’Otan, ils ont encouragé la paranoïa des dirigeants russes. Mais à partir du moment où Poutine envahit l’Ukraine, il est l’unique responsable de la situation. L’intolérable, alors, ce ne sont pas les États-Unis, mais la Russie, car c’est elle qui viole les frontières et nous ramène aux temps des guerres en Europe.

Faut-il de nouvelles sanctions ?

Les sanctions économiques ont fait la preuve de leur inefficacité. Exemple : l’Iran est sous sanctions depuis vingt-cinq ans ; les ayatollahs sont toujours au pouvoir. À Cuba, les États-Unis pourchassent tous ceux qui vendraient à l’île une pince à linge. Résultat : zéro. Mais les peuples sont martyrisés. Les Russes produiront eux-mêmes les biens qu’on ne vendra plus aux Russes. Ils deviendront autonomes. Dès lors, que Total se retire de la Russie, je ne suis pas d’accord ! Il faut frapper le pouvoir russe à la tête, et donc cibler les biens des oligarques. Ce qui n’est pas fait aujourd’hui. C’est à peine si on a saisi un yacht !

Que proposez-vous ?

Une fois qu’on est dans une telle situation, la réponse est politique. D’abord appuyons-nous sur la capacité de résistance des Ukrainiens et des Russes qui veulent la paix. Faisons une offre diplomatique radicale : cessez-le-feu, création de couloirs humanitaires et réunion de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Les Russes ont des choses à demander. Nous aussi ! Nous ne sommes pas d’accord pour qu’ils déploient sur leur territoire des missiles qui vont entre 500 et 5000kilomètres, parce qu’ils nous sont destinés. On comprend qu’ils nous disent de retirer les armes anti-missiles installées en Pologne, opération que François Hollande a acceptée. C’était une faute lourde.

Êtes-vous favorable à un embargo sur le gaz et le pétrole russes pour faire pression sur Poutine ?

Le boycott du gaz et du pétrole est absurde. Les États-Unis le font, mais sans faire augmenter la production. Le pétrole se retrouve à 140dollars le baril, quand celui des États-Unis est rentable à60. Ils vont gagner des milliards. Au point que le président Biden demande aux pétroliers de ne pas abuser de la situation… Nous, l’embargo, nous le paierions très cher. Ne soyons pas les dindons de la farce.

A-t-on raison de livrer des armes à l’Ukraine ?

Un débat est ouvert. Cela n’a de sens que si une possibilité de victoire ukrainienne existe. Des militaires nous disent que ce n’est pas envisageable, d’autres pensent que le conflit peut durer assez longtemps pour que les Russes soient obligés de négocier. Seul le président de la République a tous les éléments pour juger. Je vois que la Turquie et Israël tentent des négociations. La France est donc hors-jeu. Je le regrette d’autant plus que Macron s’était mis en scène comme Kennedy au moment de la crise des missiles à Cuba.

Demandez-vous un vote à l’Assemblée nationale sur l’Ukraine ?

Voter permettrait au moins de savoir ce que la France veut faire ! Je ne dis pas que le chef de l’État doit nous donner les détails, mais au moins les grands axes et les lignes rouges. A présent les décisions sont prises dans le secret du conseil de défense. L’Assemblée nationale est suspendue pour cause de campagne. Donc il n’y a plus aucun lieu de débat avec l’exécutif. Il a les pleins pouvoirs.

L’Union européenne a lancé l’examen des candidatures de l’Ukraine, de la Géorgie et de la Moldavie. Est-ce un bon signal envoyé ?

C’est une bonne idée. Ouvrir cette discussion est un moyen d’affirmation. Mais il faut arrêter de lier entrée dans l’Union européenne et celle dans l’Otan. C’est la négation de ce que nous avions promis aux Russes quand l’empire soviétique s’est effondré.

Anne Hidalgo vous décrit comme un allié des Russes et un « agent » de Poutine… Que lui répondez-vous ?

Rien. Ce n’est plus du débat politique, c’est de l’injure. L’opinion sanctionne ses excès !

On constate l’hostilité à votre égard d’Anne Hidalgo, de François Hollande ou de Yannick Jadot. Pensez-vous être en mesure de rassembler la gauche ?

Ce n’est pas mon sujet ! Leur hostilité veut m’empêcher d’accéder au second tour. Mais qui s’y trouvera alors ? Le Pen ou Zemmour. Assument-ils ce choix non dit ? L’union populaire ne viendra pas des chefs, mais du peuple à la base.

Dans l’hypothèse d’un second tour Mélenchon-Macron, avez-vous l’impression que cette gauche vous tirerait dans le dos ?

Ma stratégie politique restera tournée vers le peuple. Je dis à chaque conscience de gauche, progressiste, humaniste : chacun est personnellement responsable du résultat. Il ne faut pas se cacher derrière le blocage des chefs. Aujourd’hui, j’arrive sur le pas de la porte du second tour. La clé est dans votre bulletin de vote personnel !

C’est aux citoyens que vous vous adressez, pas aux dirigeants ?

Aux dirigeants, je dis bienvenue à ceux qui sont prêts à gouverner avec nous sur la base du programme préféré par les électeurs. Sinon tant pis, on s’en passera.

Espérez-vous un signe en votre faveur de Christiane Taubira ?

Christiane est une grande fille : inutile de lui tordre le bras. Si elle a envie de soutenir quelqu’un, elle le dira.

Le communiste Fabien Roussel ne vous complique-t-il pas la tâche ?

Il fait son boulot. Il prend des voix à droite et au PS. Il fait campagne. Mais ses électeurs savent qu’ils vont être décisifs pour me porter au second tour. Quand Macron annonce la retraite à 65ans et moi à 60ans, le choix du bulletin de vote tranche un combat social. Il ne s’agit alors pas de faire de la figuration pour la gloire d’un parti. C’est un choix pour le pays. Fabien Roussel a évalué que sa divergence avec moi sur les steaks-frites, la police et le nucléaire valait une candidature concurrente. À quel prix politique ? Je le regrette. Mais au moins, Roussel met quelque chose en débat. Mais le PS ? À 1,5%, à quoi sert-il, à part à dire du mal de moi ?

Au second tour, les sondages d’intentions de vote vous donnent largement perdant face à Macron…

On verra. Aucune élection n’est une formalité administrative. Mais un tel second tour purifierait l’atmosphère ! Mieux vaut discuter de savoir si la retraite est à 65 ou à 60 ans, plutôt que du venin intellectuel que répand l’extrême droite pour savoir si les problèmes de sécurité dans les quartiers dépendent de la religion de ceux qui s’y trouvent. Un second tour Mélenchon-Macron, ça change tout !

Avec la guerre en Ukraine, les prix du carburant et les prix alimentaires connaissent et vont connaître des hausses vertigineuses. Que feriez-vous ?

Si on laisse les choses aller, le pays va se bloquer par la base. La pénurie est partout : alimentation, essence, chauffage. Des millions de gens manquent de tout ! C’est le marché qui a créé ce chaos. La finance se nourrit des catastrophes qu’elle provoque. À cause de l’explosion des prix, les gens qui étaient à la limite de flottaison sont en train de couler. Huit millions de personnes ont déjà besoin de l’aide alimentaire. Si je suis élu, les prix des produits de première nécessité seront bloqués le lendemain matin ! Les prix des carburants seront abaissés. Le litre d’essence sera bloqué à 1,40euro, le prix où il était quand j’ai proposé le blocage. Quant au smic, il sera à 1400 euros net tout de suite. Entendez la colère qui s’accumule dans le peuple qui souffre tant.

Comment ferez-vous ?

L’article 410-2 du Code du commerce le permet. Pour choisir quels prix bloquer, nous pourrions consulter les organisations de consommateurs, des sociologues, des nutritionnistes. Il faut rompre avec la fête pour les riches et le marché partout. Je plaide pour le non-alignement économique : l’État ou le marché, selon le besoin.

La guerre en Ukraine ouvre-t-elle la voie à une réélection sans débat pour Emmanuel Macron ?

Les Français n’ont pas envie de lui rendre la tâche plus compliquée, je le comprends. Je ne ferai pas non plus le tireur dans le dos. Pourtant, cet homme ne réglera rien. Il est président de l’Union européenne et de la France, seule et unique armée complète et seule puissance nucléaire de tout le continent. Résultat ? Zéro, il ne se passe rien. ce sont les Turcs et les Israéliens qui organisent le dialogue entre Russes et Ukrainiens ! La menace de dérapage sur le terrain est terrible. On a toujours du mal à croire que le monde puisse basculer. Sauf si vous l’avez déjà vu dans votre vie : j’ai connu la décolonisation, l’URSS envahissant ses voisins, puis son effondrement, les guerres du Golfe, le11-Septembre. Tout était inconcevable. Je sais d’expérience qu’une situation internationale peut se retourner très vite. Macron fait pour le mieux de ce qu’il sait faire. Mais est-ce qu’au nom de la réserve à respecter pendant la guerre d’Ukraine, il faut voter pour quelqu’un qui va vous maintenir au travail jusqu’à 65 ans ? Macron dit clairement quel est son plan. Je dis clairement le mien. C’est un beau débat.

Si les Français ne vous choisissent pas, mettrez-vous un terme à votre carrière politique ?

Non. Jusqu’à mon dernier souffle je serai un militant politique. Je ne sais pas comment vivre sans cela. La politique est magique, elle permet de s’intéresser à tout. D’un coup, je ne m’intéresserais plus à rien ? Impossible.

Serez-vous candidat aux législatives ?

Je n’ai pas envie d’y penser. Je prends les tâches dans l’ordre. Jusqu’à la dernière seconde, je fais la présidentielle. Et cette présidentielle, je la sens bien.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message