Discours devant le Parlement européen : Macron ne touchera pas aux prébendes de big pharma

mardi 25 janvier 2022.
 

Lors de son discours devant le Parlement européen Emmanuel Macron a multiplié les renoncements, comme sur le pacte de stabilité, qui n’a même pas été évoqué. Les hypocrisies, comme sa proposition d’inscrire le droit à l’avortement dans la Charte des droits fondamentaux, pour mieux faire oublier que les marcheurs venaient d’élire à la présidence du parlement européen une fervente opposante au droit à l’IVG. Les formules d’un niveau de généralité leur enlevant toute signification, comme les développements laborieux sur la souveraineté. Bref, on aura eu le droit à un discours structuré autour de « trois grandes promesses » mais dont il n’y a guère à attendre si ce n’est la continuité en Europe d’un modèle autoritaire et ordolibéral qui sied au président de la République.

La levée des brevets sur les vaccins contre le covid fait partie de ces dossiers sur lesquels l’UE restera sous la présidence française campée sur une vision mercantile inapte à éradiquer la pandémie. Tout en parlant sans rire de solidarité, Emmanuel Macron a ainsi indiqué que d’ici à la fin juin 2022 l’Union européenne aura fait don de 700 millions de doses de vaccins à l’Afrique. Voilà surtout une manière de dire, en creux, qu’elle se contentera d’une politique de charité intéressée tout en continuant à bloquer au sein de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) la proposition de l’Inde et de l’Afrique du Sud, soutenue par plus de 60 pays, de lever au moins temporairement les brevets sur les vaccins et autres moyens médicaux de lutte contre la pandémie de Covid-19.

A la place l’UE a échafaudé une obscure « proposition visant à obtenir l’engagement des membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en faveur d’un plan d’action commercial multilatéral pour accroître la production de vaccins et traitements contre la COVID-19 et garantir un accès universel et équitable ». En clair, l’UE (comme les USA) considère le vaccin comme une marchandise comme les autres, non comme un bien commun. Et elle n’a pas l’intention de concrétiser en actes les paroles de certains dirigeants qui, comme Macron, se sont sentis obligés, après les déclarations de Joe Biden en ce sens, de se dire favorables à la levée des brevets.

Cette levée des brevets, que le candidat de l’Union Populaire défend lui depuis que les premiers vaccins ont été approuvés, n’a pourtant jamais été aussi urgente et pertinente.

D’abord, la situation de la pandémie le justifie plus que jamais. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), si la vague de variant Omicron pourrait à terme permettre d’atteindre l’immunité collective et une sortie de l’épidémie, rien ne le garantit. A l’inverse, au regard de la très forte contagiosité du variant Omicron et donc de la multiplication extrêmement rapide des cas dans le monde, elle met en garde contre le risque de nouvelles mutations vers des variants plus dangereux. Catherine Smallwood, responsable des situations d’urgence à l’OMS, a ainsi déclaré : « Plus Omicron se répand, plus il se transmet et plus il se réplique, plus il est susceptible de générer un nouveau variant. (…) Qui peut dire ce que le prochain variant pourrait générer ? »

Une chose est certaine, toujours selon l’OMS, « les mutations du coronavirus SRAS-CoV-2 ont tendance à se produire surtout chez les personnes non vaccinées, où l’agent pathogène est plus susceptible de se répliquer. L’objectif principal doit continuer à être « de vacciner tout le monde afin de réduire les risques de mutation ». Si la vaccination ne protège pas forcément contre la contraction du virus, elle en atténue fortement les symptômes. Lors de la vague Omicron le continent africain, de loin le moins vacciné, a enregistré la plus forte hausse du nombre de décès (+72%), loin devant l’Asie du Sud-Est (9%) et les Amériques (7%).

L’OMS estime en définitive qu’un taux de couverture vaccinale de 70% à l’échelle mondiale est essentiel pour avoir une chance d’enrayer la multiplication des variants. Elle a rappelé début janvier que les pays riches ne pourraient pas se sortir de la pandémie « à coup de doses de rappel » si des milliards d’individus n’ont pas accès au vaccin. Elle a donc demandé de faire davantage pour aider tous les pays à recevoir le plus rapidement possible les vaccins contre la Covid-19 qui peuvent leur sauver la vie.

Au rythme actuel, la barre des 70 % de vaccinés ne sera atteinte en Afrique qu’en 2024…

On est loin du compte. La couverture vaccinale à l’échelle mondiale reste très insuffisante. 8.7 milliards de doses de vaccin ont été administrées dans le monde début 2022, mais réparties de manière très inégale. Moins de la moitié de la population mondiale (44,95 %) est vaccinée. Le taux est de 67,45 % de vaccinés dans les pays riches, contre seulement 4,36 % dans les pays pauvres. En Afrique le taux global de vaccinés était fin décembre de 8 %, avec de fortes disparités. Au rythme actuel, la barre des 70 % de vaccinés ne sera atteinte en Afrique qu’en 2024…

La politique de charité pratiquée par les « les occidentaux » n’est pas seulement une manière de ne pas remettre en question les dogmes du marché tout en prétendant faire œuvre de solidarité (d’un côté on vend des milliards de doses de vaccins, de l’autre on donne quelques centaines de millions de surplus, dont la date de péremption est parfois si proche qu’ils en sont inutilisables). Hypocrite, cette politique est aussi totalement inapte à enrayer la pandémie. Les divers dispositifs de dons (COVAX, dons en bilatéral etc.) sont insuffisants. Ainsi, en plusieurs annonces en 2021 les membres du G7 avaient promis de redistribuer via le dispositif Covax un total de près de 2 milliards de doses de vaccins d’ici la fin 2022. Or non seulement ces engagements étaient très insuffisants, puisque selon l’OMS, 11 milliards de doses étaient nécessaires en urgence pour en finir avec la pandémie ; mais ils ne seront pas respectés puisque moins de 20% de ces dons ont été livrés à l’heure actuelle. Et plus des deux tiers des dons concernent des vaccins dont la durée de conservation est inférieure à trois mois.

Enfin, si la levée des brevets n’a jamais été aussi pertinente, c’est que l’un des arguments utilisés pour s’y opposer vient d’être pulvérisé par plusieurs ONG. On se souvient que, outre la soi-disant nécessité d’« encourager l’innovation » (alors que les fabricants de vaccins aux Usa comme en Europe ont reçu des milliards d’aides publiques), que les libéraux nous opposent comme un seul homme que le défi de la production serait plus dure à relever que celui de la propriété intellectuelle (une homogénéité indiquant au passage que l’argument émane de quelque officine à la solde de l’industrie pharmaceutique). Dès lors il ne servirait à rien d’avancer sur la levée des brevets… Macron affirmait ainsi en mai 2021 : « Quel est le sujet actuellement  ? Ce n’est pas vraiment la propriété intellectuelle. Vous pouvez donner la propriété intellectuelle à des laboratoires qui ne savent pas produire, ils ne le produiront pas demain ».

Or l’argument, qui n’a jamais été pertinent, a été officiellement balayé dans une étude publié mi-décembre par plusieurs ONG. Ces dernières ont recensé au moins 100 compagnies en Afrique, en Asie et en Amérique Latine ayant les capacités de produire des vaccins, y compris à ARN messager (les plus efficaces face aux variants), dans des conditions répondant à toutes les normes en vigueur. Si la levée des droits de propriété intellectuelle était effective, des centaines d’unité de production supplémentaire pourraient donc produire des vaccins dans des régions du monde où ils manquent cruellement. En mai 2021, Thierry Breton, commissaire européen, avait déclaré pour temporiser sans assumer son hostilité à faire des vaccins un bien commun : «  Cette question de la levée des brevets, il faudra qu’on se la pose, mais en son temps  ». Le temps est largement venu.

Arnaud Le Gall


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