Vincent Bolloré, le milliardaire d’extrême-droite projette depuis septembre 2021 d’étendre sa mainmise sur le géant de l’édition Hachette, après Canal+ et Europe 1. Son empire pourrait continue à s’élargir de façon terrifiante. Il aurait alors de quoi créer un géant de l’édition inédit en France, menaçant la diversité de création et bien plus encore. Retour sur ce nouvel épisode dans la série de l’accroissement de concentration des médias et des industries culturelles, et de ses affres en France.
C’est plus précisément sur le groupe Lagardère, détenteur d’un petit empire médiatique et éditorial, que Vincent Bolloré prolonge son emprise. En devenant l’actionnaire majoritaire du groupe par l’intermédiaire de Vivendi, groupe dont il est actionnaire majoritaire, le milliardaire a pu influer sur la ligne éditoriale d’Europe 1 vers l’extrême-droite par le biais de grandes purges dans la rédaction de la radio. La prochaine étape dans cette conquête est le rachat des parts du deuxième actionnaire principal du groupe Lagardère, la société d’investissement britannique Amber Capital. Cela entraînerait une OPA de Bolloré sur Lagardère, à savoir une vaste opération d’achat d’actions de l’entreprise afin d’en prendre le contrôle.
L’opération laisse peu de place au suspens : Amber et Bolloré se sont mis d’accord sur le sujet en août 2020, avec la bénédiction d’Arnaud Lagardère dont le groupe s’apprête à rejoindre la sombre galaxie Bolloré. Et c’est ainsi que le géant Hachette que détient Lagardère fusionnera avec le géant Éditis que détient Bolloré. Il ne reste que quelques détails à peaufiner afin d’éviter l’écueil vécu en 2002 par Bolloré lors d’une première tentative d’absorber Lagardère, que la Commission Européenne avait retoquée par peur de voir des géants nationaux naître au sein de l’Union Européenne.
Un monstre qui finit par plaire à la Commission Européenne
La situation mondiale a bien évolué depuis une vingtaine d’années, notamment avec l’essor des GAFAM états-uniens ainsi que des BATX asiatiques (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi). Se réveillant comme à son habitude au dernier moment, la Commission Européenne ne serait pas réticente à l’idée de voir naître de tel géant au sein de l’Union Européenne, et le groupe Bolloré pourrait en prendre la forme dans les médias et les industries culturelles. En effet, des observateurs remarquent que le groupe ressemble de plus en plus à un autre géant états-unien : Disney.
Il ne serait donc exigé à Bolloré que de se séparer de quelques petites filiales d’Editis et d’Hachette pour pouvoir finaliser l’accord et créer ainsi une mastodonte inédit dans l’édition française. Pour se faire une idée, à eux seuls Editis et Hachette représentent 54% du marché des livres de poche et 71% de celui des livres parascolaires ! En se penchant sur la liste des maisons d’édition de chacun des deux groupes, on a l’impression de retrouver presque l’entièreté de sa bibliothèque : Plon, Robert Laffont, Presses de la Cité, 10/18, Pocket, Le Cherche midi, La Découverte, XO ou encore Lonely Planet et Bordas appartiennent à Éditis, tandis qu’Armand Colin, Stock, Dunod, les éditions du Chêne, Grasset, Calmann-Lévy, Fayard, Hatier, Latès, Larousse, Marabout, et même Audiolib sont sous le giron d’Hachette. Sans oublier toutes les déclinaisons de la maison-mère, en plus de bien, bien d’autres. Cela permettra également à Bolloré de mettre sous sa coupe d’importantes entreprises de distributions de livre, ainsi que tous les supports logistiques des entreprises citées, et même les boutiques Relay.
Tout ceci viendra s’ajouter à l’empire déjà gigantesque de Vincent Bolloré sur les discours et les imaginaires qui se décline sur une multitude de supports. On pense bien entendu à la radio avec Europe 1, mais également RFM et Virgin Radio, ainsi qu’à la télévision avec Canal+, Cnews, CStar et C8 (qui diffusait il y a peu un film anti-avortement). On pense aussi à la presse avec le Journal du Dimanche, Paris Match, France Catholique et Prisma Media (Voici, Gala, Geo, National Geographic, Capital etc.). À ceci s’ajoutent également le cinéma (production, acquisition, distribution) avec Studiocanal, le jeu vidéo avec Gameloft, premier éditeur mondial de jeu vidéo pour mobiles, sans oublier la musique avec Vivendi Village, organisateur de festival de musique et propriétaire de plusieurs salles à Paris comme l’Olympia et le Théâtre de l’Oeuvre, ainsi que d’un important réseau de salles de cinéma et de spectacle en Afrique et de See Tickets, leader mondial de la vente de billets électroniques. S’y ajoutent des parts chez Universal, que Bolloré associe à ces opérations dans la musique et le spectacle. Enfin, Dailymotion vient compléter cette longue liste, malheureusement non exhaustive.
Vincent Bolloré ou l’artisan d’un Disney français d’extrême-droite
Si cette fusion venait à voir le jour, elle créerait une situation de concentration dans les médias et les industries culturelles inédite en France. Ce rassemblement de tant de canaux de création sous la coupe d’un seul homme sera mortifère pour la diversité et le foisonnement des histoires et des idées. Dans l’édition, si on peut redouter le pire après avoir vu les méthodes mises en place au sein d’I-télé (devenue CNEWS) et d’Europe 1, c’est aussi le secteur tout entier qui sera bouleversé avec ce gigantesque mastodonte qui pourra sans problème écraser toutes les autres composantes moins conséquentes ou indépendantes du secteur. Il ne lui suffira que d’accroître les dynamiques nocives de pression et d’exclusion déjà mise en place dans la situation de concentration déjà alarmante dans laquelle est le secteur de l’édition française.
De plus, sans même avoir à penser à la censure idéologique qu’il est légitime de redouter, c’est l’utilité stratégique et financière même de ce géant de l’édition qui menacera la diversité de création. Il semble assez clair que la reconfiguration de ces deux groupes très lucratifs pour n’en faire qu’un se fera en se séparant de ses filiales les moins rentables pour ne garder que les plus fructueuses. Cette stratégie de la compétitivité va donc s’accroître au sein des maisons d’édition qui composeront le colosse, qui privilégiera donc encore plus les auteurs au succès garanti par leur simple nom sur la couverture, soutenus par l’arsenal médiatique du reste de l’empire qui éclipsera tous les autres. Et l’argent généré pourra quant à lui servir à financer les possessions médiatiques de Bolloré, qui continueront à mettre en avant les produits culturels made in Bolloré, etc, etc.
On voit ainsi en quoi la comparaison avec Disney prend tout son sens, et en quoi elle sert pleinement les objectifs politiques du milliardaire d’extrême-droite. Car s’il fallait définir un champ d’activité pour la gargantuesque Walt Disney Company, ce serait celui des imaginaires. Des imaginaires dont elle a fait un secteur très lucratif, et qu’elle peut modeler comme bon lui semble par la même occasion. On connaît le conservatisme exacerbé de son fondateur éponyme, qu’il tenait à faire ressortir dans la myriade de films animés qui ont bercé pour beaucoup notre enfance. Si aujourd’hui la Walt Disney Company a changé ses stratégies discursives pour correspondre à un monde qui change et s’implanter fermement dans toute la planète, cette capacité d’influence sur les imaginaires reste énorme. Et ce sont bien nos imaginaires qui façonnent par la suite nos conceptions du monde, un aspect de la bataille culturelle dont Vincent Bolloré a bien conscience.
Briser la concentration des médias et des industries culturelles, faire foisonner les imaginaires et la 6e république
La situation inédite et grave qui se profile nous rappelle en quoi il est impérativement urgent de mettre un frein catégorique à ces dynamiques nocives pour la diversité de création et d’expression et donc pour la démocratie. Pour concevoir une France politiquement activement et foisonnante, où tous les citoyens peuvent pleinement exercer leurs droits politiques, partager leurs conceptions variées du monde et les mettre à profit pour l’intérêt général, il est nécessaire de mettre en place des lois de déconcentration dans les industries culturelles et les médias. C’est une composante essentielle pour accompagner le débat de l’Assemblée constituante que propose la France insoumise et pour mettre en place la 6e République. C’est justement ce que proposait Jean-Luc Mélenchon le 3 janvier dernier.
L’OPA de Bolloré sur Lagardère, et donc la fusion d’Editis et Hachette, devrait aboutir en décembre 2022. Une opération qui n’aura donc pas lieu si Jean-Luc Mélenchon et l’Union Populaire prennent le pouvoir en avril prochain, qui en profiteront donc pour démanteler ces oligopoles déjà bien trop énormes.
Par Martin Mendiharat
Date | Nom | Message |