Henri Barbusse, le « Zola des tranchées »

vendredi 21 septembre 2007.
 

Une écriture 
au service des peuples Mots clés : série des journalistes et des combats,

Connu surtout pour le Feu, son roman témoignage 
sur la guerre de 1914-1918, Henri Barbusse fut aussi 
un journaliste de renom. Intellectuel communiste, 
il combattait le sectarisme, y compris dans son propre camp.

Onze mois durant, à quarante et un ans, il s’enfonce dans la fange empourprée par le sang versé, au milieu de cette grande boucherie à ciel ouvert et liquide, où les tranchées sont des « puits horizontaux » dont on voit émerger « des espèces d’ours qui pataugent et qui grognent ». Ces mots sont ceux d’Henri Barbusse, dans son roman témoignage, le Feu (prix Goncourt 1916), qui sera d’abord publié en feuilleton dans le quotidien l’Œuvre. Ressaisir l’humanité en se tenant au plus près de son infâme négation pour l’aider à se relever du fond du trou, telle semble être l’ambition de l’écrivain-soldat, qui voit la guerre comme un orage continuel, mais sait aussi discerner, dans l’éclair fugace cisaillant les ténèbres, « la preuve que le soleil existe ».

Dès la mobilisation générale, le 1er août 1914, alors qu’il est déjà bien installé dans le milieu du journalisme culturel et que, du fait de son âge, il n’est plus contraint de répondre à l’appel, Barbusse choisit d’aller tremper sa plume au cœur d’une plaie béante. Loin des salons parisiens et de leurs littérateurs, le « Zola des tranchées » montrera l’horreur de la guerre et fera grandir ainsi, à sa façon, la conscience du bien inestimable que constitue la paix. Évidemment, de la part d’un pacifiste, l’engagement militaire a toujours un air de renoncement militant. Mais à l’époque, Barbusse est simplement dans le même esprit qu’un grand nombre de ses amis socialistes, persuadé que cette guerre est un mal pour un bien, « une guerre sociale ».

D’après Jean Relinger (1), le romancier et journaliste a reçu dans sa jeunesse une « éducation kantienne ». Et il est vrai que l’auteur du Projet de paix perpétuelle, Kant, dont la morale commande de ne jamais traiter les hommes comme moyen mais toujours comme fin, n’excluait pas, pour autant, qu’une guerre puisse être nécessaire au rétablissement du droit, hors duquel point de paix véritable. La Paix par le droit est d’ailleurs le nom d’une revue pacifiste à laquelle Barbusse collabore dans les années précédant le conflit.

Mais dans cette Grande Guerre, l’idéalisme kantien vérifiera surtout ses limites. Car, que pèse le droit entre les nations, quand, au sein de chacune d’elles, règne la loi du profit  ? « On sera bien forcé de voir (…) que les peuples entiers vont à la boucherie, rangés en troupeaux d’armées (…) pour que des gens dorés (…) brassent plus d’affaires », écrit Barbusse dans son œuvre flamboyante de 1916. Avant de rejoindre son escouade, l’écrivain avait déjà les yeux grands ouverts sur la condition humaine et la triste tournure que lui imprime le capitalisme, mais, incontestablement, sa vision s’est précisée. Appréciée des poilus, la verve du Feu déchaîne, évidemment, la haine des va-t-en guerre et de leur presse.

Quand Barbusse rejoint le Parti communiste français, en 1923, il a déjà derrière lui une intense activité antifasciste et pacifiste. En 1917, il prend la tête de l’Association républicaine des anciens combattants (Arac), qu’il vient de fonder aux côtés, notamment, de Paul Vaillant-Couturier. Deux ans plus tard, il lance Clarté, à la fois revue et mouvement international d’intellectuels. Dans l’Humanité du 10 mai 1919, il en présente les ambitions et revient sur le choix du titre. « Les adhérents ont choisi (…) le titre de Clarté afin d’indiquer que la mission qu’ils assument est de combattre les préjugés, les erreurs trop habilement entretenues et surtout l’ignorance qui séparent et isolent les hommes », explique-t-il. Ajoutant un peu plus loin  : 
« La démocratie est invincible. Mais cette résurrection fatale de l’humanité s’épanouira d’une façon plus calme et plus belle si elle est éclairée par l’élite. » Barbusse, bien sûr, est tributaire des travers du marxisme de son temps, pétri d’un certain messianisme. Ce trait est peut-être accentué chez lui du fait d’origines familiales protestantes. Son intérêt pour le phénomène religieux, qui se manifeste notamment par une trilogie autour de Jésus-Christ (publiée en 1926-1927), lui attirera en tout cas la suspicion de l’Internationale communiste, alors même que le journaliste se revendique athée. N’affirme-t-il pas d’ailleurs, dans l’une de ses chroniques de l’Humanité, où il officie comme directeur littéraire de 1926 à 1929, que « la religion est l’ennemi massif et monumental de l’indépendance de l’esprit et de l’émancipation de la communauté des hommes  »  ?

Sa vraie particularité, que les plumitifs d’appareils ne lui pardonnent pas, est en fait de ne pas croire aux vertus de la table rase. Pour gagner la clarté émancipatrice, Barbusse pense qu’il faut défricher le passé, en dégager ce qu’il comporte déjà comme pépites de lumière. Il sait que le « souffle de la créature opprimée », comme Marx appelle la religion, ne s’éteint pas sur décret. De même, s’il ne remet pas en cause le principe de l’« art prolétarien », promu par le marxisme soviétique, il est convaincu qu’un tel art ne sera qu’une caricature rabougrie s’il se construit dans l’ignorance des richesses que comporte, aussi, la culture bourgeoise. Ce sera là l’enjeu d’une autre polémique, en 1929-1930  : l’affaire Monde (2), du nom de la revue littéraire créée et dirigée par Barbusse, avec un souci d’ouverture qui déplaira encore du côté de Moscou. Infatigable propagandiste et homme de débat, athée nourrissant une foi profonde dans le progrès humain, Barbusse trouvait manifestement dans ces tensions le puissant moteur de son dévouement à l’intelligence populaire. Le 30 août 1935, il meurt dans la capitale soviétique. Il y suivait le 7e congrès de 
l’Internationale communiste, à laquelle il sera resté fidèle jusqu’à la fin de sa vie malgré les désaccords. Le 7 septembre, cinq cent mille personnes se pressent à ses obsèques à Paris. Ne dit-on pas que le peuple reconnaît toujours les siens  ?

(1) Jean Relinger est spécialiste 
de Barbusse. 
Plus d’infos sur www.henri-barbusse.net

(2) Lire à ce sujet le dossier 
de Nouvelles Fondations (n°2, juillet 2006), 
disponible sur le site de la Fondation Gabriel-Péri (www.gabrielperi.fr)

Laurent Etre, L’Humanité


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