Banlieues : " la seule « réponse pénale » risque d’être inefficiente si on minimise les moyens de l’action publique dans les domaines de l’éducation et de l’emploi"

mercredi 19 septembre 2007.
 

Bandes. Pour le sociologue Nasser Demiati, le traitement judiciaire de ce type de phénomènes sera inefficace s’il n’est pas accompagné d’une réponse sociale.

Un rapport de la direction centrale des renseignements généraux de juillet 2007, publié par le Monde, fait état d’une augmentation de 29 % des affrontements entre bandes sur les cinq premiers mois de l’année. Le document insiste également sur « le danger de l’éventuelle fusion entre deux phénomènes a priori distincts de replis communautaires et d’activité délinquante ». Ce point de vue policier est battu en brèche par le sociologue Nasser Demiati, responsable de l’action éducative de la ville de Grigny (91) et membre du groupe Clarifier le débat sur la sécurité (CLARIS), qui travaille actuellement sur l’éducation populaire et la question ethnique.

Selon un rapport des RG de juillet 2007, les affrontements entre bandes seraient en recrudescence. Percevez-vous cette évolution ?

Nasser Demiati. J’aimerais d’abord mettre en garde contre les généralisations hâtives sur les banlieues ou sur tout phénomène de société. En tant qu’observateur de certains quartiers, je n’ai aucun élément pour avancer une quelconque évolution d’une année sur l’autre. Il faudrait pour cela déjà déconstruire ce qu’on entend par « affrontement », « bandes », etc., puis élaborer des indicateurs pertinents pour enfin poser une analyse rigoureuse de ce type de déviance.

Avez-vous des indices corroborant une « ethnicisation » des bandes et une fusion entre les phénomènes des « replis communautaire et d’activité délinquante », comme le suggère ce rapport ?

Nasser Demiati. On ne peut pas parler d’« ethnicisation » des bandes, et encore moins de « repli communautaire », dans le contexte urbain actuel. Il s’agit d’une question de bon sens. Ces jeunes viennent des quartiers populaires. Si vous regardez d’un peu plus près la composition démographique de ces « zones urbaines », elles concentrent les familles étrangères et d’origine étrangère incapables de se loger ailleurs en raison de leur situation socio-économique.

Les récents affrontements entre bandes en plein coeur de Paris ont retenu l’attention des médias. Y a-t-il une inflation médiatique disproportionnée sur ce sujet ?

Nasser Demiati. Le problème, c’est que les médias ont une fâcheuse tendance à considérer comme nouveaux des phénomènes qui existent depuis longtemps. Pour les bandes, on pourrait remonter jusqu’au Paris de la Belle Époque, où régnaient ceux qu’on appelait à ce moment-là les « Apaches », des bandes de jeunes des quartiers périphériques de la capitale, et qui ont défrayé la chronique. On pourrait aussi évoquer les Blousons noirs dans les années soixante ou, plus proches de nous encore, les Zoulous. Mais il s’agit là encore une fois d’idées reçues sur des banlieues qui seraient en proie à d’incessantes violences qui ne font qu’attiser la peur des « jeunes de cités ».

Le procureur général de Paris, Laurent Le Mesle, a annoncé « une réponse pénale plus ferme ». Comment ces discours de fermeté sont-ils perçus par les bandes ?

Nasser Demiati. Il faudrait leur poser la question ! Pour ma part, je crois sincèrement que la seule « réponse pénale » risque d’être inefficiente si on minimise les moyens de l’action publique dans les domaines de l’éducation et de l’emploi. En effet, le traitement judiciaire ne peut remplacer à lui seul les politiques sociales, les dispositifs locaux de prévention et les mesures d’insertion professionnelle.

Entretien réalisé par Cyrille Poy


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