#NousToutes : le cortège parisien étrille l’indigent bilan de Macron contre les violences sexuelles

mercredi 24 novembre 2021.
 

Plusieurs dizaines de milliers de manifestantes, dont beaucoup de lycéennes, ont répondu samedi à l’appel du collectif #NousToutes. Pour un réquisitoire contre l’inaction de l’exécutif. Reportage à Paris

.

Les trois élèves de terminale, venues d’Alfortville (Val-de-Marne) par le métro, attendent le départ de la marche parisienne, apparemment ravies malgré le froid sec et coupant. L’une d’elles, Mathilde Vinson, 17 ans, porte une double pancarte. Recto : « On ne baisse pas les yeux, on lève le poing ». Verso : « Comme Taylor l’a dit, Fuck the patriarchy ». Une référence à la chanteuse Taylor Swift, dont un titre, mis en ligne la semaine dernière, propose de « baiser le patriarcat ».

Mathilde avait déjà manifesté en 2019 à l’appel de #NousToutes. « On suit leur compte sur Instagram. Comme la cause n’est pas réglée, on s’est dit qu’on allait revenir. » C’est donc la deuxième manifestation de leur vie. Pourquoi cette revendication-là, plus que le climat ou d’autres urgences du moment ? « Cela peut arriver à une amie, à moi. On vient aussi montrer aux personnes victimes qu’elles ne sont pas seules. Ce n’est pas juste un “like” sur Insta. On vient marcher avec elles. »

Comme ces trois lycéennes, elles sont de très nombreuses collégiennes, adolescentes et jeunes femmes, sans lien avec aucun parti ou syndicat, à s’être retrouvées, entre République et Nation, ce samedi 20 novembre, à l’appel de #NousToutes. Ce collectif, lancé à l’été 2018, organisait sa troisième marche, après une mobilisation uniquement en ligne l’an dernier, à cause du Covid.

D’après les organisatrices, le cortège a réuni quelque 50 000 personnes, 18 000 selon la préfecture de police, soit moitié moins qu’il y a deux ans. Des rassemblements ont aussi eu lieu ce samedi dans d’autres villes de France (Reims, Rouen, Limoges, etc.), et des défilés sont encore prévus tout au long de la semaine prochaine ailleurs dans l’Hexagone.

D’une année sur l’autre, le message n’a pas bougé : dire stop aux violences sexistes et sexuelles. Camille est elle aussi en terminale, au lycée Lavoisier (5e). Elle fait partie de ce qu’elle appelle « un club NousToutes » dans son établissement, où une quinzaine d’entre elles ont confectionné affiches et tee-shirts en vue de la manif. Sa pancarte cible le ministre de l’éducation, allergique à l’écriture inclusive : « Jean·ne Michel·le Blanquer·e ». La lycéenne s’explique sans détour : « Il y a des gros sujets à l’école en ce moment, le harcèlement scolaire, la transphobie… Et lui, ministre, il s’intéresse à ça, au pronom “iel” qui rentre dans le dictionnaire… »

Plusieurs pancartes visaient à nouveau le ministre de l’intérieur. © MT Plusieurs pancartes visaient à nouveau le ministre de l’intérieur. © MT À côté d’elle, sa camarade porte une pancarte qui prévient : « Le vrai virus, c’est le patriarcat ». Une autre : « Dans sept féminicides, c’est Noël ». Plus loin : « Moins d’impunis, plus de cunnis », ou encore : « What happened to Peng Shuai ? » (qu’est devenue Peng Shuai ?), cette joueuse de tennis chinoise disparue après avoir accusé de viol, sur les réseaux sociaux, un haut responsable du Parti communiste chinois.

À quelques mois de la présidentielle, ce défilé massif et joyeux a pris l’allure d’un virulent réquisitoire contre l’action d’Emmanuel Macron. Le chef de l’État avait pourtant déclaré grande cause nationale, dès 2017, l’égalité entre femmes et hommes. Mais il suffisait de tendre l’oreille, dans le cortège parisien, pour entendre colères et déceptions face à l’indigence du bilan présidentiel en la matière.

Une des pancartes distribuées par #NousToutes dans la manif résumait le bilan, à la manière de Greta Thunberg à l’issue de la COP de Glasgow : « Bla Bla Bla ». Venue seule à la manif, Cynthia, étudiante de 28 ans en fac de lettres, « accuse les pouvoirs publics de complicité de féminicide » : elle en veut autant à l’exécutif, passif, qu’aux policiers, qui ne sont pas formés, assure-t-elle, à ce type de problématiques.

« Il existe un décalage immense entre la mobilisation de la société, comme on la voit aujourd’hui, et l’engagement politique [du gouvernement] sur les violences », relève Marylie Breuil, une porte-parole du collectif #NousToutes. Cette activiste de 23 ans insiste : « Prenez l’exemple des bracelets anti-rapprochement. Il y en a 379 en circulation, selon le ministère de la justice. Mais l’on compte 220 000 femmes victimes de violences conjugales chaque année… C’est à l’image du fossé entre la com’ du gouvernement et sa véritable action. »

Du côté de l’Union nationale des familles de féminicide (UNFF), l’une des associations qui appelait à la marche, le constat est identique. « On recense environ 600 femmes assassinées depuis le début de ce quinquennat, alors qu’en théorie nous sommes une grande cause nationale… Ce chiffre est pourtant le même que lors du mandat précédent », dénonce Sandrine Bouchait, une auxiliaire de puériculture, à la tête de l’UNFF.

Sur le front des violences sexistes et sexuelles dans le monde du travail, Sophie Binet, en charge de l’égalité femme-homme pour la CGT, qui défilait elle aussi dans les rues de Paris ce samedi, partage cette colère. « La France a signé la convention 190 de l’OIT, la première loi mondiale contre les violences sexistes et sexuelles au travail. Elle l’a ratifiée sous notre pression [début novembre - ndlr], mais elle l’a fait à droit constant, considérant que le droit national est largement suffisant, qu’il n’y a rien à changer. Là encore : de l’affichage. » La syndicaliste plaide pour « sortir les violences au travail de leur angle mort », alors que dix viols ou tentatives de viol se produisent sur un lieu de travail chaque jour en France.

De son côté, Sonia Bisch, fondatrice du collectif Stop aux violences obstétricales et gynécologiques, dénonce l’impunité qui continue de sévir, à ses yeux, dans le champ médical. Ce dossier, longtemps occulté, « commence à infuser dans le grand public », juge-t-elle, alors que le chef du service gynécologie de l’hôpital Tenon (à Paris) se trouve visé par six plaintes d’anciennes patientes (lire notre enquête ici). Mais là encore, cette militante observe l’inaction de l’exécutif. « En 2018, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes a publié un rapportqui établit que ce type de violences se sont généralisées en France, et liste des recommandations. Depuis, rien n’a été mis en place par le gouvernement », assure Sonia Bisch.

Au fil du cortège, la liste des griefs s’allonge encore. C’est au tour du collectif HF, pour l’égalité hommes-femmes dans les arts et la culture - et en particulier dans le spectacle vivant - de prendre la parole. Avec leur slogan « On n’est pas des muses », elles plaident notamment pour des « journées du matrimoine », afin de rendre visibles des artistes femmes oubliées. Elles s’étaient lancées dès 2009, en réaction à l’étude d’une haute fonctionnaire qui avait documenté, à l’époque, à quel point les hommes occupaient presque tous les postes de direction dans la culture, mais s’accaparaient aussi l’essentiel des moyens financiers attribués aux metteurs et metteuses en scène.

Elles ont l’impression d’avoir gagné quelques batailles depuis 2009. « Cela régresse dans certains secteurs », jugent Marie Guérini et ses collègues de HF. « Si l’on prend les directions de centres chorégraphiques nationaux, il y avait 25 % de femmes il y a dix ans, contre 6 % aujourd’hui, assurent-elles, s’appuyantsur des travaux récents. La situation n’a pas vraiment bougé. Nous avons besoin de mesures coercitives, de véritables sanctions pour les responsables qui ne respectent pas les règles. Le ministère semble animé de bonnes intentions, mais ça ne se traduit pas dans les actes. »

Sur le parcours, un groupe d’hommes armés de ceintures et barres de fer, semblant agir comme le service d’ordre d’un collectif « féministe identitaire » venu contester les mots d’ordre de #NousToutes, a provoqué une bagarre et frappé au moins un ou une manifestant·e.

20 novembre 2021 Par Ludovic Lamant


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message