Renaud : « Je rêve d’une gauche plus forte, plus unie, plus combative »

lundi 17 septembre 2007.
 

La gauche, La Courneuve, les bobos, ses révoltes, ses engagements... Renaud nous dit tout à l’occasion de sa venue sur la grande scène de la Fête de l’Humanité, dimanche 16 septembre.

Il est le chanteur « énervant » le plus populaire de France. Les années ont beau passer, Renaud ne laisse pas béton. Toujours aussi émouvant lorsqu’il interprète ses chansons « tendresses » ou teigneux quand il décoche quelques flèches contre les bobos, ses nouveaux ennemis qu’il met gentiment en boîte dans son dernier album Rouge sang. Le voici à la Fête de l’Humanité où il n’avait pas chanté depuis 1984. Souvenirs, souvenirs...

Cela fait plus de vingt ans que vous n’êtes pas venu à la Fête...

Renaud. (Il réfléchit - NDLR.) De mémoire, le blouson, la guitare tigrée, ça devait être 1984. Je suis passé en spectateur quelques fois, avec Claude Berry aussi au moment du film Germinal, je me souviens être venu voir Robert Charlebois et Gilles Vigneault où il me semble être monté avec lui pour chanter son final Quand les hommes vivront d’amour.

La Fête, ça évoque quoi, pour vous ?

Renaud. Une grande fête populaire, politique. Un espace culturel, social, festif, fraternel. Pour moi, ce n’est pas innocent de faire la Fête de l’Huma. Il y a derrière cette participation un engagement fraternel, politique même si, vous le savez bien, je ne suis pas un électeur communiste. Je suis compagnon de route et j’ai toujours le sentiment en faisant la Fête de l’Huma de m’inscrire dans une démarche politico-sociale, humaniste. Si demain les chars russes envahissent de nouveau la Tchécoslovaquie et que le PCF les soutient, là, peut-être que je refuserais de refaire la Fête de l’Huma. Actuellement, je n’ai aucune raison de ne pas y participer.

La défaite électorale de la gauche ?

Renaud. Que d’aucuns ont considéré comme une semi-victoire parce que le raz-de-marée bleu aux législatives n’a pas été un tsunami. Moi, je dis que c’est une sérieuse déroute avec des conséquences totalement déstabilisantes, démobilisantes. Les dissensions internes au PS, les luttes de clans, de chefs, de pouvoir, les luttes intestines des éléphants entre eux, c’est complètement décrédibilisant. En ce qui me concerne, ça ne me donne pas envie de baisser les bras, mais de reconstruire une gauche plus forte avec ses extrêmes, avec la composante du PC notamment et celle des Verts, dont je suis un des électeurs. Je suis électeur de gauche par discipline, de gauche toujours au second tour, et écolo au premier tour depuis plus de quinze ans.

Vous dites « reconstruire » ?

Renaud. Je n’ai pas la prétention de participer, plus qu’une infime goutte d’eau, à la reconstruction de la gauche, en venant à la Fête de l’Huma, mais c’est une façon de montrer mon désir de la voir plus forte, plus unie, plus solidaire, plus combative. Il y a du boulot pour les cinq ans, voire les dix ans qui viennent. Je trouve pathétique, pour l’élection présidentielle, de n’avoir pas réussi à trouver un candidat unitaire, unique, qui réunisse toute la gauche anticapitaliste, antilibérale, altermondialiste, anarcho, écolo, trotsko, coco. S’ils avaient pu se réunir autour d’un nom, d’un programme, d’un projet et d’un candidat honnête, charismatique et combatif, lequel aurait pu en même temps séduire des abstentionnistes historiques, des jeunes... C’est un peu utopique, mais c’était effectivement mon rêve au premier tour de la présidentielle, qu’il y ait un immense mouvement autour d’un candidat ou d’un programme qui réunisse les millions de personnes de gauche, authentiquement de gauche.

Comment, selon vous, s’explique le revers subi par la gauche ?

Renaud. Je pense que la candidate socialiste n’était pas forcément le bon choix, même si j’ai voté pour elle, qu’elle n’a pas fait une bonne campagne, que Sarko a été très fort, très malin, très fourbe. On est sous la dictature de la médiacratie ou de la médiocratie où les gens considèrent les élections un peu comme la Star Academy. Ils votent pour celui qui a la plus belle Rolex ou le plus beau costard, qui parle le mieux, qui est le plus séduisant en télé. Les riches vont sûrement se satisfaire de l’élection de Sarkozy. Les pauvres, à mon avis, vont réaliser dans quelque temps à quel point, ils ont été abusés. On voit d’ailleurs les premières difficultés pointer le bout de leur nez. La réforme des universités, la remise en cause du droit de grève avec le service minimum... J’ai l’impression que ça ne commence pas trop bien.

À propos de votre fils Malone, vous dites qu’il sera « un vrai petit sans-culotte »...

Renaud. Symboliquement, il est né un 14 juillet. J’espère qu’il aura l’esprit sans-culotte. L’esprit rebelle, libertaire, n’acceptant pas la fatalité de ce monde, la loi du plus fort, la loi de la jungle et qu’il sera comme son père essaie d’être, toujours engagé, révolté par les injustices, l’oppression, les atteintes aux libertés.

C’est votre côté éternel révolté ?

Renaud. C’est de plus en plus fondamental de l’être ou de le devenir. Cela fait partie de l’amour. Mon moteur, c’est la révolte, ne pas me résigner à accepter ce monde tel qu’il est. On a beau s’embourgeoiser ou vivre dans une société occidentale, européenne, développée économiquement avec des bavures, des problèmes sociaux et des atteintes aux libertés monumentales dans nos propres démocraties, on continue à vivre dans un monde où un petit tiers de la planète vit au détriment des deux autres tiers. Comme avec le gaspillage des ressources, ici, dans nos pays, quand on voit les besoins vitaux des deux tiers de la planète, ne serait-ce qu’au niveau de l’eau, de l’accès aux soins, à la culture, à la santé, je ne me résigne pas à accepter ce monde. Quand on pense que le budget de la guerre en Irak sur dix ans, essentiellement payé par les Américains et la coalition, permettrait de ramener l’Afrique au niveau de l’Europe en terme de santé et à la planète entière d’accéder à l’eau potable, d’éradiquer la progression du sida en Afrique et dans le tiers-monde et de passer aux trithérapies...

Votre chanson les Bobos a fait couler beaucoup d’encre...

Renaud. C’est un petit portrait caricatural, un peu fourbe et faux cul. Je tape tellement large dans cette classe sociale un peu floue, essentiellement urbaine, parisienne, que beaucoup de monde se reconnaît dans certains passages de cette chanson. Donc, forcément certains se croient un peu agressés et concernés. En plus, j’ai la malice de m’intégrer dans le lot, comme ça, je me dédouane à l’avance de toutes critiques, même si je ne réfléchissais pas à cela en l’écrivant. Elle est bien vécue par le public qui la prend avec fantaisie et humour comme une simple chanson moqueuse. Et elle est très mal vécue par les bobos de la gauche caviar parisienne essentiellement et par cette presse dite de gauche, qui y ont vu un brûlot dirigé contre eux. De Télérama au Monde, en passant par les Inrockuptibles, Libération, le Point et le Nouvel Obs, ils ont été dans le meilleur des cas méprisants, au pire diffamatoires, insultants. Les mêmes qui m’avaient tressé des louanges un peu excessives sur mon album précédent Boucan d’Enfer, qui était un disque triste, peu engagé - et qui n’est pas mon meilleur album même si paradoxalement c’est le plus gros succès discographique de ma carrière -, m’ont assassiné avec le même excès sur l’album Rouge sang. À croire que ces gens-là me préfèrent malheureux. Ils imaginent peut-être que la souffrance rend beau ou humain et que le bonheur ne me va pas bien. C’est peut-être une forme de jalousie ou d’agacement de me savoir toujours rebelle, vivant, debout et heureux en plus ! Ils ont vu dans la constance de mes engagements, fussent-ils un peu naïfs et utopiques, l’aveu de leur propre renoncement, trahison, embourgeoisement.

On imagine que tout cela ne doit pas être facile à vivre ?

Renaud. Je revendique d’être un être humain avec mes erreurs, mes doutes, mes paradoxes, mes contradictions. Ces gens qui se veulent les garants de la morale, du bon goût, des arts, des engagements, de la vertu ont fini de me désespérer. Ils ne m’intéressent pas du tout.

Pourquoi avoir choisi de vous installer à Londres ?

Renaud. La presse a parlé d’exil. Tout cela a fait polémique et beaucoup de bruit pour rien. Ce n’est pas une installation définitive, ni une désertion, mais de longs séjours là-bas. J’aime le dynamisme de cette ville, son côté cosmopolite. J’ai l’impression quterme d’immigration les Anglais sont beaucoup plus ouverts, plus généreux, plus intelligents. J’aime le dynamisme culturel, le civisme des Anglais. Jusqu’à l’âge de trente ans, je parlais l’anglais avec un accent mélange de Yasser Arafat et de Maurice Chevalier ! Mais là, je m’améliore. Je suis contraint et heureux de pratiquer la langue de Shakespeare. J’aime le rock anglais, le foot anglais, ma femme Romane adore le stylisme, la mode anglaise. J’apprécie aussi le fait qu’on peut s’habiller n’importe comment et que tout le monde s’en fout. Du moment qu’on ne dérange pas les autres, les gens vous fichent une paix royale. Je ne sais pas trop quel regard ils ont sur moi mais, pour Romane comme pour moi, là-bas, on est des êtres humains avant d’être des artistes connus, célèbres. Ils nous jugent pour nos qualités humaines. C’est agréable de savoir que des gens nous apprécient, nous trouvent sympathiques, sans savoir combien on a vendu de disques !

Faut-il s’attendre à un album couleur « bristish » ?

Renaud. Mes projets, ce n’est pas vraiment un album. J’envisage en 2008 de redécouvrir le bonheur de chanter devant un public qui ne me connaît pas. Redémarrer de zéro, au plus bas de l’échelle en me produisant dans des pubs à chansons en Angleterre avec un ou deux musiciens britanniques. J’aimerais interpréter en anglais de nouvelles chansons et certaines de mes chansons les plus universelles adaptées en anglais. Mon HLM, par exemple, c’est trop spécifique de la société française et assez intraduisible pour là-bas, les Bobos, pareil. Mais En cloque ou la Pêche à la ligne sont des chansons qui peuvent toucher les êtres humains. J’ai envie de cette mise en danger et du bonheur narcissique de partir à la conquête de gens qui vont me découvrir en ne disant surtout pas que je suis Renaud, « chanteur connu en France ». Je m’inventerai un nouveau nom d’artiste, une biographie imaginaire comme quoi je suis un instituteur à la retraite !

Vous avez une « patate d’enfer » comme vous le soulignez dans vos spectacles...

Renaud. Il n’y a que l’inactivité qui me tue. Entre la vie professionnelle, la vie familiale et mon désir de découverte, de voyages, de passions, de lectures, je redécouvre le plaisir de vivre. J’ai perdu presque cinq ans de ma vie à la boire, à la fuir, donc je rattrape le temps perdu. La seule chose qui altère mon bonheur, c’est qu’il ne soit pas partagé par le plus grand nombre, voire par l’humanité entière.

Dimanche, vous serez sur la grande scène, un événement qui risque d’être marqué par la nostalgie...

Renaud. Plus le temps passe, plus je touche des gens qui sont sensibles à la nostalgie que mes chansons leur apportent parce qu’elles évoquent leur jeunesse, leur enfance ou leur adolescence. Mais bon, la relève est là, puisque ces gens viennent avec leurs propres enfants ou petits-enfants. Le public se renouvelle, toujours aussi sensible aux chansons engagées où à mes chansons tendres.

Dans Marchand de cailloux, vous dites « Je veux partager mes colères avec ceux qui ont faim »...

Renaud. « J’veux partager mon McDo avec ceux qui ont faim / J’veux donner l’amour bien chaud à ceux qu’ont plus rien / Est-ce que c’est ça être coco ou être un vrai chrétien, moi j’me fous de tous ces mots / J’veux être un vrai humain. » C’est Victor Hugo qui disait : « Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent. » Pour ma part, je lutte à ma façon, avec mes petits moyens. Je crois être resté fidèle à mes convictions de gauche, humanistes, fraternelles, solidaires, internationalistes. Je n’ai pas le sentiment d’avoir trahi, comme on voit pas mal de gens de gauche aujourd’hui se vendre pour un plat de lentilles. Pour moi, l’heure est plus à l’union de toutes les forces de gauche de façon à faire un contrepoids à cette concentration des pouvoirs. Soyons vigilants.

Grande scène, dimanche 16 septembre, 17 h 10.

Entretien réalisé par Victor Hache


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