À droite, la tentation Zemmour se fait déjà pressante

jeudi 4 novembre 2021.
 

Tribune de soutien, ralliements déclarés et tractations pour l’avenir : enlisée dans sa compétition interne, une partie de la droite LR se laisse séduire par la démarche d’Éric Zemmour.

À la tribune, l’essayiste Alexandre Del Valle déroule un laïus sur l’état du monde quand des applaudissements venus du hall viennent distraire les quelques centaines de spectateurs. Les journalistes et des grappes entières de curieux quittent à grandes foulées la grande salle du théâtre Armande-Béjart d’Asnières (Hauts-de-Seine). Dehors, une haie d’honneur attend le réceptacle de ces applaudissements. Plusieurs dizaines de jeunes militants s’époumonent à son passage : « Zemmour président ! »

Un accueil triomphal soigneusement mis en scène par ses soutiens. Ce dimanche 26 septembre, ce n’est pas au cours d’une des conférences prétendument littéraires qu’Éric Zemmour est acclamé, mais à l’université de rentrée du Mouvement conservateur – le nouveau nom de Sens commun, ce parti de droite traditionaliste affilié aux Républicains (LR). Une manière, pour son équipe, de montrer l’attente que suscite au sein de l’électorat de droite le faux suspense autour de sa candidature.

Il n’y a pas qu’à Alexandre Del Valle que l’ancien journaliste a volé la vedette ce jour-là. Au milieu de tables rondes réunissant la crème de la droite de la droite (les journalistes Geoffroy Lejeune et Élisabeth Lévy, les parlementaires François-Xavier Bellamy et Valérie Boyer, les acolytes de CNews Mathieu Bock-Côté et Christine Kelly…), la journée était censée être ponctuée d’interventions des candidats à l’investiture LR pour l’élection présidentielle.

Xavier Bertrand n’avait pas été invité, Michel Barnier a invoqué un agenda trop chargé et Valérie Pécresse s’est rétractée en apprenant la venue d’Éric Zemmour ; les trois autres, Philippe Juvin, Éric Ciotti et Denis Payre, n’ont pu que constater leur défaite à l’applaudimètre. Les adhérents du Mouvement conservateur, membres de facto de LR, ont ovationné Éric Zemmour, qui leur lançait : « Je suis venu parler aux orphelins du RPR. »

Entre deux clins d’œil appuyés à Laurence Trochu, la présidente du mouvement, le polémiste a dénoncé « un parti de notables centristes » qui ont « trahi » la droite. Faisant siffler Valérie Pécresse et Xavier Bertrand, il a tancé « ces personnalités qui vous ont tourné le dos en vous expliquant que vous étiez trop à droite. Aujourd’hui, tous reprennent mon discours pour vous séduire. Ne soyez pas dupes ! » Et Éric Zemmour de conclure, devant une salle conquise : « Les valeurs de la droite conservatrice, ce sont mes valeurs. »

Jeter des ponts

Dans sa stratégie de conquête du pouvoir, l’ancien chroniqueur télévisuel mène un double objectif : séduire à la fois l’extrême droite, en misant sur son rejet de Marine Le Pen, et une partie de la droite traditionnelle, à savoir son versant souverainiste et conservateur. Mediapart a déjà raconté l’afflux massif de figures de la fachosphère autour de l’entreprise présidentielle d’Éric Zemmour (lire l’enquête de Lucie Delaporte). Son premier cercle n’est pas en reste : y gravite notamment l’ancien bras droit de Bruno Mégret, comme en atteste un document interne que nous révélions la semaine dernière.

L’extrême droite n’est toutefois pas le seul vivier dans lequel Éric Zemmour pioche ses stratèges et ses soutiens. Plusieurs de ses plus proches viennent de la droite la plus classiquement partisane. Sa directrice de campagne, Sarah Knafo, est une ancienne militante de l’UMP. Diane Ouvry, chargée de ses relations presse, était jusqu’en 2020 collaboratrice d’un député LR. Samuel Lafont, qui pilote sa communication, travaille encore pour la sénatrice LR Joëlle Garriaud-Maylam. Antoine Diers, qui joue le rôle officieux de porte-parole, est directeur de cabinet du maire LR du Plessis-Robinson (Hauts-de-Seine).

Autant de purs produits de la droite traditionnelle, désormais chargés de jeter des ponts. « Je mets en lien des gens de LR avec Éric Zemmour, assume Antoine Diers. Je suis entré à l’UMP en 2008, j’ai des amis partout dans le parti. »

Cathos tradis et souverainistes

Face à une droite empêtrée dans sa compétition interne, Éric Zemmour est persuadé qu’un espace politique lui tend les bras. L’aile droite de LR s’avoue assurément « perdue », comme nous le racontaient des militants mi-septembre. Deux de ses principales figures, Laurent Wauquiez et Bruno Retailleau, ont renoncé à se présenter. Même s’ils droitisent leur discours, les favoris que sont Xavier Bertrand, Valérie Pécresse et Michel Barnier incarnent une ligne qu’elle juge trop « molle » sur les questions identitaires.

C’est à cette aune qu’il faut comprendre l’offensive d’Éric Zemmour sur « les orphelins du RPR », un parti dont il a chroniqué l’histoire à la fin du siècle dernier. Dans son viseur, deux fragments de la droite LR : l’électorat catholique traditionaliste, qui avait largement contribué à la campagne de François Fillon en 2017, et l’électorat souverainiste qui se reconnaît dans sa critique de l’immigration et de l’islam. « Zemmour réussit le réalignement identitaire entre la base et le candidat, à une époque où les cadres LR sont lobotomisés par la gauche », lance Antoine Diers.

L’entreprise rencontre un écho réel, notamment auprès d’une certaine jeunesse de droite. Fin août, une tribune publiée dans Le Point revendique 100 signatures de jeunes sympathisants autour d’un texte qui appelle LR à soutenir ce « candidat naturel » que serait Éric Zemmour, « le plus à même de faire triompher [leurs] idées ». Le parti de la rue de Vaugirard crie à la manipulation, jure que seule une poignée d’entre eux est adhérente.

« C’est n’importe quoi », répond Baptiste Laroche, un des lanceurs de ce texte. Directeur de campagne aux élections municipales dans le IXe arrondissement de Paris, cet adhérent LR de 24 ans critique la « déconnexion » des élus de son parti. « La tribune a montré la dynamique qu’il y a autour de sa candidature, assure-t-il. Quelque chose est en train de passer sous leurs yeux, avec leurs militants, et ils regardent ailleurs. »

Une certaine jeunesse de droite conquise

Ancien responsable des Jeunes avec Poisson, rassemblés en 2016 autour de la candidature du chrétien-démocrate Jean-Frédéric Poisson à la primaire, Baptiste Laroche dit être attaché à LR mais totalement séduit par Éric Zemmour : « Pour toute une génération dont je fais partie, c’est un intellectuel important, assure-t-il. Tous les jeunes de droite ont Le Suicide français [un de ses livres, sorti en 2014 – ndlr] chez eux ! Les jeunes LR, ce sont aussi la génération Zemmour. »

Parmi les signataires de la tribune figure un cadre des Jeunes Républicains. Matthieu Louves, 26 ans, n’a pas tardé à être révoqué de son poste de responsable départemental des Jeunes de Gironde. Mais le voir revendiquer son soutien, assumé ensuite avec fierté sur les plateaux de télévision, a quelque peu ébranlé le marigot de la jeunesse de droite. « Je vois bien à quel point mon parti marche sur la tête depuis deux ans avec des compromissions incessantes, explique-t-il à Mediapart. Éric Zemmour est celui qui peut nous faire gagner. »

Proche de Sarah Knafo, dont il assume être un « ami », celui qui est toujours adhérent LR souligne qu’il n’est pas seul à rouler pour le quasi-candidat. « Plein de militants ont déjà franchi le cap. Ils m’appellent et me demandent comment ils peuvent aider », assure-t-il. Sur le terrain, les adhérents de l’Uni, un syndicat étudiant réputé proche de LR, n’hésitent plus à se joindre aux événements organisés par Éric Zemmour, et à prêter main-forte aux militants de Génération Z, le mouvement de jeunesse de la précampagne.

D’autres pourraient suivre. Selon nos informations, le responsable national des Jeunes avec Barnier, Victor Bonnin, a participé à l’élaboration de la tribune du Point…, avant de se rétracter et de rejoindre la campagne de Michel Barnier – ce qu’il dément auprès de Mediapart. « Beaucoup sont d’accord avec nous, on le sait, mais ils n’osent pas encore franchir le pas », avance Baptiste Laroche.

De même, le secrétaire général des Jeunes Républicains, Théo Michel, peine à cacher sa sympathie pour Éric Zemmour. Sur les plateaux de CNews où il est régulièrement invité, le jeune élu LR du XVIIe arrondissement dénonce les attaques à son égard et partage sa critique de « l’immigration massive ».

Sur Twitter, pendant la déambulation à Drancy du polémiste, il écrit : « Quand je vois certains jeunes d’origine immigrée se plaindre de leur sort en 2021, cela m’écœure et je me dis qu’ils devraient aller voir ailleurs ! »

En creux se lit l’embarras d’une sphère militante, en particulier chez les jeunes, qui appelle depuis des années à l’union des droites. « On se connaît tous, on fréquente les mêmes milieux, les mêmes soirées », explique Baptiste Laroche ; une droite, qu’elle soit à LR ou « hors les murs », qui partage des références médiatiques, intellectuelles et politiques, et n’attend plus qu’un débouché électoral. « Éric Zemmour vient incarner ce trait d’union qui existe depuis des années », souligne Matthieu Louves.

Antoine Diers raconte une réunion publique à Lille, près de sa circonscription d’attache, où il aurait reconnu « tous les anciens de l’UMP et des Jeunes Républicains », « les Annie, les Jean-Luc, les Jacques qui sont là depuis toujours et qui disent “on les aime bien chez LR, mais là, il faut y aller !” ».

Les cadres ont compris que la base était en train de partir ( Antoine Diers, porte-parole officieux d’Éric Zemmour)

Forcément, Les Républicains ne voient pas cette recomposition d’un œil rassuré. Rares sont les bureaux politiques ou les réunions de fédération à se terminer, ces temps-ci, sans que le nom d’Éric Zemmour ne soit prononcé. « On a de plus en plus de militants qui nous disent qu’ils vont le soutenir, reconnaît le président d’une des plus grosses fédérations LR du pays. Et c’est encore plus vrai chez les jeunes. Je ne le voyais pas nous siphonner mais je commence à avoir peur de me tromper. » Antoine Diers enfonce le clou : « Les cadres ont compris que la base était en train de partir. »

En public, pourtant, le discours se veut rassurant. « Nos adhérents sont très légitimistes, veut croire la sénatrice Christine Bonfanti-Dossat, secrétaire départementale de la fédération LR du Lot-et-Garonne. Zemmour racle surtout les fonds de tiroir du Rassemblement national. Alors oui, ça peut séduire certains et on a eu tort de laisser les thématiques identitaires de côté. Mais chez nous, la vague Zemmour n’est pas un tsunami. »

Parmi les parlementaires LR, seul le sénateur Sébastien Meurant a ouvert (en grand) la porte à un soutien. « J’ai dit publiquement tout le bien que je pensais d’Éric Zemmour, nous disait-il fin septembre. Il ne faut pas l’enfermer dans l’identité et l’immigration, il n’incarne pas que cela. Si LR soutenait quelqu’un comme Xavier Bertrand, ça ne correspondrait pas du tout à mes convictions. » En coulisses, comme le révélait Le Parisien, le sénateur du Val-d’Oise (également président de fédération) travaillerait à structurer un courant de parlementaires LR pro-Zemmour.

Au sein du futur staff de campagne, on espère également convaincre plusieurs figures de la droite de la droite. L’initiative a même failli démarrer par une prise de guerre prestigieuse : Patrick Stefanini, directeur de campagne de Jacques Chirac en 1995 puis de François Fillon en 2017, a rencontré plusieurs fois Éric Zemmour. Avant de revenir dans le giron de la droite en prenant la direction de la campagne de Valérie Pécresse.

Selon nos informations, des rendez-vous ont régulièrement lieu entre Éric Zemmour et des élus LR que le futur candidat rêve de débaucher. Souvent cité, l’eurodéputé François-Xavier Bellamy, dont la ligne libérale conservatrice colle parfaitement à celle de la future campagne. « Il a le mérite de poser une question fondamentale, celle de ce qui fait que nous sommes français », a-t-il salué sur Public Sénat. Récemment, Éric Ciotti, pourtant lui-même candidat, a déclaré qu’il voterait pour Éric Zemmour s’il était opposé à Emmanuel Macron au second tour.

D’ici là, plusieurs élus locaux de droite ont fait savoir à l’entourage d’Éric Zemmour leur disponibilité. Le conseiller départemental de Seine-Saint-Denis, Vijay Monany, a rejoint l’équipe opérationnelle. Proche de Sarah Knafo, il est directeur de cabinet du maire (LR) du Blanc-Mesnil, Jean-Philippe Ranquet. Et, à ses heures perdues, conseiller d’Éric Zemmour, pour lequel il rédigerait des notes et des discours. « No comment », a-t-il répondu à Mediapart qui l’interrogeait à ce sujet.

Lundi, il n’a pourtant pas hésité à s’afficher à ses côtés à Drancy (Seine-Saint-Denis), à l’occasion d’une émission de CNews dont Éric Zemmour était l’invité. Il a pu approuver la diatribe anti-immigration de son champion, étant lui-même un habitué du genre. « Quand on est en Seine-Saint-Denis, on se demande si on est encore en France », disait-il en 2017 dans l’enceinte du conseil départemental. Avant d’ajouter : « Vous aurez beau urbaniser toute la France, vous ne parviendrez pas à loger toute l’Afrique. »

Une recrue de choix qui pourrait en appeler d’autres. Auprès d’Éric Zemmour, on est persuadé que le résultat du congrès fera basculer de nouveaux élus et, dans leur sillage, de nouveaux électeurs. « Beaucoup sont dans l’attente, ils veulent voir qui sortira vainqueur du congrès, estime Baptiste Laroche. Après le 4 décembre, il y aura un afflux. »


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