Au commissariat de Montpellier, « on demande aux victimes de viol si elles ont joui »

dimanche 3 octobre 2021.
 

Depuis plusieurs jours, Anna Toumazoff relaie sur les réseaux sociaux des témoignages de femmes qui sont allées porter plainte pour une agression sexuelle ou un viol au commissariat de Montpellier. Les propos rapportés sont accablants.

Regards. Depuis une semaine, vous recueillez la paroles des femmes qui sont allées porter plainte pour une agression sexuelle ou un viol au commissariat de Montpellier. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Anna Toumazoff. J’ai été contactée jeudi dernier par un proche d’une jeune fille qui a été violée en septembre. Elle a porté plainte le 9, a été reçue par une policière qui lui a demandé, entre autre, si elle avait joui pendant le viol. Le 21, la plainte a été classée sans suite… J’ai partagé ce témoignage sur les réseaux sociaux pour interpeller ce commissariat, à la suite de quoi j’ai reçu plein de témoignages relatifs au même commissariat, qui parlait de la même policière, et j’ai compris que ça faisait une décennie que ça durait. Depuis, et alors que le processus de médiatisation s’accélère, les témoignages s’accélèrent aussi. J’en ai déjà reçu au moins une quarantaine, et je dois avoir 100 messages non lus.

Les témoignages sont terribles : « on demande aux victimes de viol si elles ont joui » ; « on explique aux victimes de viol qu’une personne qui a bu est forcément consentante » ; « on refuse de recevoir des victimes de viol en raison de leur tenue » ; « on les recale, malgré leur visage tuméfié, en leur riant au nez » ; « on explique texto aux victimes de viol que porter plainte n’a aucune espèce d’utilité »... Comment est-ce que vous encaissez ça ?

J’aimerais ne pas y croire, mais en vérité je commence à être habituée. On sait qu’il y a un problème de sexisme dans les commissariats, tout comme on sait qu’il y a des cellules où des agents sont particulièrement bien formés. En fait, le pire dans tout ça, c’est qu’on est toujours déçu de voir que des gens se traitent entre eux avec si peu d’humanité. On parle-là d’une policière aguerrie, qui s’adresse à des jeunes femmes. Manifestement elle n’est pas formée pour accueillir ce public.

Il n’aura pas fallu 24h à la préfecture de l’Hérault pour réagir à vos tweets, via un communiqué. Et de quelle manière : « Le préfet [...] condamne avec fermeté les nouveaux propos diffamatoires tenus récemment sur les réseaux sociaux par Mme Anna Toumazoff à l’encontre des fonctionnaires de police du commissariat de Montpellier. Les fausses informations et mensonges qui ont pour seul objectif de discréditer l’action des forces de sécurité intérieure dans leur lutte quotidienne contre les violences sexuelles desservent la cause des femmes victimes. [...] le ministère de l’Intérieur se réserve la possibilité d’agir en justice » On imagine que vous attendiez une autre réaction...

Oui. C’est un peu belliqueux, et surtout politiquement stupide. Je ne sais même pas quoi dire tant rien ne va dans ce communiqué : tant dans la forme avec ce passage de la troisième personne à la première ; tant sur le fond quand il écrit à plusieurs reprises que la lutte contre les violences faites aux femmes est un objectif prioritaire des pouvoirs publics. Au bout d’un moment, il ne suffit pas de dire quelque chose pour que cela devienne une réalité. La préfecture n’a même pas essayé de me contacter pour en savoir plus... Par contre, ils s’expriment dans la presse locale pour dire que je ne connais rien à la procédure

« On essaie de faire taire les victimes de violences sexuelles, comme d’habitude. »

Par votre personne, les victimes de violences sexuelles deviennent, de fait, accusées par les autorités qui prétendent les aider. Que dites-vous de ce procédé ?

C’est lamentable. On essaie de les faire taire, comme d’habitude. Je ne crois pas qu’il y ait que des bonnes choses sur les réseaux sociaux, mais ça constitue une arme difficile à contrôler pour les autorités. Là, on ne parle pas d’un sujet clivant ou polémique : c’est factuel, objectif. Moi, j’ai tellement de respect pour les victimes que je ne peux pas arrêter là. Mais vous savez, c’est toujours la même problématique avec la police en France. Il y a beaucoup de personnes qui s’opposent à la police, mais au fond c’est la faute du gouvernement et du ministère de l’Intérieur : ils ne respectent pas leurs propres effectifs en laissant des pommes pourris dans le panier. En ne réagissant pas, ils permettent qu’on jette l’opprobre sur la profession. C’est dramatique parce qu’on entend parler que des policiers qui posent problème. Maintenant, je préférerais que le préfet se rétracte et qu’on gère ça au niveau local. Mais je n’y crois pas vraiment. D’autant qu’il y a un réel effet Streisand depuis la publication de ce communiqué.

Propos recueillis par Loïc Le Clerc


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