Combattre les feux croisés contre la laïcité

mercredi 25 août 2021.
 

Par Zohra Ramdane et Bernard Teper

Dans ce combat, nous avons besoin de plus de radicalité – au sens étymologique « d’aller à la racine » -, de plus de cohérence politique et de plus de rassemblement humain. Pour cela, nous proposons au débat général argumenté 12 exigences.

1) D’abord, commencer par faire ce que peu d’hommes ou de femmes responsables politiques ou syndicaux font aujourd’hui : expliciter la définition historique de la laïcité, à savoir la totale liberté de conscience, l’universalité du principe pour toutes et tous, la séparation stricte de la société civile (incluant le domaine public et la plage par exemple) d’une part, des sphères de l’autorité politique et de constitution des libertés (école, sécurité sociale et services publics). Il faut enfin que le lien politique entre citoyens soit débarrassé de tout lien préalable d’une autre nature (1).

2) La transcription juridique de la laïcité a fonctionné avec quatre textes et non un seul : la loi promulguée le 9 décembre 1905 et les trois circulaires de Jean Zay du Front populaire (1er juillet et 31 décembre 1936 et 15 mai 1937). La loi de 2004 n’est que le retour à la circulaire du 15 mai 1937 après la forfaiture de Lionel Jospin en 1989 qui a inséré dans son projet de loi scolaire de 1989 un article contradictoire avec la circulaire. Mais pour revenir à la circulaire de 1937, nous avons dû batailler lors d’une campagne que nous avons coanimée du 21 octobre 1989 (date du rassemblement de Créteil : 1300 personnes) au 18 octobre 2003 (lendemain de l’audition de Jean-Paul Costa, vice-président de la Cour européenne des droits de l’homme, à la commission Stasi).

3) La loi promulguée le 9 décembre 1905 a été violée de nombreuses fois, soit par des modifications de la loi elle-même, soit en application de la hiérarchie des normes de l’ordre juridique avec une loi postérieure. Et grâce à cela, la plupart des édifices religieux construits ces dernières années ont été subventionnés par de l’argent public et cela pour les quatre principaux cultes. Au moins deux cathédrales catholiques, un temple évangélique de sept étages, des mosquées musulmanes et des synagogues juives. Ainsi, le discours de certaines associations « Pas touche à la loi de 1905 » ne provoque qu’éclats de rire des lobbies religieux. Car depuis des années, les cadeaux que constituent des baux emphytéotiques quasiment gratuits et l’abandon la distinction entre cultuel et culturel dans les financements ont créé des « trous dans la raquette » …

4) La laïcité n’est qu’un principe d’organisation sociale et non une valeur ou une opinion. On peut être laïque et croyant, on peut être laïque et non croyant, mais on peut être aussi anti-laïque et athée ou agnostique, et anti-laïque et croyant.

5) Comprendre le réel avant de proposer l’idéal. Et pour comprendre le réel, il ne faut pas simplifier, il faut au contraire clarifier le complexe. Pour la première fois de l’histoire, nous avons quatre adversaires : l’extrême droite, la droite installée, l’extrême centre macroniste (selon le concept de l’historien Pierre Serna) et la gauche identitaire. Il faut donc les combattre les quatre à la fois car ils sont tous les quatre des alliés directs ou indirects de l’oligarchie capitaliste. Et c’est l’oligarchie capitaliste qui est le principal soutien de la gauche identitaire, par son pouvoir de nomination dans les postes qu’elle crée, son pouvoir de financement. Le capitalisme a besoin de ces quatre forces qu’il utilise comme un général utilise ses bataillons sur un champ de bataille.

6) Aujourd’hui, aucune direction de grandes organisations politiques, syndicales ou associatives ne promeut avec cohérence et volontarisme le principe de laïcité. Quant aux autres, elles sont archipélisées comme jamais et vivent dans l’entre-soi. Mais dans toutes ces organisations, il y a des militants attachés au principe de laïcité énoncé ci-dessus.

7) Jamais dans l’histoire, il n’y a eu une avancée laïque sans avancée sociale. Plus encore, les avancées ou les reculs s’effectuent en même temps sur le social et le laïque. De ce fait, toutes les actions ne portant que sur la laïcité n’ont au mieux aucune chance d’aboutir !

8) Si la laïcité est née en France, c’est uniquement parce que la France a été le plus grand pays d’immigration du monde depuis le XIIIe siècle. Dans les années 1920, le taux d’immigration était plus fort en France qu’aux Etats-Unis ! Aujourd’hui, le phénomène d’immigration est généralisé par la mondialisation néolibérale. Conséquence : le principe de laïcité devient une nécessité internationale. Si elle recule en France, elle progresse dans beaucoup de pays du monde.

9) Depuis une soixantaine d’années, le plus grand nombre de martyrs en raison de leurs idées sont des martyrs de la laïcité : depuis les massacres de 1965 en Indonésie, jusqu’aux assassinats de Mohamed Boudiaf en Algérie, de Mohamed Brahmi et de Chokri Belaïd en Tunisie et bien sûr de toutes les victimes françaises que nous connaissons tous et toutes

10) A terme, pour développer une politique de gauche laïque, démocratique, sociale, féministe et écologique, il conviendra de constituer un bloc historique mobilisé avec la classe populaire ouvrière et employée. Sans elle rien n’est possible, car cette classe populaire détient un des ressorts indispensables aux conquis laïques dans l’histoire, la capacité de résister et de vaincre dans la lutte des classes engagée par l’oligarchie au pouvoir. La perspective de développement des principes démocratiques, laïques, sociaux, féministes et écologiques avec en ligne de mire l’objectif d’une République sociale (2) est à ce prix. Pour l’instant, cette classe ne fait que grossir les rangs des abstentionnistes et non de l’extrême droite. Pour ceux qui ont suivi la dernière visioconférence de ReSPUBLICA, en comparant les résultats électoraux de 2017 à 2021 nous avons corroboré ce point. Notre adversaire est bien le capitalisme et non directement l’extrême droite. Cette dernière n’est qu’une des armes du capitalisme lui-même, utilisée quand ses autres auxilliaires ne sont plus capables de maintenir l’ordre bourgeois. Se tromper d’adversaire rajoute toujours au malheur du monde.

11) Voilà pourquoi notre réseau et ses trois outils – ReSPUBLICA, Réseau Éducation Populaire, Combat laïque-Combat social, fédérer le peuple – ont soutenu les chercheurs Beaud et Noiriel lorsqu’ils ont été attaqués en meute par la gauche identitaire parce qu’ils réalisaient sur le plan intellectuel une sorte de concaténation d’un ensemble de principes qui sous-tendent notre projet de République sociale. Nous souhaitons que cette réaction ait permis de donner un coup d’arrêt au développement fulgurant de la gauche identitaire dans les milieux intellectuels, avec un début de rassemblement, notamment chez les sociologues et historiens républicains. Cela remplace avantageusement ceux des laïques qui, tout en conservant le discours formel de la laïcité qu’ils ont toujours tenu, pensent qu’ils pourront faire avancer les choses dans une stratégie compatible avec le néolibéralisme !

12) Préparer un nouveau bloc historique pour la liaison des combats démocratiques, laïques, sociaux, féministes et écologiques, c’est comprendre que nous avons l’impératif catégorique (au sens d’Emmanuel Kant) de lutter contre l’entre-soi, contre l’archipélisation, maladie infantile de la gauche laïque, et donc d’agir ensemble, de débattre ensemble avec des arguments raisonnées et non pas mus par nos émotions. Ce qui implique de redonner la priorité à la formation politique et à l’éducation populaire refondée, même si cela demande plus de temps et de travail que de petits exposés simplificateurs, format privilégié par les principaux médias… Et en dernier lieu, n’oublions pas de nous soutenir mutuellement sans conditions, lorsqu’il s’agit de s’affronter à nos quatre adversaires.

Hasta la victoria siempre !


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message