Poème d’amour : Jean de La Fontaine (68 ans ) pour Amaranthe de Beaulieu (15 ans)

vendredi 4 novembre 2011.
 

A Monsieur l’abbé Verger (pour Mademoiselle Amaranthe de Beaulieu)

Ma lettre vous fera rire.

Je vous entends déjà dire

" Cet homme n’est-il pas fou

Dans l’entreprise qu’il tente ?

Il est plus près du Pérou

Qu’il n’est du coeur d’Amarante. "

Vous aurez raison d’en parler ainsi, j’en conviens.

Amarante est jeune et belle ;

Je suis vieux sans être beau,

Et vais pour une rebelle

M’embarquer tout de nouveau.

Plus je pense en mon cerveau

De combien peu d’apparence

Serait pour moi l’espérance

De la toucher quelque jour,

Plus je vois que c’est folie

D’aimer Nymphe si jolie,

Sans être le dieu d’amour.

Amarante et le Printemps

Ont un air qui se ressemble ;

Voici comme je prétends

Que l’on les compare ensemble

Par les lis premièrement

J’entame le parallèle,

Et soupçonne aucunement

Ceux qu’Amarante recèle.

Je suis trompé si son sein

N’en est un plein magasin.

Le mai est que ce sont choses

Pour vous et moi lettres closes.

Nous sommes simples mortels

Il faut offrir des autels

A ces lis ; nul diadème

N’est digne d’en approcher,

Bien moins encor d’y toucher,

Et crois que Jupiter même,

Tout Jupiter qu’il se dit,

N’en aurait pas le crédit,

Sans l’hymen et son attache.

Ces endroits délicieux

Pour nos mains et pour nos yeux

Ne sont pas faits, que je sache...

Pour revenir à nos lis,

Ils sont relevés de roses ;

Ceux-là tout nouveaux fleuris,

Celles-ci fraîches écloses.

Ici la comparaison

De la nouvelle saison

Cloche un peu, je vous l’avoue ;

Et la beauté que je loue,

Par ses trésors éclatants

Fait honte à ceux du Printemps.

Comment pourrais-je décrire

Des regards si gracieux ?

Il semble, à voir son sourire,

Que l’Aurore ouvre les cieux.

Il faut aimer Amarante

D’une ardeur persévérante ;

Adieu, volages amours !

Selon l’objet, la constance.

Celui-ci, j’en ai croyance,

M’arrêtera pour toujours.

Si ceci plaît à la belle,

Dites-lui que les neuf Soeurs

Me font réserver pour elle

De pleins amas de douceurs.

Cette saison printanière

Ne sera pas la dernière

Des comparaisons qu’Amour

Va m’inspirer à la Cour

De cette jeune bergère.

Une autre fois, je l’espère,

Je ferai, moyennant Dieu

Quelque reine de Cythère

D’Amarante de Beaulieu.


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