Pandémie : Levée des brevets des traitements et vaccins contre la Covid

mercredi 14 juillet 2021.
 

Chercheurs, professionnels de la santé et du secteur associatif, se mobilisent pour défendre le droit universel à la santé.

Alors que plus de 2,5 milliards de doses de vaccins ont déjà été administrées dans le monde, force est de constater que des inégalités criantes dans l’accès à la vaccination persistent : au 26 juin, si 49% des habitants de l’UE ont reçu au moins une dose[i], seulement 2% du continent africain a bénéficié d’une première injection.

Des conséquences dramatiques au Sud

La Covid a déjà tué 3,87 millions de personnes dans le monde mais les conséquences de la pandémie ne se limitent pas au nombre de victimes : aggravation de la pauvreté, augmentation des violences, saturation des services de santé, fermeture des services sociaux, freins à l’éducation,…[ii] Les pays à ressources limitées, qui savent déjà devoir payer dans les prochaines années un lourd tribut aux conséquences de la crise, assistent aujourd’hui démunis à l’arrivée d’une 3e vague sans avoir les outils pour lutter efficacement contre le virus[iii] [iv].

Face à l’urgence, une soixantaine de pays dont l’Inde et l’Afrique du Sud, durement touchés par l’épidémie, ont demandé à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) une dérogation au droit de propriété intellectuelle qui dispenserait les Etats de leur obligation en matière de propriété intellectuelle sur les outils de diagnostic, traitements, vaccins, composants nécessaires à leur fabrication et dispositifs médicaux indispensables à la lutte contre la Covid. Cette dérogation, qui faciliterait les transferts de technologie, est prévue par l’article IX de l’accord de Marrakech qui a fondé l’OMC. Une levée temporaire des brevets et autres barrières de propriété intellectuelle serait ainsi l’application d’un droit prévu par le cadre international et légitimerait notamment que les pays du Sud de produisent et distribuent leurs propres vaccins et traitements.

Une position intenable

Néanmoins l’Union Européenne se refuse encore aujourd’hui à soutenir la levée des brevets dans les négociations à l’OMC, préférant le système des licences obligatoires. Le G7 privilégie les promesses de dons de doses, retardant toujours plus la mise en place de solutions additionnelles qui permettraient d’enrayer efficacement la propagation mondiale du virus, dans une logique d’opposition entre des moyens qui sont complémentaires (dons, exportations, levée des brevets,…). La France quant à elle maintient une position ambigüe, entre les déclarations de soutien à la levée des brevets d’Emmanuel Macron et l’absence d’engagement politique clair et ferme dans les instances européennes et internationales.

Seule une réponse mondiale coordonnée pourra mettre fin à la pandémie. La situation actuelle favorise l’émergence de variants, possiblement plus contagieux, plus mortels, voire résistants aux vaccins, retardant toujours plus une sortie de crise, y compris dans les pays du Nord.

Un droit universel à la santé

Au-delà du débat sur les bienfaits et limites du régime de propriété intellectuelle, nous, chercheurs, professionnels de santé et du secteur associatif, nous réunissons pour défendre un droit universel à la santé.

En 2001, notre mobilisation a abouti à la Déclaration de Doha[v] qui reconnaissait le caractère prioritaire des impératifs sanitaires sur les règles commerciales en cas de situation d’urgence sanitaire nationale comme le VIH-Sida, le paludisme, la tuberculose et d’« autres épidémies », favorisant ainsi l’accès aux traitements de millions de personnes. 20 ans plus tard, il est à nouveau urgent de prioriser la justice sociale et la solidarité sur la défense de la propriété intellectuelle.

Cependant, les outils prévus par cette déclaration, comme la licence obligatoire défendue par l’UE, ne permettent pas de faire face aux défis d’aujourd’hui. Si les mécanismes des licences d’office et obligatoire ont permis de faire baisser les prix des traitements contre le VIH dans les pays du Sud, leur usage est inefficace dans le cas des vaccins dont la fabrication s’appuie sur de multiples brevets et nécessite partage de savoir-faire et transfert de technologie. Par ailleurs, la mise en œuvre de ces dispositifs nécessite des mois de négociation, soit des délais incompatibles avec l’urgence actuelle. La position de l’Union Européenne est donc non seulement irresponsable mais aussi irréaliste.

En finir avec les contradictions

On estime à 93 milliards de dollars l’argent public investi dans le développement des vaccins. N’en déplaise aux détracteurs de la levée temporaire des brevets, dans le cas de la lutte contre la Covid, ce n’est pas le système de propriété intellectuelle qui a permis l’innovation mais bien l’engagement financier des Etats. De plus, ces innovations, comme les vaccins à ARNm, sont elles-mêmes basées sur des technologies développées grâce à de l’argent public, ce qui relance une nouvelle fois le débat de la transparence des investissements publics en R & D biomédicale.

Il est temps d’en finir avec les contradictions. Comment expliquer que des pays comme l’Inde, un des leaders dans la production pharmaceutique, peine à fabriquer les vaccins qui lui permettront de faire face à la 3e vague annoncée ? Dans un contexte de saturation des capacités de production, comment accepter que les détenteurs de brevets rejettent les propositions de producteurs se portant volontaires[vi] ? Comment tolérer les discours désobligeants sur l’incapacité supposée des pays à mettre en œuvre des capacités de production et de distribution autonomes ?

Le 22 juin dernier a été annoncé la création en Afrique du Sud du premier centre de transfert des technologies pour les vaccins à ARNm. Créé en partenariat avec l’OMS et rendu possible notamment par le soutien des états contributeurs dont la France, cette initiative est la preuve des moyens qui peuvent être mis en œuvre quand le cadre international le permet.

Alors que l’OMS déplore que le virus circule plus vite que les vaccins[vii], nous, chercheurs, professionnels de la santé et du secteur associatif, engagés quotidiennement dans la lutte contre la Covid, demandons à la France de soutenir nos efforts dans cette bataille contre une épidémie qui a déjà fait trop de victimes. Nous réclamons un accès équitable pour les pays à ressources limitées et le développement de capacités régionales de production et demandons avec force que la France affirme sans ambiguïté son soutien à la proposition faite à l’OMC par l’Inde et l’Afrique du Sud sur la levée des brevets des traitements et vaccins contre la Covid et les transferts de technologies qui les complètent.

Signataires :

Françoise Barré-Sinoussi, lauréate 2008 du prix Nobel de médecine, présidente de Sidaction

Richard Benarous, ancien directeur du département maladies infectieuses de l’Institut Cochin

Henri Bergeron, directeur de recherches au CNRS au Centre de sociologie des organisations à Sciences Po

Gilles Brücker, médecin épidémiologiste, professeur de santé publique AP-HP Relations internationales

Dominique Costagliola, directrice de Recherches à l’INSERM, Membre de l’Académie des Sciences, Membre du CA de AIDES

François Dabis, professeur d’épidémiologie et santé publique à l’université de Bordeaux, ancien directeur de l’ANRS, membre du CA de Sidaction

Pierre Delobel, chef du Service des Maladies Infectieuses et Tropicales du CHU de Toulouse

Eric D’Ortenzio, médecin – épidémiologiste, responsable du département stratégie et partenariats à l’ANRS – Maladies infectieuses émergentes (Inserm)

Christine Katlama, médecin infectiologue, hôpital Pitié-Salpetriere, présidente de l’AFRAVIH (Alliance francophone des acteurs de la lutte contre le VIH, les hépatites virales, Santé sexuelle et Emergences Infectieuses)

Michel Kazatchkine, médecin, ancien directeur du Fonds Mondial de lutte contre le Sida, la tuberculose et le paludisme

Karine Lacombe, infectiologue, cheffe de service hospitalier des maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Antoine

Odile Launay, professeur de maladies infectieuses et tropicales à l’université de Paris, coordinatrice du réseau national de recherche clinique en vaccinologie

Jean-Daniel Lelièvre, professeur en immunologie, chef du service des maladies infectieuses et d’immunologie du CHU Henri Mondor, expert vaccin à la HAS et à l’OMS

Pauline Londeix et Jérôme Martin, cofondateurs de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament (OTMeds)

Carine Rolland, médecin généraliste et présidente de Médecins du Monde

Christine Rouzioux, professeur émérite de virologie, faculté de médecine de Necker, présidente de l’Assocation Arcat/ Le Kiosque, membre du CA de Sidaction

Willy Rozenbaum, Professeur honoraire de Maladies infectieuses, Hôpital Saint-Louis à Paris, co-découvreur du VIH-1

Bruno Spire, directeur de Recherche à l’INSERM, président d’honneur de AIDES

Collectif TRT-5 CHV – Acceptess-T, Actif Santé, Actions Traitements, Act Up Paris, Act Up Sud-Ouest, Aides, Arcat, Asud, Comité des Familles, Dessine-moi un mouton, Nova Dona, Hépatites/Sida Info Services, Sol En Si

Notes

[i] https://www.touteleurope.eu/societe...

[ii] https://www.lemonde.fr/idees/articl...

[iii] https://www.lemonde.fr/afrique/arti...

[iv] https://www.usinenouvelle.com/artic...

[v] https://www.wto.org/french/tratop_f...

[vi] https://www.politico.eu/article/vac...

[vii] https://www.who.int/director-genera...


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