La faim justifie les moyens

mardi 28 avril 2020.
 

En France, aujourd’hui, de plus en plus de personnes souffrent de la faim. La crise du Covid-19 aggrave dangereusement la situation. Le gouvernement annonce trop peu, dans trop longtemps. Aider les plus pauvres, ils en sont incapables.

Des familles, des étudiants, des travailleurs précaires, des chômeurs, se pressent désormais dans des files d’attente chaque jour plus longues pour obtenir de quoi se nourrir. Les autorités s’inquiètent de possibles émeutes de la faim dans les quartiers populaires. L’entraide entre voisins se déploie, les personnels des service publics se démènent, les associations de solidarité donnent tout ce qu’elles peuvent mais l’énergie bénévole ne peut pas tout. Affaiblies par des années de serrage de vis budgétaire et par la suppression des emplois aidés, le monde associatif craquelle devant une misère pour laquelle il n’est pas outillé.

Alors que les revenus de beaucoup fondent comme neige au soleil, le coût de l’alimentation augmente. Au début du mois, le prix du panier moyen a bondi de 89%. La pénurie de certains produits bon marché contraint les ménages à passer à des gammes supérieures, plus onéreuses. La fermeture de nombreux marchés ouverts, souvent moins chers que les supermarchés de proximité, pèse sur la capacité à se nourrir suffisamment et correctement. Et la situation de monopole de la grande distribution peut lourdement impacter les prix et peser sur les négociations avec les fournisseurs, qui subissent une pression à la baisse.

Pour de très nombreuses familles, dont les enfants sont habituellement pris en charge par des cantines scolaires à bas coût, la détresse prend le visage de la faim. Pour certains enfants, le repas à la cantine constituait le seul de la journée. À Clichy-sous-Bois, les associations ont servi 190 couverts le premier jour, 480 le second. Le troisième jour, 750 personnes venaient chercher leur repas, soit plusieurs centaines de mètres de queue si l’on compte les règles de distanciation. Le public évolue : plus jeune, il n’est pas habitué à la solidarité pour se nourrir.

Les alertes se succèdent. L’angoisse de ne plus pouvoir manger, le saut de repas pour tenir, s’est donnée à lire, à voir. En Seine-Saint-Denis, on apprend que ce serait entre 15.000 et 20.000 personnes qui auraient du mal à se nourrir dans les prochaines semaines. Et déjà, trop souvent, la peur de mourir de faim l’emporte sur celle de mourir du virus.

Le gouvernement a annoncé, pour le 15 mai prochain, une aide de 150 euros par foyer bénéficiaire du RSA, des APL ou de l’ASS, plus 100€ par enfant à charge. Mais le 15 mai, faut-il rappeler que c’est dans près de 65 repas ? Une éternité, pour les ménages déjà en apnée financière. Cette aide ne concernera ni les jeunes de moins de 25 ans, ni les sans-papiers, ni celles et ceux – et ils sont nombreux – que ne bénéficient d’aucun soutien. À cela s’ajoute un plan de 39 millions d’euros pour l’aide alimentaire, en soutien aux associations. Du saupoudrage, de la rustine, c’est tout ce que le gouvernement est capable de proposer parce que son cadre de pensée est profondément contraint.

Encadrer les prix, augmenter les minima sociaux, investir dans le tissu associatif Intervenir sur les prix, pour les encadrer de haut en bas, c’est prévenir l’explosion du coût de l’alimentation et rendre plus accessibles les produits de première nécessité. Le gouvernement a su le faire pour le gel hydroalcoolique mais il n’ira pas au-delà : son logiciel idéologique l’enferme dans la loi du marché. En macronie, l’intervention de l’État est pensée comme atteinte aux prétendues vertus du libéralisme économique. C’est ainsi que notre pays s’interdit de prendre une mesure simple et décisive pour lutter contre la faim et les inégalités devant le contenu des assiettes.

Augmenter les minima sociaux, c’est assurer un meilleur filet de sécurité à la partie de la population la plus impactée par le confinement et ses conséquences. Le gouvernement n’en a pas l’idée parce qu’il est pétri du discours sur ces « feignants », « ceux qui ne sont rien » et n’ont qu’à « traverser la rue pour trouver un emploi ». S’ils sont pauvres, c’est de leur faute, et non en raison de la reproduction sociale et de l’inégalité structurelle dans le partage des richesses. La hausse du minimum pour vivre et l’extension des populations concernées permettrait de garantir que le minimum vital – manger à sa faim – soit assuré en France à chacune et chacun. Un pays aussi riche que le nôtre se grandirait en ne laissant personne sur le carreau de l’extrême misère.

Investir par milliards dans le tissu associatif, celui qui assume les missions de solidarité, et donner de l’air budgétaire aux collectivités locales pressurées par les cures d’austérité successives, c’est garantir un maillage de soutien efficace, au plus près de la population, pour que tout le monde mange à sa faim. À cela, le gouvernement répond : la dette, la dette, la dette. Par dogmatisme, il nie les mécanismes qui permettraient nous en affranchir. Par obsession de la compétitivité, il n’imagine pas mettre à contribution les revenus financiers. Même rétablir l’Impôt de Solidarité sur la Fortune – 3,2 milliards d’euros en moins chaque année pour l’État ! – nous a été refusé dans le vote du budget rectificatif il y a quelques jours.

En pleine crise sanitaire, les ventes de Porsche décollent, les dividendes pleuvent, les organisations patronales appellent à réduire la lutte contre l’évasion fiscale… Et le gouvernement accompagne cette valse de l’indécence en accordant, cette semaine, aux grandes entreprises vingt milliards d’euros sans contrepartie environnementale ou sociale. Le « business » a ses lois que la faim ignore. Macron et les siens ne pensent pas en dehors de ses clous. C’est là que le bât blesse. Leurs normes doivent être renversées pour que la société s’organise à partir des besoins, là où nous sommes aujourd’hui sommés d’adapter nos besoins à ceux des plus riches et à ceux du capital. Partager les richesses, c’est le seul moyen que tout le monde mange à sa faim et puisse accéder à la dignité.

Clémentine Autain


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