Jean-Marc Jancovici… une imposture écologique ?

dimanche 4 juillet 2021.
 

Une quarantaine d’associations écologistes reviennent dans une tribune sur les engagements écologistes de Jean-Marc Jancovici.

En France, s’appuyant sur l’inquiétude liée à la crise climatique, une industrie d’État - le nucléaire - tente d’imposer ses avantages pour préserver le climat, en diffusant des informations souvent tronquées ou approximatives, voire mensongères.

Parmi les personnalités au centre de ce travail de réhabilitation d’une industrie pourtant très malmenée (plusieurs accidents à travers le monde, en crise financièrement, l’impossible gestion des déchets…), Jean-Marc Jancovici et ses réseaux, structurés autour d’une entreprise, Carbone 4, et d’une association : Le Shift Project.

La pensée de Jean-Marc Jancovici structure celle du Shift Project et de Carbone 4. Ces dernières sont en fait des outils au service de la vision de la société que développe Jancovici. Il part d’un point de vue d’ingénieur pour arriver à une position idéologique qui va bien au-delà d’un discours sur l’urgence climatique.
 Au-delà du discours de Jancovici, c’est cette vision de la société que nous dénonçons.

C’est en pensant à nos ami·es, avec qui nous partageons de nombreux combats écologistes (au sens large), que nous avons écrit les lignes qui suivent, car l’influence de Jean-Marc Jancovici traverse plusieurs de ces courants se réclamant de l’écologie, les influençant parfois. Nous pensons que ces camarades doivent aborder les arguments de cet expert avec à l’esprit un certain nombre d’éléments : qui finance les entreprises (et associations) liées à Jancovici ? D’où parle-t-il ? Que dit-il vraiment ? Quel intérêt peut-il en tirer ? Quelle vision du monde y a-t-il derrière ce discours ?

Qui est Jean-Marc Jancovici ?

Diplômé de l’École Polytechnique et de l’École Nationale Supérieure des Télécommunications de Paris, il enseigne à Mines Paris Tech. Il est membre du Haut Conseil pour le climat. Il conseille à ce titre les dirigeants politiques. Au cœur de l’élite, il est un premier de cordée ! Ce parcours qui lui permet d’asseoir sa place dans les cercles du pouvoir, lui permet aussi de se faire respecter des médias (même quand il les malmène [1]), dans un monde où la place des experts techniques, des « savants » l’emporte sur le reste.

À noter, à ce stade, l’implication historique considérable des grandes écoles (Polytechnique, l’École des mines) dans la fabrique des futures élites du nucléaire français. La plupart ont été formées dans ces incubateurs du nucléaire, sans jamais remettre en question cette énergie. Cette élite aura été déterminante dans le lancement du programme nucléaire en France. Remettre en cause le nucléaire serait reconnaître que cette élite nous a conduit dans l’impasse qui est la nôtre aujourd’hui. Seules quelques personnalités issues de ces Hautes Écoles, comme Albert Jacquard et Bernard Laponche, ont remis en cause ce modèle dominant.

Jean-Marc Jancovici est aussi co-fondateur et co-dirigeant de l’entreprise Carbone 4, un cabinet de conseil indépendant spécialisé dans la stratégie bas carbone et l’adaptation au changement climatique. Ceci n’est pas anodin, car quand il fait une conférence devant des dirigeant·es ou des cadres d’entreprises, il est devant sa potentielle clientèle, et n’hésite pas, par ailleurs, à leur proposer de la formation.

Le Shift Project

Selon sa propre présentation [2], The Shift Project est un think tank qui œuvre en faveur d’une économie libérée de la contrainte carbone. L’objectif du Shift Project est donc en premier lieu économique. À l’image de son Président, Jean-Marc Jancovici, The Shift Project défend le climat en présentant le nucléaire comme une énergie non carbonée (nous y reviendrons plus loin).

La plupart des dirigeant·es et collaborateur·ices du Shift Project viennent des Hautes Écoles (ingénieur·es, polytechnicien·nes, énarques, HEC…), du monde de l’entreprise, de l’industrie, du milieu bancaire. Certain·es sont d’ancien·nes hauts-fonctionnaires ayant travaillé dans des ministères. On trouve dans le conseil d’administration des représentant·es d’EDF, de Bouygues, de Vinci… (entreprises étroitement liées au nucléaire).

Et qui le finance ? Entre autres… EDF, Bouygues, Vinci, BNP Paribas, Enedis, Vicat (un cimentier international lié à l’industrie nucléaire). Le Shift Project ne s’adresse pas à n’importe qui : l’adhésion en tant que membre est réservé aux entreprises, avec lesquelles le Shift signe une convention. Le montant, supérieur à 25 000 €, est défini par un barème en fonction du chiffre d’affaires. Ainsi managée par plusieurs acteurs du monde de l’économie et notamment du nucléaire cette association est en situation de conflit d’intérêt, beaucoup de ses acteur·ices étant à la fois juge et partie.

Jancovici dans le texte

Jean-Marc Jancovici défend le système économique et politique responsable de la crise écologique que nous vivons. Étudions ce qu’il dit. Usant d’une rhétorique parfois fine, il semble défendre une forme de décroissance… tout en s’appuyant financièrement sur les plus grosses entreprises. Mais s’élever contre la croissance, sans remettre en cause le système industriel, financier, économique et au final politique, n’a pas de sens. Il est incohérent de défendre une forme de sobriété sans critiquer la société productiviste responsable des émissions de gaz à effet de serre… surtout en s’appuyant sur les plus grands acteurs du monde industriel !

Jean-Marc Jancovici est d’ailleurs un fervent défenseur de l’économie capitaliste, sur un mode décomplexé : « Chez Carbone 4 on est des sales capitalistes. Est-ce que vous pensez que je ferais mieux mon travail si j’étais fonctionnaire ? Je peux vous dire que non. » [3]Il préconise une société autoritaire pour sauver la planète : « Il faut être capable de s’imposer des efforts extrêmement significatifs, et il faut un pouvoir très fort pour faire respecter ces efforts. » [4]

Son idée de la décroissance ne tient aucunement compte des nécessaires transformations sociales pour éviter un accroissement des inégalités, déjà considérables : « Il va falloir accepter de payer plus cher nos déplacements. » [5] déclare-t-il. Ou bien encore : « Il est tout à fait impossible de concilier trajectoire 2°C et hausse du pouvoir d’achat. » [6] Sur la taxe carbone, « tout le monde, même les Français modestes, va devoir faire des efforts parce que même les Français modestes consomment trop d’énergie. » [7]

Sa vision de la société est élitiste. Il appelle de ses vœux un gouvernement d’experts. Le ou la citoyen·ne serait, après un apprentissage… avec un enseignant du Shift, en capacité de comprendre l’expert à défaut de participer lui-même, ou elle même, aux décisions. « En matière de climat et d’énergies, tout citoyen doit être capable de comprendre ce que dit l’expert, et cela demande au moins 5 à 10 heures de formation. » Citation signée : Jean-Marc Jancovici, président du Shift… et enseignant ! [8]

Sa vision des hommes et des femmes est patriarcale [9]. « Le technicisme est une affaire d’homme. [...] Le discours féminin [...] est globalement un discours de douceur. C’est une des raisons pour lesquelles je suis favorable à ce qu’il y ait plus de femmes dans les instances dirigeantes des entreprises. C’est pas pour une raison d’égalité homme femme. [...] Je m’en fous sincèrement, au sens (où) une femme qui a vraiment envie, elle fait ses preuves et elle avance. » « Arriver dans les hautes sphères politiques c’est un parcours de brutes, et ça ne correspond pas à l’essentiel de la psychologie féminine. [...] Un certain nombre de femmes politiques très visibles sont des hommes en jupe. » L’ensemble de ces citations, sur divers sujets, permettent déjà de comprendre à quel endroit Jean-Marc Jancovici se situe et quelle société il défend. Mais encore…

Le nucléaire pour remplacer le charbon ! Une position parfois sidérante et incohérente. Avec toujours le même aplomb, il minimise totalement l’impact des accidents de Tchernobyl et Fukushima : « Fukushima aura surtout été un problème médiatique majeur, avant d’être un désastre sanitaire ou environnemental majeur. » « Du point de vue des écosystèmes, et ce n’est pas du tout de l’ironie, un accident de centrale est une excellente nouvelle, car cela crée instantanément une réserve naturelle parfaite. » [10]

Incohérente, sa proposition sur la suppression du charbon grâce au nucléaire. La production d’électricité mondiale est assurée à 40 % par le charbon et à 10 % par du nucléaire, celui-ci représentant 2% de la consommation finale d’énergie. Remplacer le charbon par du nucléaire d’ici 2040 nécessiterait que la part du nucléaire dans cette consommation finale d’énergie passe de 2 à 10 %. Mais il faudrait construire plus d’un millier de réacteurs (et sans doute beaucoup plus) pour atteindre cet objectif d’ici une vingtaine d’années ! Dans ses bonnes périodes, le nucléaire a connecté au réseau en moyenne 15 réacteurs environ par an. Le nucléaire est totalement hors délai pour sauver le climat !

La présentation du nucléaire comme énergie non-carbonée est biaisée et ne tient pas compte du bilan carbone de l’ensemble de la chaîne : l’extraction et la transformation de l’uranium, la construction et l’entretien des installations, les tonnes de déchets, ainsi que les innombrables transports tout au long de la chaîne industrielle… et la gestion des accidents qui durera encore de nombreuses années. Tout cela ne fera jamais du nucléaire une énergie décarbonée.

Et puis, désormais, les épisodes climatiques croissants, extrêmes et imprévisibles (tempêtes, sécheresses, inondations, tremblements de terre…) menacent toutes les industries à risque. Les réacteurs nucléaires ont un besoin vital d’eau pour être refroidis en permanence sous peine d’accident majeur pouvant entraîner la fusion du cœur du réacteur. Sans oublier, l’eau rejetée par les centrales qui réchauffe fleuves et rivières, mettant en danger la faune et la flore, ni la production de déchets ingérables, d’une dangerosité extrême, légués aux générations futures. Non le nucléaire n’est décidément pas une énergie compatible avec l’écologie !

Jancovici, un écologiste ?

Un discours social inégalitaire, la défense du système économique et politique en place, l’appel à une gouvernance autoritaire, conduite par des élites sous influence d’“experts”, un discours patriarcal, la connivence avec les multinationales, la négation des plus importantes catastrophes industrielles, la promotion du nucléaire dont la crise climatique renforce les dangers… devrait rendre incompatible la vision de Jean-Marc Jancovici avec une vision écologiste du monde.

Si le doute subsiste, alors il nous faut proposer notre vision de l’écologie

Nous défendons :

Une re-localisation qui permettrait de poser les besoins énergétiques au plus près des territoires en évitant les gaspillages ;

Une écologie basée sur la démocratie, le respect de la terre et de ses habitant·es dans leur globalité et leur diversité. Antiraciste, féministe, sociale et rendant enfin justice aux populations colonisées ;

Une écologie non confisquée par les experts. Il ne s’agit pas de nier le rôle important de la science dans nos sociétés, ni son rôle de conseil, mais les grands choix de société appellent une véritable démocratie où un peuple informé et qui débat, est acteur des décisions qui pèsent sur la vie de chacun·e ;

Une écologie basée sur la sobriété, et non pas sur la continuité de l’infernal couple production/consommation ;

Une écologie qui se débarrasse du nucléaire, cette énergie centralisée et anxiogène, menace permanente, liée depuis toujours à la culture guerrière, au nucléaire militaire et à l’opacité de ses noirs secrets défense.

Non, le Shift Project et Jean-Marc Jancovici ne nous proposent pas de véritables alternatives écologistes et politiques à la crise que nous traversons.

Oui, il nous faut, organisations, citoyen·nes, continuer à réfléchir ensemble et démocratiquement aux solutions que nous souhaitons mettre en place, sans nous laisser confisquer notre pouvoir par des élites auto-proclamées expertes.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message