Sécurité : la bataille des chiffres

dimanche 20 juin 2021.
 

Les chiffres sur la sécurité ne sont pas sécurisés par une méthodologie scientifique indépendante et incontestable transparente et au service des citoyens. Cette situation n’est pas spécifique au domaine de la sécurité mais frappe la totalité des politiques publiques dont l’évaluation quantitative est quasi impossible à réaliser par des citoyens qui n’ont pas la possibilités de passer des dizaines d’heures pour faire ce travail de collecte et d’analyse de données.

Sécurité : Le nombre de policiers et gendarmes a-t-il baissé depuis le début du quinquennat Macron ? C’est en tout cas ce qu’affirme la députée socialiste de Tarn-et-Garonne, Valérie Rabault

Source : 20 minutes. hibaut Chevillard Publié le 22/04/21 à 20h11 — Mis à jour le 22/04/21 https://www.20minutes.fr/societe/30...

S’appuyant sur les données de Bercy, la députée socialiste Valérie Rabault explique que le nombre de policiers et gendarmes est en diminution depuis 2017, contrairement à ce qu’affirme le chef de l’Etat

Alors qu’ Emmanuel Macron a soutenu dimanche au Figaro que 6.214 membres des forces de l’ordre « ont déjà été recrutés » sur les 10.000 promis, l’élue, membre de la commission des Finances de l’Assemblée nationale, a assuré à la presse qu’il y avait 1.109 agents de moins qu’à la fin de l’année 2017.

De son côté, le ministère de l’Intérieur se défend en expliquant que Valérie Rabault « joue de plusieurs artifices grossiers pour afficher » cette baisse, que Gérald Darmanin qualifie de « fake news ». Vraiment ? 20 Minutes s’est donc plongé dans les très arides et techniques « rapports annuels de performance » pour tenter d’y voir plus clair.

« Les effectifs réels d’agents »

Premier constat : les chiffres communiqués par le ministère de l’Intérieur et par le président de la République ne concernent que les créations d’emplois qui étaient prévues entre 2018 et 2020, « hors transferts et mouvements internes ». Or, dans le courrier qu’elle a envoyé ce jeudi à Gérald Darmanin et que 20 Minutes a pu consulter, Valérie Rabault explique que le décompte opéré s’appuie « sur les effectifs réels d’agents ». « C’est la seule donnée qui affecte la vie de nos concitoyens. Il me semble que ces derniers sont en droit de savoir combien de policiers et gendarmes sont en poste. »

Pour ce faire, l’élue a comparé le nombre d’ETP (équivalents temps plein) au sein de la police et de la gendarmerie, c’est-à-dire les effectifs réellement en poste, à la fin de chaque année entre 2007 et 2020.

Entre 2012 et 2018, leur nombre a constamment augmenté, passant de 237.410 à 249.250. Mais il a ensuite chuté pour atteindre 246.090 ETP en 2020. Si le nombre de gendarmes en poste augmente toujours un peu, l’effectif de policiers ne cesse de baisser depuis deux ans.

Changement de case budgétaire

Pour expliquer cette baisse, le ministère de l’Intérieur note qu’il y a eu « un changement de programme budgétaire des 4.031 ETP des services supports (Sgami) pendant la période ». Traduction : on a mis ces effectifs de policiers et de gendarmes dans une autre case budgétaire. « Auparavant, ces fonctionnaires étaient comptabilisés dans le programme "police" et maintenant ils le sont au secrétariat général [du ministère de l’Intérieur]. Leur mission n’a pas changé et les effectifs sont toujours là », a-t-on expliqué place Beauvau.

Mais là encore, Valérie Rabault a des doutes : « A supposer que ces emplois soient affectés en totalité à la gendarmerie et à la police et qu’il faille les réintégrer en totalité, on obtiendrait une hausse des effectifs » de seulement 2.922 postes, écrit-elle à Gérald Darmanin. Une évolution qui reste « très inférieure aux 6.214 recrutements annoncés par le président de la République comme ayant été réalisés depuis 2017 ».

Un objectif difficilement atteignable

Le chef de l’Etat a aussi annoncé au Figaro l’arrivée de « 2.000 policiers et gendarmes de plus » cette année. Une affirmation « imprécise », pour la députée socialiste de Tarn-et-Garonne. Elle indique, dans un document transmis à la presse, qu’il n’y a que « 1.462 ETP supplémentaires prévus en 2021 (1.145 ETP dans la police et 317 ETP dans la gendarmerie) ». Aussi, Valérie Rabault estime « hautement improbable » que l’objectif de créations de 10.000 postes de policiers et gendarmes supplémentaires sur le quinquennat soit atteint. « Pour tenir cet objectif, 9.647 postes supplémentaires [sont] nécessaires dans le budget 2022. »

Commentaires Hervé Debonrivage

Cette bataille de chiffres entre un ministre de l’intérieur (LR – EM) et une présidente de la commission des finances (PS) que l’on pourrait qualifier aimablement de « débat contradictoire » montre la nécessité de l’existence d’un organisme de statistiques indépendant utilisant une méthodologie scientifique incontestable et sous contrôle citoyen et surtout au service des citoyens.

Cette situation est ubuesque et montre une volonté des pouvoirs successifs de ne pas mettre en place un institut de statistiques permettant à tout citoyen de faire une évaluation quantitative des différentes politiques publiques dans le domaine de la santé, de l’éducation, de la sécurité, de la justice, de la culture, de l’écologie,, de l’industrie, de l’agriculture, de la recherche dans différents domaines, etc.

Ces données devraient être mises en perspective avec des statistiques internationales et européennes.

De la même manière, il devrait être simple de pouvoir connaître par exemple le montant du PIB, du salaire moyen, du SMIC, du salaire médian, du nombre de CDD, du nombre de CDI, le nombre de chômeurs par catégorie etc.

Faute de ces données fiables, le citoyen est en incapacité de se faire une idée objective, sans a priori idéologique, de l’efficacité des gouvernements successifs.

Alors la porte est ouverte aux manipulations de chiffres, la démagogie, à la mystification à l’escroquerie intellectuelle.

Ces séries statistiques devraient être aussi disponibles sur de longues périodes pour permettre de juger de l’efficacité économique et sociale des différentes politiques économiques utilisées par les gouvernements.

Nous avons signalé cette carence dans notre article précédent sur l’agnotologie politique et nous avons fait une contribution pour intégrer dans le programme l’Avenir en commun une telle proposition.

La querelle de chiffres relatés par le journal 20 Minutes illustre bien nos propos.

On ne peut que féliciter le journaliste qui a fait ce petit travail d’investigation qui normalement, dans une démocratie digne de ce nom, ne devrait pas être nécessaire.

Hervé Debonrivage


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