Faire bloc derrière l’Unef

dimanche 28 mars 2021.
 

Depuis plusieurs jours, le syndicat étudiant Unef – et notamment sa présidente Mélanie Luce – encaisse les violentes attaques d’une grande partie de la classe politique et médiatique. En cause : les réunions non-mixtes. La gauche se doit de réagir.

Marine Le Pen caracole en tête des sondages mais l’urgence du moment, le problème du moment, ce sont les réunions non-mixtes. Les étudiants crèvent la dalle et le mal à abattre, c’est un syndicat étudiant qui œuvre au quotidien contre la précarité étudiante. Les Français subissent chaque jour toujours plus l’incompétence politique de leurs gouvernants dans une crise sanitaire sans précédent – dans laquelle on s’abstient désormais de compter les morts –, mais l’ennemi numéro un, c’est l’islamo-gauchiste.

Que se passe-t-il dans leur tête ? Quel est le dessein de ces vaines polémiques ? Qu’est-ce qui se joue à travers ces artifices politiques dans lesquels s’engouffrent une bien trop large partie de la classe politique et médiatique ? En fin de semaine dernière, un déferlement de haine s’est abattu sur Mélanie Luce, présidente du syndicat étudiant Unef pour avoir défendu le principe des réunions non-mixtes. Des élus, des représentations de la nation de gauche et de de droite, jusqu’à la maire de Paris, s’en sont violemment pris à cette jeune syndicaliste qu’ils ont délibérément mise en danger, faisant depuis quelques jours l’objet de menaces de mort.

Il est des espaces de non-mixité qui, visiblement, seraient plus contestables que d’autres. A-t-on déjà entendu les Jean-Michel Blanquer, Christophe Castaner et autres Rachid Temal – qui s’en sont pris violemment aux propos de Mélanie Luce allant jusqu’à parler de dissolution du syndicat étudiant – contester ou s’indigner de l’interdiction faite aux femmes d’adhérer au très pompeux Automobile Club de France ou encore le Travellers Club et le Jockey Club ? Jamais. Ils ne s’indigent pas plus d’ailleurs des réunions très testostéronées au sommet de l’État, qu’il s’agisse du conseil de défense, ou plus largement des lieux de pouvoir et d’argent – à l’instar des entreprises du CAC 40. Si les réunions non-mixtes revendiquées aujourd’hui par des personnes racisées dérangent, la question du « qui ça dérange » devient hautement intéressante.

Qui est-ce que ça dérange ?

Observez-les ces indignés à géométrie variable : tous dans des positions de dominants. Tous dans des positions où les portes s’ouvrent à eux, partout. Ils ne connaissent ni ne subissent le racisme, le sexisme, la discrimination à l’emploi ou encore n’ont jamais fait l’expérience des arrestations au faciès. En réalité, l’organisation des personnes racisées touche un point sensible : la remise en cause de leur position de pouvoir, celle de leur domination structurelle mais aussi leur/notre racisme inconscient. Ce racisme systémique.

Comme le rappelle très justement Caroline De Haas sur Twitter : « Les réunions non-mixtes, qu’elles soient féministes ou anti-racistes sont des outils indispensables, notamment pour parler des violences subies. Vouloir les interdire, c’est mépriser les victimes. Et méconnaître l’ampleur des violences et des discriminations ». Ces réunions non-mixtes ne datent pas d’hier. Le sociologue Kevin Vacher rappelle quelques dates clefs : « 1833, 1884, 1895, 1899, ces grandes dates de la non mixité », écrit-il sur Twitter. En 1833, rappelle-t-il, « bravant l’interdiction des #Blanquer de l’époque, des ouvriers typographes s’organisent eux-mêmes en association ». Autre exemple, en 1899, Marie-Louise Rochebillard, une militante catholique crée un syndicat de femme, doublement non mixte, chez les ouvrières de la soie. « Ces syndicats ont donc pratiqué les premières formes de non mixité, d’autonomie. Non pas qu’ils voulaient absolument préparer un complot meurtrier contre leurs patrons, mais parce qu’ils ne pouvaient pas se défendre autrement, en leur présence au sein des corporations », conclue le sociologue.

Ainsi, la dissolution du syndicat étudiant, l’Unef, serait en débat. C’est extrêmement grave. La mobilisation doit être totale. Et la gauche, après avoir disparu lors de la dissolution du CCIF, doit réagir. Faire bloc derrière ce syndicat et sa présidente, visiblement très esseulée aujourd’hui. Cette affaire n’est pas une petite affaire. Le moment est grave alors que la haine apparaît comme un moteur sain du débat public. Quand on fait de la politique, c’est parce qu’on aime les gens. On ne les déteste pas a priori. Quand on est un représentant de la nation, a fortiori de gauche, il n’est pas admissible de « vomir » la tête d’une jeune femme qui défend chaque jour les plus faibles et les plus précaires parmi les jeunes. Leur haine est aussi à l’image de leur ignorance, c’est-à-dire coupée de la réalité sociale du pays et du débat intellectuel foisonnant dont ils feraient bien de s’inspirer. Leur ressentiment – parce qu’il s’agit bien là de ressentiment – est aussi le reflet de leur paresse intellectuelle en refusant la complexité du débat d’idées et en lui préférant la caricature. En témoigne, par exemple, l’obsession que génère chez eux l’approche intersectionnelle.

« Tout commence par un sentiment d’oppression. Il fallait nommer cette évidence. Dans les controverses publiques comme dans les discussions entre amis, chacun est désormais sommé de rejoindre tel ou tel camp, les arguments sont de plus en plus manichéens, la polarisation idéologique annule d’emblée la possibilité même d’une position nuancée. "Nous étouffons parmi des gens qui pensent avoir absolument raison", disait naguère Albert Camus, et nous sommes nombreux à ressentir la même chose aujourd’hui, tant l’air est irrespirable. » Ainsi commence le nouvel ouvrage de Jean Birnbaum, Le courage de la nuance [1]. Haineux de tous poils, lisez-le ! Place au doute. Place à la nuance.

Pierre Jacquemain


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