Le Conseil d’État déclare hors-la-loi une disposition centrale de réforme de l’assurance chômage

samedi 28 novembre 2020.
 

Il est des victoires dont personne ne parle, qui passent inaperçues, occultées par les annonces sur le déconfinement et la mort de Maradona. Il est des victoires passées sous silence quand elles concernent les pauvres.

Dans son remarquable film « La sociale », Gilles Perret montre comment l’histoire officielle a tout fait pour oublier Ambroise Croizat (communiste, issu du Conseil national de la résistance et père de la Sécurité sociale) parce qu’il est insupportable de penser qu’un homme du peuple ait pu accomplir de grandes choses. De même, l’actualité relayée par les principales chaines de télévision ne met jamais en avant les victoires quand elles sont favorables aux plus pauvres.

Pourtant, ce 25 Novembre 2020 est un jour de victoire, et pour que cette victoire soit connue, il faut relayer cette information.

Rappel des faits : En juin 2019, Muriel Pénicaud présente sa loi sur l’assurance chômage. Elle concerne tous les chômeurs du régime général et épargne les seuls intermittents du spectacle. Elle sera appliquée en 2 temps :

- Au 1er Novembre 2019, durcissement des critères d’accès et annulation des droits rechargeables. Pour bénéficier de l’assurance chômage, il faudra justifier de 6 mois de travail sur les 24 derniers mois au lieu de 4 mois sur les 28 derniers mois. Conséquences : 710.000 personnes en année pleine seront impactées et ne percevront plus d’allocations. Cette disposition a été momentanément suspendue depuis août 2020 à cause du Covid.

- Au 1er Avril 2020, modification radicale du calcul de l’indemnisation.

Grâce au Covid, l’application de cette deuxième partie de la réforme avait été repoussée au 1er septembre 2020, puis au 1er Janvier 2021.

Comme je l’ai écrit plusieurs fois, ces mesures étaient les pires attaques sur les droits sociaux depuis l’après-guerre. L’objectif : 4,5 milliards d’euros d’économies en 3 ans sur les plus pauvres avec pour conséquences des indemnités chômage réduites à néant, plus faibles que le RSA. Cela s’appelle en français courant un massacre social.

Lire > Assurance chômage : une réforme tragique pour les précaires

Pour rappel encore, cette réforme n’était pas faite pour bouleverser la vie des salariés en CDI licenciés suite à une longue période d’activité. Quelle était la cible principale ? Les intermittents de l’emploi. Celles et ceux qui bossent de manière discontinue. Pour exemple, les extras de l’hôtellerie, de la restauration, de l’évènementiel, les guides conférenciers, les femmes de ménage décrites dans Le Quai de Ouistreham de Florence Aubenas, celles qui font le ménage tôt le matin dans les bureaux avant que les salariés arrivent et tard le soir après qu’ils sont partis, celles qui lavent les chiottes des bateaux ou des campings. La liste est longue de ces emplois discontinus exigés par une politique libérale dominante qui prend et jette sans contrepartie.

Qu’avons-nous fait pour empêcher cette monstruosité ? Nous avons d’abord essayé de médiatiser ce dossier dont personne ne parlait. Je remercie tout particulièrement Politis, l’Huma, Mediapart, Denis Robert et Pierre Jacquemain d’avoir relayés l’information. Avec le travail formidable des extras de l’hôtellerie restaurations (CPHRE notamment), des guides conférenciers, de la Coordination des intermittents et précaires et bien d’autres, nous avons alerté les politiques. Parmi eux nous avons bénéficié du soutien indéfectible de Mathilde Panot, Marie-Noëlle Lienemann, Elsa Faucillon ou dernièrement François Ruffin. Mais cela n’était pas suffisant. Malgré les cris d’alarmes répétés, de nombreux discours au Sénat et à l’Assemblée nationale, le gouvernement est resté inflexible. Nous avons donc, parallèlement à ces actions politiques d’informations, engagé un recours au Conseil d’État. Pour rappel la Coordination des intermittents et précaires avec Recours radiation avaient déjà fait annuler la convention assurance chômage 2014, elle avait dû être réécrite à la va-vite par Myriam El Khomri.

Cette fois ci, un collectif composé de membres de la Coordination des intermittents et précaires, Denis Gravouil et Muriel Wolfers (CGT), Mathieu Grégoire et Claire Vives (sociologues du travail), Hélène Crouzillat, Rose-Marie Pechallat, et plusieurs avocats ont mis en commun leur analyse du dossier pour trouver des éléments qui pourraient faire annuler la convention d’assurance chômage, autrement dit le texte de Muriel Pénicaud.

Nous avons bien travaillé et partagé nos connaissances.

Ce 25 Novembre 2020, le Conseil d’État, retenant nos arguments, écrit ceci :

Du fait des règles qui ont été retenues, le montant du salaire journalier de référence peut désormais, pour un même nombre d’heures de travail, varier du simple au quadruple en fonction de la répartition des périodes d’emploi au cours de la période de référence d’affiliation de 24 mois.

De ce fait, la partie indemnisation (celle qui faisait le plus d’économies) et qui devait être appliquée au 1er janvier 2021 est purement et simplement annulée.

Notre travail a payé. Le Conseil d’État a reconnu que cette convention était pour partie hors-la-loi. C’est une immense victoire pour les précaires.

Il nous reste du chemin à parcourir, les intermittents de l’emploi n’ont toujours pas l’année blanche obtenue par les intermittents du spectacle, et nous ne nous contenterons pas des miettes annoncées par Elisabeth Borne aujourd’hui 26 Novembre.

Mais cette victoire est une nouvelle fois la preuve que la lutte paye, que nous pouvons mettre hors-la-loi les décisions de ce gouvernement qui piétine tous les jours les droits acquis lors de longues années de luttes depuis le Front populaire et le Conseil national de la résistance.

Pour les médias, il a été facile de rappeler que Maradona défendait le peuple. Faisons en sorte qu’ils n’oublient pas de rappeler que les précaires en France ont obtenu une magnifique victoire contre un gouvernement qui les appauvrit et les oppresse.

PAR SAMUEL CHURIN PUBLIÉ LE 26 NOVEMBRE 2020

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