Par Pauline Graulle
Dimanche, lors d’un discours à huis clos devant les militants de son parti, le PG, membre de La France insoumise, le député de Marseille a évoqué la création d’une nouvelle organisation pour porter sa candidature. Et a fait part de quelques doutes.
Comment apparaître comme un candidat légitime à la présidentielle, sans vote ou primaire légitimant sa candidature ? Jean-Luc Mélenchon, qui doit annoncer publiquement en novembre s’il briguera la fonction suprême en 2022, avait bien besoin de l’appui du Parti de gauche (PG) pour se mettre sur orbite. Ce week-end, lors d’un conseil national organisé à Montreuil (Seine-Saint-Denis), ce parti qu’il a fondé en 2008, puis qui a rejoint La France insoumise pour en devenir « la colonne vertébrale idéologique », lui a donné un salutaire coup de pouce.
Après avoir été les premiers à afficher leur soutien en 2011 puis en 2015, rebelote : les dirigeants du Parti de gauche (qui n’a jamais franchi durablement la barre des 10 000 adhérents) ont adopté une motion pour appeler publiquement le chef de file des Insoumis à présenter sa candidature en 2022. « Nous avons voté à l’unanimité pour que Jean-Luc, qui est la meilleure personne pour fédérer autour des causes communes, soit notre candidat », explique à Mediapart la coprésidente du PG, Danielle Simonnet...
Histoire de motiver les troupes avant le vote de la motion, Jean-Luc Mélenchon s’est rendu à Montreuil alors que son nom n’était pas au programme de ces deux jours à huis clos, à l’origine consacrés aux élections régionales et départementales de mars prochain. Devant ses cadres, selon plusieurs personnes interrogées par Mediapart, il a livré un discours essentiellement consacré aux questions stratégiques.
Après quelques considérations générales sur la situation sanitaire et politique actuelle, le député des Bouches-du-Rhône est revenu longuement sur ses desseins pour 2022. Et force est de constater que celui pour qui une campagne présidentielle revient à « monter sur la croix – ça fait quand même mal ! » n’a pas fait montre d’un excès d’optimisme. « Mélenchon a lié sa candidature à l’existence vérifiée d’une dynamique, note un bon connaisseur de la maison PG. Jamais il n’avait fait cela auparavant. »
Persuadé qu’il faut du temps pour créer « une majorité d’adhésion » d’ici le deuxième tour, « parce que nous sommes le camp qui a besoin de démontrer sa force » et que « nous parlons à des gens humiliés, résignés, battus d’avance », l’élu de Marseille a passé en revue les difficultés qui s’amoncellent sur le chemin vers 2022.
D’abord la crise sanitaire, qui pourrait rendre impossible l’organisation des grands rassemblements qui font, à chaque campagne, la marque de fabrique de La France insoumise et sont autant de « moments structurants de la conscience politique de masse ». Le cas échéant, redoute Mélenchon, « nous allons être renvoyés à une campagne qui s’adressera à une poussière humaine de gens qui sont derrière leur ordinateur, leur écran. [Or] le confinement n’est pas du tout propice au sentiment d’empathie ».
Décrivant « l’ambiance mortifère » générée par la crise écologique, mais aussi par la crise économique et sociale à venir, il a ensuite esquissé le « style » qui pourrait être le sien pendant la campagne. Un style qui s’éloigne de la ligne « populiste » qu’il avait choisie en 2017. Reconnaissant avoir d’ores et déjà « ajourné la question de conflictualité », ou en tout cas l’avoir « amenée d’une autre manière » afin de « produire de la conscience » durant le confinement, il entend continuer de creuser ce sillon pour « sortir positivement de cette zone de détresse ».
Fini donc le bruit et la fureur, bienvenue au « candidat commun » ! Un vocabulaire nouveau pour le Parti de gauche et La France insoumise, deux organisations qui se sont toujours montrées très rétives à toute forme d’union de la gauche. « La conflictualité ne peut pas arriver de la même manière qu’auparavant, c’est-à-dire en ouvrant les portes à coups de pied, en provoquant des incidents », a justifié celui qui a longtemps assumé le « parler cru et dru », dans une référence pas forcément consciente aux perquisitions tumultueuses de 2018…
Aucun regret pour autant, quand il s’agit d’assumer le registre de la colère : « Ça a eu son utilité quand on pataugeait dans la guimauve socialiste [pendant le quinquennat de François Hollande]. Et que personne ne vienne me dire que ça a été excessif, sinon il faut m’expliquer comment on a pu passer de 3,5 % à 19,5 % en l’espace de sept ans [des débuts du PG à la présidentielle de 2017 – ndlr] ! »
Désormais, donc, plus question d’effrayer qui que ce soit. « L’avantage que nous avons nous, les Insoumis, c’est qu’on a fait une telle provision de clivage, qu’on n’a pas besoin d’en rajouter », a glissé l’ancien sénateur, qui répond aux accusations sur son « caractère » par une pirouette : « Si vous voulez un ectoplasme… »
Il n’y a toutefois pas que des nuages sur le front de 2022. Jean-Luc Mélenchon est ainsi revenu sur les succès des trois dernières années : les 17 députés à l’Assemblée nationale et les 6 eurodéputés au Parlement européen. « La masse critique repérable de l’extérieur est beaucoup plus importante qu’en 2017. Notre groupe est une référence ! » a-t-il clamé, se gardant de revenir sur les échecs électoraux des européennes puis des municipales.
Autre atout pour les mois à venir : la « fluidité incroyable » du jeu politique. Autrement dit, la faiblesse des adversaires de gauche qui pourraient permettre à l’organisation mélenchoniste d’être au centre du jeu politique, et à l’intéressé d’être « de facto » le candidat commun. Alors qu’Europe Écologie-Les Verts (EELV) enregistrait ce même dimanche de nouvelles conquêtes aux élections sénatoriales, Jean-Luc Mélenchon a de son côté estimé que la décomposition politique allait se poursuivre.
Au PCF, d’abord, parti « déchiré » entre une ligne autonome et une ligne unioniste (avec La France insoumise), que le chef de file des Insoumis veut ramener dans son giron, non « pour son influence électorale » mais pour l’implication des réseaux militants communistes dans les syndicats et associations.
Au PS aussi, Jean-Luc Mélenchon s’attend à « un grand grabuge » d’ici son congrès qui aura lieu en décembre. Entre les partisans d’une alliance avec les Verts et les tenants d’un candidat 100 % socialiste, « ça va donner une explosion, pronostique-t-il. Il n’est pas exclu qu’une partie fasse, en secret ou non, le choix de faire équipe avec les Insoumis ».
D’où son idée de créer une sorte de superstructure, une « nébuleuse », qui verrait le jour « dans le courant de la campagne de 2022 » et dépasserait La France insoumise, afin d’accueillir de nouveaux entrants – « pas des partis, mais des personnalités et des gens venus du monde associatif ou politique ». « Quelque chose qui ressemblera à ce que nous avions fait au moment du Front de gauche », a-t-il précisé. Puis, il s’est adressé aux conseillers nationaux du Parti de gauche, lequel fournirait selon son estimation « 80 % des cadres insoumis » : « Vous allez être rejoints par plein de gens une fois que la campagne va commencer. Bien sûr, vos nerfs vont être mis à rude épreuve. Je vous recommande d’ouvrir les bras systématiquement. »
L’homme aux 7 millions de voix à la dernière présidentielle évalue qu’il faut « 8 millions d’électeurs pour être au second tour de l’élection ». Théoriquement, la victoire est donc « à portée de main ». Ce qui n’empêche pas, entre les lignes, les doutes et les interrogations. « Nous avons une chance de gagner. Je pense qu’il y a la faille. Je la vois, a affirmé Jean-Luc Mélenchon. Est-ce qu’elle va s’ouvrir ou pas ? Je ne sais pas. Ça va, ça vient, c’est un trou de souris. »
Comme un signe du caractère incertain de la conjoncture politique et de son propre destin, le leader insoumis a conclu en insistant sur la suite : la préservation de son œuvre idéologique (une gauche bien à gauche), mais aussi du groupe parlementaire aux prochaines législatives. « Le fil de la continuité du mouvement écolo-révolutionnaire doit se poursuivre en France », a-t-il dit, afin d’avoir « un groupe parlementaire à nouveau à l’Assemblée, et un maillage du terrain qui nous le permette ».
De là à entrouvrir la porte à des accords aux législatives avec d’autres forces, en échange de son retrait à la présidentielle ? Certains n’écartent pas cette hypothèse même si elle semble, pour l’heure, incongrue. « Ce qui compte par-dessus tout, c’est qu’on réunisse une force suffisamment conséquente, pour qu’après 2022, il y ait un 2023 », a conclu Jean-Luc Mélenchon.
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