Histoire du mouvement ouvrier en France (13) 1903 - La grande grève du textile, du Nord

dimanche 26 août 2018.
Source : Site de FO
 

Le souvenir de ce puissant mouvement revendicatif, qui s’est déclenché dans toute la région industrielle du Nord, est encore vivace dans la mémoire des vieux militants syndicalistes qui ont vécu toutes les péripéties dramatiques de la grève et qui, pour la première fois, unissait par instinct de conservation les travailleurs tisseurs exploités.

On avait jamais vu dans le Nord une action ouvrière aussi spontanée et résolue pour l’amélioration de leur condition de vie. Les travailleurs du textile vivaient alors dans une telle misère, que la vie quotidienne était devenue pour eux un cauchemar. Ce que le patronat cherchait à atteindre, c’était leur force de résistance, leur capacité morale combative et à les réduire à la passivité. Mais le jour vint, lorsque le prolétariat de l’industrie textile se révolta enfin contre un système d’exploitation qui avait trop duré et auquel, il voulait mettre un terme.

On comprendra pourquoi la lutte contre le patronat impitoyable prit tant d’ampleur quand, dans une fabrique de tissage, les étireurs avaient un salaire de 7 à 12 francs par semaine, les étaleuses de 9 à 1.5 francs. Les soigneuses âgées de 13 à 18 ans, et dont le travail était particulièrement dur, ne gagnaient par semaine que 4 à 8 francs. Aux filatures, la situation des salariés était aussi mauvaise : les metteurs en ordre recevaient par semaine 11 à 13 francs les démonteuses, la plupart des jeunes filles, ne touchaient que de 4 à 8 francs et le salaire hebdomadaire des fileuses était fixé de 13 à 15 francs.

Mais les travailleurs du textile en grève protestaient non seulement contre le salaire de famine, mais également contre la suppression de deux métiers importants : remplacés par des machines qui exigeaient des ouvriers un rendement considérablement accru, qui ne correspondait pas avec leur salaire. Ces ouvriers ne s’insurgeaient pas contre le progrès industriel proprement dit, mais ils n’admettaient pas que les machines deviennent pour eux un autre moyen d’abus.

Ils revendiquaient donc la révision des tarifs de salaire, des meilleures installations dans les usines et l’application des mesures hygiéniques indispensables. Le patronat refusa de donner son accord aux revendications ouvrières. Et c’est ainsi que la grève éclata dans la plupart des fabriques de textile de la région du Nord, qui a touché approximativement 30.000 ouvriers.

Tandis qu’à Lille, à Hazebrouck et à Comines, les patrons avaient accepté de réduire la journée de travail à 10 heures, la situation à Halluin s’aggravait où la grève dura plus de trois mois et où les ouvriers sans ressources et privés de secours, étaient réduits à se nourrir avec des épluchures de pommes de terre ! Cependant, ils tinrent jusqu’à la victoire de leur cause.

A Armentières, importante cité ouvrière, la grève avait revêtu un caractère révolutionnaire. Ici l’effervescence des travailleurs était très grande, car ils avaient un salaire de 1 fr. 50 par jour et demandèrent une augmentation que le patronat leur refusa. Pour prévenir des troubles, l’état de siège fut proclamé et les fabriques militairement occupées. Il y avait autant de soldats à Armentières que de grévistes. Le patronat promit de faire certaines concessions ; cela n’étaient qu’un subterfuge pour gagner du temps et briser par la famine la résistance des syndicalistes.

C’est alors, que par un référendum, la grève à outrance fut décidée. 6.000 ouvriers manifestèrent dans les rues et crièrent : « Vive la Révolution ! Le tarif ou la mort ! » Exaspérés devant l’indifférence et le mutisme du patronat et poussés à bout, les grévistes dressèrent des barricades ; attaquèrent la Banque de France, et lapidèrent des fabriques. La petite ville d’Armentières avait un aspect de guerre civile. La troupe chargeait les manifestants déchaînés qui découvraient leurs poitrines devant les baïonnettes des soldats, en criant imperturbablement : « le tarif ou la mort » ! Pour repousser le flot des manifestants qui poussaient des clameurs, menaçaient d’envahir l’hôtel de ville, la cavalerie et les fantassins, baïonnette au canon, les attaquèrent avec brutalité. Et c’est par le déploiement formidable de la force militaire, mise au service du patronat, que les héroïques grévistes d’Armentières furent vaincus.

Mais cette année fut mémorable pour les ouvriers tisseurs qui « secouèrent leur apathie » selon le mot de Griffuelhes et décidèrent fermement de lutter pour leur intérêt commun.

Leur mouvement de grève impressionnant tant à Armentières qu’à Lille, à Halluin et à Roubaix, ne fut pas vain. Les privations qu’ils endurèrent pendant des mois, les persécutions et les arrestations qu’ils subirent pour une action syndicale vigoureuse, ont développé leur conscience et leur volonté combatives, qui ont abouti finalement à la conquête de leurs droits, que les magnats du textile ne voulurent pas reconnaître pendant longtemps par cupidité et par un esprit de privilège et de profit.

René Gibère


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