L’affaire a fait grand bruit. Onze personnes avaient été interpellées lors de la venue de Gérald Darmanin à Saint-Etienne du Rouvray à l’occasion de l’hommage rendu au père Hamel. La police leur reprochait d’avoir perturbé l’allocution du ministre de l’intérieur et d’avoir participé à une manifestation interdite.
uatre d’entre eux avaient été placés en garde-à-vue. Pour les sept autres, le régime sous lequel ils ont été maintenus dans les locaux du commissariat relève d’un flou juridique total. Selon leur avocate Chloe Chalot, une telle rétention s’avère « parfaitement abusive ». Tous ont porté plainte aujourd’hui pour « atteinte à la liberté individuelle commise par une personne dépositaire de l’autorité publique ». L’ensemble de la journée apporte une preuve supplémentaire du traitement particulier réservé aux opposants politiques.
Nous nous sommes entretenus avec l’avocate Chloe Chalot et les personnes interpellées. Avec leur accord, nous rapportons leur propos tout en garantissant l’anonymat de ces derniers.
Dans la matinée du 26 juillet, la venue de Darmanin avait donné lieu à un important dispositif de sécurité qui relevait déjà d’une forme de répression préventive. Dans sa communication, la préfecture indique que « même s’il y avait une interdiction de manifester, le secteur était ouvert au public ». Dans les faits, il n’en était rien. L’espace était saturé de gendarmes mobiles et les déplacements à proximité de l’Eglise étaient impossible. De véritables checkpoints avec policiers et barricades avaient été mis en place. Certains apparaissent sobrement sous le nom de « point d’accès piétons » dans un document officiel de la Mairie.
Les forces de l’ordre opéraient alors un tri radical de la façon la plus arbitraire qui soit, généralement au faciès. Parfois ce sont des femmes seules qui sont écartées, des jeunes pas très blancs sont recalés, ainsi que des personnes identifiées par des policiers. « Vous avez de la chance qu’on ne vous ait pas reconnu avec vos masques, parce que vous n’auriez pas dû pouvoir rentrer », déclare un agent de la BAC à l’un des gardés à vue. Certains témoins rapportent une scène hallucinante où des gendarmes se demandent s’ils peuvent laisser passer deux jeunes enfants à vélo qui habitaient dans le quartier. La tension est palpable, il faut tout faire pour prévenir tout débordement. Depuis sa nomination, le ministre de l’intérieur poursuivi pour viol est la cible de nombreuses manifestations.
Paroles de policiers : « Celle-là, elle peut passer, elle n’est pas sur la liste ». Ou encore : « pour la sérénité de la cérémonie, je vous demanderais de ne pas rentrer ». Nous avons pu nous entretenir avec les personnes arrêtées. Et de nombreux témoignages confirment l’existence d’une liste des indésirables. Qui a constitué cette liste, comment et dans quel but ? Y a-t-il eu collusion entre les renseignements et les services de la mairie ? A l’intérieur du dispositif le travail de police continue. Ce sont alors des dizaines d’agents en civils qui opèrent, suivent, contrôlent et observent des groupes de personnes. Certains sont exfiltrés après un contrôle d’identité.
Quand une personne du public se met à invectiver le ministre aux cris de « Darmanin, violeur », il est immédiatement ceinturé et neutralisé avec une main devant sa bouche. Même scénario pour celui qui a eu la possibilité de sortir une banderole « Shame » (honte). Les policiers se jettent sur onze personnes, qui seront interpellées. Certaines n’ont manifesté aucune hostilité à l’égard du ministre mais elles avaient été repérées. « Il y au moins trois policiers par manifestant ».
Après l’arrestation, c’est la panique. « Il faut trouver des preuves » dit-un policier. « Demandez à Darmanin », s’énerve un autre au talkie-walkie. Visiblement tous les policiers ne tiennent pas leur nouveau ministre en haute estime. Certains ont même du mal à comprendre pourquoi avoir arrêté tant de monde. La situation les agace. Mais les consignes viennent d’en haut. « Au comico un OPJ nous a laissé entendre que la consigne était de tous nous mettre en GAV pour outrage en réunion pour au minimum 24h, la consigne venant apparemment du ministère. »
Dans la confusion ambiante, seules quatre personnes sont placées en garde à vue. Pour les 7 autres ? Aucune notification de leur privation de liberté, mais pas le droit de quitter le commissariat ou de consulter son téléphone pour autant. Consigne : rester sur le banc, attendre et demander l’autorisation pour aller aux toilettes. Pendant plus de deux heures, les policiers oublient toutes les règles élémentaires du Code de procédure pénale et maintiennent volontairement un flou juridique.
« Si mes clients avaient été en garde à vue, ils auraient eu la possibilité de faire prévenir leurs proches et d’appeler leur avocat. S’ils avaient été vraiment entendus comme témoins, ils n’auraient pas été conduits au commissariat de force et ils auraient pu quitter les lieux à tout moment. Aucun de ces deux statuts ne leur a été appliqué » rapporte leur avocate.
Objectif de la police : garder les interpellés au chaud jusqu’à ce que le ministre quitte Saint-Etienne-du-Rouvray et obtenir des dépositions permettant de remplir le dossier contre les quatre personnes en garde à vue. Par l’intermédiaire de la plainte déposée aujourd’hui, les sept interpellés contre-attaquent et dénoncent le traitement abusif qui leur a été réservé : « Toute personne interpellée et donc privée de liberté doit pouvoir disposer de droits. Tel n’a pas été le cas pour mes clients qui ont été retenus au commissariat au mépris des règles du code de procédure pénale. Il s’agit sans conteste d’une atteinte à leur liberté individuelle commise par une personne dépositaire de l’autorité publique, infraction réprimée par le code pénal (article 432-4). J’ai sollicité du Procureur de la République la réalisation d’une enquête et que celle-ci soit confiée à un service extérieur au commissariat de Rouen, je pense notamment à l’IGPN » précise Maître Chalot.
Cette plainte pourrait permettre de déterminer les circonstances dans lesquelles de telles aberrations juridiques ont pu avoir lieu, mais il semble clair que si le traitement a été aussi exceptionnel, c’est parce que l’affaire est devenue clairement politique. Un ballet de gens importants présents à la cérémonie (sous-préfète, commissaires divisionnaires et autres gradés) font un crochet pour regarder les interpellés « par curiosité ». La sous-préfète débarque en panique, et regarde elle-même s’il y a des traces de strangulations autour des cous de certains interpellés, parce qu’elle craint la mauvaise presse (on voit une vidéo où un policier attrape quelqu’un par le cou un peu vivement). Un policier déclare : « Après ce que vous avez réussi à faire, les collègues vont manger des cailloux pendant les prochains mois ». Alors il faut des têtes, et une condamnation rapide serait bienvenue. Le procureur tente alors de faire passer la seule personne finalement poursuivie en comparution avec reconnaissance préalable de culpabilité pour obtenir rapidement un résultat. Ça ferait bien dans les journaux. Mais le prévenu et son avocate s’y opposent. Il est convoqué devant le juge le 23 novembre prochain pour outrage.
Pendant les auditions, ce sont les coups de pressions classiques pour faire parler : « Vu ce qu’on sait de toi, tu ferais mieux de coopérer, sinon on te met en GAV ». Ou encore : « Tu peux sortir, mais pour ça tu dois nous donner les vidéos sur ton téléphone ». Il s’agit pourtant d’une personne auditionnée en qualité de témoin. Dans les couloirs et dans leurs cellules, les gens sont les victimes ou les témoins des petites humiliations et des remarques sexistes habituelles. Ici un policier maintient la porte des toilettes entrouverte avec son pied. Ailleurs, une policière déclare à une interpellée : « Est-ce que tu portes une culotte ? », puis lui palpe ostensiblement les fesses. Elle prend son sac à main et renverse tout le contenu directement sur le sol. Ailleurs, un policier appelle une de ses collègues : « Dis donc Anna, tu peux venir faire une fouille au corps à Mademoiselle, elle est jeune et craquante ! » Rire gras dans l’assemblée masculine. On a le ministre de tutelle qu’on mérite. Les 7 interpellés sont finalement relâchés après trois heures de privation de liberté sous un statut juridique obscur. La répression est aussi financière, les 11 personnes se sont vu préciser à la sortie qu’elles recevraient toutes une contravention pour « manifestation interdite ». D’après Chloé Chalot : « La question se posera de la contestation de ces amendes lorsqu’elles auront été reçues. La préfecture de Seine-Maritime a pris l’habitude de multiplier les arrêtés d’interdiction de manifestation, les gilets jaunes en font les frais depuis presque un an et demi. Ce dimanche 26 juillet, l’objectif était d’empêcher toute contestation à l’égard du ministre de l’intérieur, ce qui pose un réel problème de liberté d’expression. Par ailleurs, peut-on parler de manifestation pour quelques personnes disséminées dans le public qui ont été neutralisées en quelques secondes, certaines pour des raisons que nous peinons encore à comprendre ? »
De son côté, la préfecture allume les contre-feux qu’elle peut avec cette déclaration hallucinée : « Les personnes interpellées sont « connues pour leur appartenance à la mouvance gilets jaunes et ultra gauche », et les mots proférés ne sont pas le fait de féministes. » La préfecture disposerait donc d’un moyen particulier pour détecter les féministes. Faut-il rappeler qu’on peut appartenir à la mouvance « gilets jaunes et ultra gauche » selon l’expression policière consacrée et être féministe ? Faut-il d’ailleurs être nécessairement féministe pour trouver ignoble de nommer un individu poursuivi pour viol, qui a reconnu de son côté avoir usé de sa position de pouvoir pour obtenir des relations sexuelles en échange de passe-droit ? S’il bénéficie pour l’instant de la présomption d’innocence, il existe une femme que Darmanin a violé et qui mène un combat incessant pour le faire condamner. C’est grâce à son acharnement que l’enquête vient d’être relancée. Et l’on sait que la parole des femmes violées ne pèse souvent pas lourd face à la police et la justice. Surtout quand celui qu’on accuse de viol vient d’être nommé premier flic de France !
Rappelons aussi que s’il y n’avait pas plus de monde pour manifester à Darmanin tout le mépris qu’il nous inspire, c’est parce que la police avait tout fait pour neutraliser une telle expression. Un comité d’accueil plus important semble pourtant avoir été prévu. Et comme le rapporte d’ailleurs le site de la mairie de Saint-Etienne du Rouvray, « dans les rues de Saint-Étienne-du-Rouvray, plusieurs tags et collages sont apparus pendant la nuit du 25 au 26 juillet, indiquant : « flic, violeur, Darmanin » ou « Darmanin, un violeur à l’intérieur ». À l’issue de l’hommage républicain, des flyers indiquant « Darmanin, chef des policiers, homophobe assumé, violeur présumé » étaient retrouvés sur les pare-brises des véhicules garés autour du cordon de sécurité. »
Communiqué du collectif de soutien
Les différents interpellés ont été et continueront à être soutenus. Un collectif de soutien composé de syndicats, d’organisations et d’associations s’est constitué pour l’occasion. Plusieurs rassemblements se sont tenus devant le commissariat de Brisout de Barneville à Rouen. Reculant devant aucune infamie, les policiers ont verbalisé plus d’une dizaine de personnes pour tapage diurne. Les intéressés se réservent le droit de contester ces amendes quand ils les auront reçues. Dans un communiqué de presse daté d’aujourd’hui le collectif commente : « L’Etat et la police ne savent vraiment plus quoi inventer pour protéger ce ministre, dont le comportement sexiste et les propos homophobes sont pourtant désormais largement connus… quitte à piétiner sauvagement les libertés fondamentales. » Le collectif exige « l’abandon de toutes les poursuites contre V, poursuivie pour « outrage à une personne dépositaire de l’autorité publique » et convoquée devant le juge le 23 novembre prochain. Les seuls délits commis dimanche 26 juillet sont le fait de l’Etat et de la police qui entravent désormais systématiquement le droit de manifester et de s’exprimer librement ».
Dimanche 26 juillet, c’est un énorme dispositif policier qui voulait empêcher toute forme de contestation à la présence du ministre de l’Intérieur Darmanin durant la cérémonie d’hommage à Jacques Hamel à Saint-Etienne-du-Rouvray : rues barrées, checkpoints, contrôles d’identité, carton d’invitation exigé, liste de personnes indésirables… Contrairement aux années précédentes, de nombreux habitants n’ont donc pas pu entrer librement sur le lieu de la cérémonie. Tout était mis en place pour empêcher l’expression de celles et ceux qui pensent qu’un homme accusé de viol ne devrait pas être au gouvernement, et encore moins chef de la police. La préfecture s’est sentie obligée d’accuser « les Gilets jaunes et l’ultra-gauche » d’être responsables des actions menées, leur déniant tout positionnement féministe, alors qu’il s’agissait bien de cela au contraire : l’expression d’un féminisme élémentaire et en colère.
Cette colère féministe, qui a déjà été exprimée par des milliers de femmes et de manifestants un peu partout dans le pays depuis la nomination de Darmanin, a malgré tout pu se faire entendre : cris et pancartes ont accueilli les premiers mots du discours du ministre. Décidément, partout où Darmanin passe, il est attendu et contesté. Cela a évidemment fortement énervé ses gardes-chiourmes qui ont procédé à l’interpellation de onze personnes, dont quatre ont passé 24 heures en garde à vue au commissariat de Rouen. L’une d’entre elles est désormais poursuivie pour « outrage à une personne dépositaire de l’autorité publique » et est convoquée devant le juge le 23 novembre prochain. Nous exigeons l’abandon de toutes les poursuites contre V.
Les seuls délits commis dimanche 26 juillet sont le fait de l’Etat et de la police qui entravent désormais systématiquement le droit de manifester et de s’exprimer librement. C’est ainsi que lors d’un des rassemblements devant l’hôtel de police de Rouen pour exiger la libération immédiate des personnes gardées à vue, une quinzaine de soutiens a été contrôlée et verbalisée pour « tapage diurne ». L’Etat et la police ne savent vraiment plus quoi inventer pour protéger ce ministre, dont le comportement sexiste et les propos homophobes sont pourtant désormais largement connus… quitte à piétiner sauvagement les libertés fondamentales.
Cela n’est plus acceptable. C’est pourquoi les sept personnes retenues abusivement pendant plusieurs heures à l’hôtel de police ont décidé de porter plainte « pour atteinte à la liberté individuelle par une personne dépositaire de l’autorité publique ». En effet, elles estiment avoir été maintenues illégalement dans ces lieux, en étant privées de leur liberté d’aller et venir, et sans avoir été avisées de leurs droits.
Honte à ceux qui écrasent les libertés et piétinent le corps des femmes, justice pour celles et ceux qui se lèvent pour les dénoncer !
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