Élections : retour sur le communisme municipal

lundi 13 juillet 2020.
 

Où en est l’univers communal du PCF ? Tout dépend du critère que l’on retient pour le mesurer. Roger Martelli décortique les résultats des élections municipales pour vous.

Le bilan comptable exact des élections municipales relève de la quadrature du cercle. Les étiquettes officielles des listes sont absentes (pour les communes de plus de 3500 habitants) et les nuances politiques des candidats sont incertaines, une très nette majorité se classant prudemment sous l’étiquettes de « divers », « divers droite » ou « divers gauche ». Il est donc difficile, à partir de là, d’attribuer des étiquettes politiques sûres. Les statistiques municipales doivent donc être tenues pour approximatives. Comme pour les sondages, ce qui compte est moins la photographie que l’évolution du phénomène en longue durée.

La situation du PCF

Numériquement, le bilan communiste est simple : le PC a perdu une petite quarantaine de villes de plus de 1000 habitants et gagné ou regagné entre 25 et 30 communes nouvelles au moins. En 2014, le PC pouvait comptabiliser 283 communes à son actif ; en 2019, si l’on tient compte des incertitudes inévitables d’étiquettes, dans un sens ou dans l’autre, ce nombre oscille entre 256 et 270. Vu sous cet angle, le recul est donc relativement modeste, moins important qu’à l’occasion d’autres élections (5 à 10% de l’effectif initial). En 2014, par exemple, il avait perdu plus d’un quart de ses municipalités dans cette tranche de communes.

Le recul est toutefois un peu plus conséquent si l’on prend pour référence, non pas le nombre de communes mais la population administrée. Les villes perdues se situent autour d’un total de 700.000 habitants, les villes gagnées sont au-dessus de 340.000 habitants, soit un écart de 360.000 (plus de 13% du total initial). Ce n’est pas la première fois que le phénomène se produit pour le PC : entre 1977 et 1983, les communistes avaient augmenté légèrement le nombre des communes qu’ils géraient, mais le total administré avait reculé de plus d’un million et demi. En 2020, le PCF résiste globalement, mais s’affaiblit dans la tranche des plus de 10.000 habitants. Au total, les villes administrées par un maire communiste ou apparenté ne regroupent plus que 2,3 millions d’habitants contre plus de 8,5 millions en 1977.

Deux autres phénomènes inquiétants peuvent être signalés. D’une part, le délitement de la « banlieue rouge » se poursuit, malgré quelques reconquêtes (Villejuif, Bobigny, Corbeil, Noisy-le-Sec). La Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne comptaient 44 municipalités communistes en 1977 et 13 en 2020 ; l’Île-de-France comptait 39 villes à direction communiste en 2014 et 32 aujourd’hui (contre 147 en 1977). C’est le noyau historique qui est désormais atteint : Saint-Denis, Aubervilliers, Villetaneuse, Choisy-le-Roi, Villeneuve-Saint-Georges, Valenton, Bezons et Saint-Pierre-des-Corps étaient déjà socialistes au moment où naissait le PCF.

La direction du PCF fait remarquer avec raison que la perte de municipalités n’annule pas le fait que le parti devrait disposer de plus de conseillers municipaux, à l’issue d’une élection où la gauche rassemblée s’est imposée dans de nombreuses communes, notamment dans les grandes métropoles. Le PCF devrait donc avoir plus d’élus qu’en 2014. Mais il avait énormément perdu cette année-là, à cause de son recul dans son propre espace et surtout à cause de la débâcle enregistrée par le PS, en pleine dégringolade du quinquennat Hollande. En 2013, avant donc la chute sensible de 2014, celui qui était alors le responsable du secteur « Élections » du PC, Pascal Salvoldelli annonçait le chiffre de 7000 élus sur les 520.000 conseillers municipaux installés en France métropolitaine (1,3%). Seront-ils au moins autant en 2020, ce qui supposerait que le PC se retrouve à son niveau de 2008 ? Il faudra attendre le prochain bilan global pour le savoir…

Y a-t-il encore « communisme municipal » ?

À l’occasion de ces élections, le PCF a montré une fois de plus qu’il est une force territorialement implantée, qui se maintient alors même que son influence électorale nationale est réduite à la portion congrue. Mais les remarques précédentes ne doivent pas faire oublier que l’érosion des zones de force, engagée depuis 1983, n’est pas stoppée quand bien même elle serait moins forte qu’à d’autres périodes.

Entre 1936 et 1945, le Parti communiste était passé électoralement d’un archipel électoral (quelques zones de force au milieu de déserts électoraux) à un continent. Depuis 1981, il est retourné à la situation de l’archipel. Le tableau de la répartition départementale des villes administrées en témoigne amplement.

Le « communisme municipal » se présentait à la fois comme un type de gestion populaire, parfois un « laboratoire de la modernité », et une sociabilité particulière où l’impact de la galaxie communiste s’entremêlait avec une sociabilité à la fois populaire et républicaine. Ce « patriotisme à base de clocher » évoqué par l’historienne Annie Fourcaut était soigneusement contrôlé par le PC, sa Commission municipale centrale et ses réseaux d’élus, l’Union des municipalités communistes (1945), l’Amicale nationale des Élus Républicains (1949), la Fédération nationale des élus républicains (1963) et l’Association nationale des élus communistes et républicains (ANECR, 1977).

Même clairsemé, le « trésor » municipal du PCF constitue toujours pour lui un substrat non négligeable, qui compense partiellement la perte de l’ancrage syndical et associatif et reste le lien le plus direct des communistes avec la réalité française contemporaine. Mais la cohérence matérielle et symbolique qui caractérisait cet espace s’est érodée, en même temps que les marges d’hégémonie locale du PCF.

Les municipalités communistes ne sont plus des villes ouvrières. La part des ouvriers y est certes un peu plus importante en moyenne que dans l’ensemble de la France métropolitaine, mais l’écart s’est resserré avec les autres communes. En sens inverse, la part des cadres et professions intermédiaires a sensiblement augmenté depuis 1968. La ville communiste reste majoritairement une ville populaire, mais ne se distingue plus avec la même force de la moyenne métropolitaine révélée par les statistiques.

Pendant l’essentiel du XXème siècle, le communisme français a cultivé la fierté et le désenclavement de territoires autrefois relégués. Or la crise urbaine a défait, à partir des années 1970, une grande part de l’œuvre entreprise. De plus, alors que la ville est de plus en plus le territoire par excellence de la valorisation économique, les municipalités communistes se voient frappées de plein fouet par le transfert des compétences et le retrait général de la sphère publique. Dès lors, l’originalité d’une gestion franchement sociale et culturellement typée s’est estompée.

Les transformations au sein du « peuple », la spirale des inégalités et des discriminations, la diversification des cultures sociales et des attentes individuelles, la complexité des gestions territoriales ont défait la texture du « communisme municipal ». Il est d’ores et déjà un héritage, plus qu’une réalité. Comme pour toute pratique sociale et politique, mieux vaut se dire que sa relance ne sera pas un « retour à… ». Ce qui est désormais en jeu est une forme nouvelle de gestion communale, populaire, ambitieuse et concrète, capable de rompre le cycle du désengagement civique et de penser un nouvel âge de l’urbain.

Incontestablement, ce n’est pas le problème des seuls communistes…

Roger Martelli


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