Victoire sur l’excision, Pierre Foldes, le chirurgien qui redonne l’espoir aux femmes mutilées

mardi 16 mai 2006.
 

« On voudrait donner à entendre les cris de l’enfant, ce hurlement désespéré qui roule, répété de plus en plus bas tant l’épuisement devient visible, ce déchirement de tout l’être lancé vers une foule qui l’ignore ... » Le livre d’Hubert Prolongeau commence ainsi. Par la description insoutenable de l’excision d’une petite fille de moins d’un an en pleine rue d’une ville du Nigéria. Comme Hubert Prolongeau, nous n’avons pas besoin d’entendre ces cris pour comprendre l’immense souffrance de cette fillette, pour comprendre l’immense détresse des jeunes filles et des femmes à qui « on a fait ça ».

Ces cris et ces souffrances intolérables, un médecin urologue, Pierre Foldes, les avaient déjà perçus lorsqu’il était en mission humanitaire au Burkina-Faso. Son cheminement personnel et sa pratique de la médecine humanitaire l’amènent à s’interroger sur cette question qui traverse tous les militants du secteur humanitaire : le respect des cultures. Faut-il laisser faire d’insupportables mutilations au nom du droit à la différence ? Pierre Foldes fait partie de ces militants des droits humains qui, après s’être interrogé, s’opposent à cette conception et qui la combattent sans concession. Sa rencontre avec Jean-Antoine Robein, également urologue va être décisive.

Au Burkina-Faso, il décide d’opérer les femmes excisées pour les soulager. « Ce qui m’a touché, explique t-il, c’est la douleur. Ce que les femmes revendiquaient ce n’était ni la recherche d’une identité, ni les joies du sexe, mais la fin de cette souffrance physique ». Et c’est autant la volonté de vaincre cette souffrance que le hasard qui feront avancer les choses et qui l’amèneront à parfaire sa technique opératoire jusqu’à la reconstitution intégrale du sexe des femmes mutilées. « Ce qui est le plus choquant, c’est que personne n’ait fait ces recherches avant moi (...) Pour moi cet aveuglement est l’excision occidentale : le clitoris n’existe pas, il est volontairement excisé de notre culture... »

Ce livre : « Victoire sur l’excision », écrit par Hubert Prolongeau, n’est pas seulement le constat d’une victoire de la science et de la raison sur l’obscurantisme. C’est un cri d’espoir pour dire qu’il est toujours possible de faire progresser l’humanité, qu’il est toujours possible de s’opposer au conformisme lorsqu’il banalise, au nom du respect des cultures, des traditions ou des croyances, des actes de barbarie. Ce livre est un recueil de témoignages poignants, de récits parfois insoutenables de ces femmes meurtries et révoltées.

On comprend la complexité de la bataille contre l’excision. On comprend le difficile combat que mènent ces hommes et ces femmes qui luttent au quotidien dans leur propre pays contre des pratiques ancestrales et qui arrivent par la force de leur conviction à remettre en question la domination séculaire des hommes sur les femmes. Il faut avoir vu le film Moolade, de Sembene Ousmane, pour comprendre cela.

Pierre Foldes fait partie de ces hommes modestes et remarquables qui ont contribué à dévoiler une face cachée de la souffrance du monde. La face cachée de cette souffrance que les défenseurs des droits humains ont mis des années à dénoncer s’appelle mutilation, excision, infibulation. Et c’est la conscience douloureuse de cette souffrance là qui l’a guidé dans son combat. Réparer sans lutter contre l’excision n’était pas logique, dit Pierre Foldes. « Témoigner est capital ! Le témoignage est une arme extraordinaire dont il faut se servir. Je suis actuellement à fond dans la transmission de ce savoir. Pas le savoir de la réparation, le savoir de la souffrance. »

Personne ne sait à quand remonte la pratique de l’excision. Tout ce qu’on sait c’est qu’elle perdure quelque soit la religion pratiquée par les populations. Cent trente millions de femmes et de fillettes excisées sur la planète c’est cent trente millions de vie brisées. Neuf femmes sur dix pour les pays les plus touchés : Egypte, Soudan, Mali, cinq femmes sur dix en Centrafrique et Côte d’Ivoire. Vingt huit pays africains sont concernés et certains ont déjà lancé des campagnes d’information pour éradiquer l’excision comme au Burkina-Faso. Mais qu’en est-il en Europe, et en France en particulier. Depuis plus dix ans des procès ont eu lieu, en France soutenus par des associations comme le GAMS (Groupe pour l’Abolition des Mutilation Sexuelles). Ces procès n’ont donné lieu, la plupart du temps qu’à des peines avec sursis. Ce combat est en Europe comme en Afrique très difficile à mener. On a vu en France des sociologues, juristes, et un écrivain comme Tobie Nathan défendre l’excision par respect des cultures et prétendre qu’elle éviterait d’autres pratiques d’initiation de remplacement comme les drogues.

Chez les professionnels de la santé une lettre de la « Ligue européenne pour la valorisation de la circoncision féminines » présentait l’excision comme une « petite opération dépourvue de risques et injustement entachée de préjugés culturels ». Elle serait de plus un moyen de lutter efficacement contre les MST, le sida, le cancer, les maladies mentales, les troubles de la vision »(...) La pudeur prêchée par les religieux sert de plus en plus souvent d’alibi à ces pratiques barbares. Ainsi, pour le guide spirituel des frères musulmans Youssef al-Qaradhawi « ceux qui considèrent que l’excision est le meilleur moyen de protéger leurs filles doivent l’appliquer ». C’est aussi contre l’influence néfaste de ces intégrismes religieux qu’il faut lutter pour que toutes les femmes, quelque soient leurs culture ou leurs croyances, aient le droit de conserver leur corps intact.

Il reste au docteur Foldes à transmettre sa technique, son savoir, son expérience et sa force de conviction. Son travail contre l’excision lui a permis d’approfondir sa démarche militante qu’il avait commencée en s’engageant aux côtés de Médecins du Monde. Il s’implique à présent dans un combat plus global dont il a découvert peu à peu au fil de ses rencontres, les enjeux, le combat contre toutes les violences faites aux femmes.

Brigitte Bré Bayle (article pru dans Respublica)

Victoire sur l’excision, d’Hubert Prolongeau, éditions Albin Michel


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message