Espagne : les socialistes du PSOE et Podemos trouvent un accord

vendredi 22 novembre 2019.
 

Sept mois de négociations infructueuses, de nouvelles élections, une gauche en baisse et... un accord trouvé en deux jours par le PSOE et Podemos.

1) Entretien avec Mariana Sanchez est journaliste et co-auteure de Catalogne, la République libre.

Regards. Mardi 12 novembre, deux jours après les élections générales, Pedro Sanchez et Pablo Iglesias ont annoncé avoir signé un pré-accord de gouvernement. Ont-ils les moyens de former un gouvernement ?

Mariana Sanchez. Non. Les socialistes et Unidas Podemos ont à eux deux 155 élus. La majorité absolue, c’est 176 sièges. Ils auront certainement les trois voix de Errejon et celles d’autres petits partis. Je compte 160 voix de sûres. Les clés sont dans les mains de ERC (la gauche indépendantiste catalane, NDLR). Sachant que l’élection du Premier ministre se fait par deux votes au Parlement : un premier où il lui faut la majorité absolue, sinon, il y en a un deuxième où il n’a besoin que de la majorité simple. Reste à savoir si ERC votera pour cette coalition dès le premier tour ou s’ils s’abstiendront au second. Il va donc falloir que Pedro Sanchez fasse des signes à ERC, ce qui n’est pas encore le cas. De plus, cette fois-ci, Pablo Iglesias se pose en vice-président, pas en simple ministre comme la fois précédente. Ce qui est certain, c’est qu’une partie de la direction de Podemos a soif de gouverner. Et les vieux barons du PSOE, qui ne voulaient pas d’accord avec ces gens-là, se sont rendus compte qu’il n’y avait pas d’autres moyens d’avoir le pouvoir.

Qu’est-ce qui fait que, cette fois-ci, un accord est possible ?

On n’a pas encore le détail de cet accord, nous n’avons que les dix points principaux. Mais s’ils ont fait cette conférence de presse aujourd’hui, c’est que le texte final est assez avancé. Sur le social, il reste très vague. Ils vont s’occuper de l’emploi, de la précarité, de la corruption, des services publics, de justice fiscale... Ils abordent aussi les droits sociétaux tels que l’euthanasie ou les violences faites aux femmes. Bien sûr, ce sont des points qu’il faut traiter en Espagne. Je pense qu’ils ont pris la mesure de la crise politique du pays. Mais, par rapport à la question catalane, c’est insuffisant. Il n’y a pas l’ombre d’une issue à cette crise-là.

Des choses ont changé vis-à-vis de la question catalane ? ERC peut-il accepter ces conditions, parce que sans eux, rien n’est possible ?

Sur la Catalogne, cet accord est plus que vague. Ils veulent garantir la « coexistence » des uns et des autres, relancer le dialogue, mais pas un mot sur un quelconque référendum ou sur les prisonniers politiques. Quand il est arrivé au pouvoir, Pedro Sanchez avait soi-disant essayé de discuter avec les Catalans, sans faire aucune concession. S’ils n’arrivent pas à mettre en place un gouvernement qui prenne des mesures pour déverrouiller cette crise, cela deviendra une vraie poudrière. ERC fait l’analyse que, si la droite et l’extrême droite arrivent au pouvoir, ça sera bien pire pour la Catalogne. Ils sont prêts à faire une série de concessions pour préserver un espace de démocratie – ce qui n’est pas l’analyse du parti de Carles Puigdemont pour lequel le PSOE ne fera pas plus que le PP. Derrière l’affaire catalane, il est question des institutions, de la crise du régime de 1978. Il va bien falloir qu’ils aient cette discussion à un moment.

Le PSOE et Podemos viennent de passer sept mois à négocier, sans parvenir à un accord. Ces négociations infructueuses ont mené à de nouvelles élections, auxquelles ils viennent de perdre respectivement 3 et 8 députés. C’est un immense gâchis, non ?

Absolument. C’est d’autant plus un immense gâchis que Vox monte à cause du discrédit de la classe politique qui est incapable de passer un accord de gouvernement – et pas seulement à cause de la question catalane.

Sans majorité absolue, ce gouvernement ne sera-t-il pas si faible que, tôt ou tard, les Espagnols devront retourner aux urnes ?

C’est possible. Pedro Sanchez et Pablo Iglesias annoncent un pacte « pour quatre ans ». Mais si ce pacte tient grâce aux votes de ERC ou du PNV (nationalistes basques, NDLR), ça peut exploser à n’importe quel moment. De toutes les façons, on est dans une situation de grande fragilité, puisque les deux partis qui font alliance ne sont pas majoritaires.

Propos recueillis par Loïc Le Clerc

2) Les dix points de l’accord PSOE-Podemos

1. Consolider la croissance et la création d’emplois. Combattre la précarité du marché du travail et garantir un travail décent, stable et de qualité.

2. Travailler pour la régénération et lutter contre la corruption. Protéger les services publics, en particulier l’éducation – y compris la promotion des écoles maternelles de zéro à trois ans –, la santé publique et les soins de la dépendance. Protection des retraites de nos aînés : assurer la pérennité du système de retraite public et sa réévaluation en fonction du coût de la vie. Le logement est un droit et non une simple marchandise. Miser sur la science en tant que moteur de l’innovation économique et respecter les conditions de travail du secteur. Récupérer les talents émigrés. Contrôler la propagation des bookmakers.

3. Lutte contre le changement climatique : la transition écologique juste, la protection de notre biodiversité et la garantie d’un traitement digne des animaux.

4. Renforcer les petites et moyennes entreprises et les indépendants. Promouvoir la réindustrialisation et le secteur primaire. Fournir à l’administration les bases pour la création de richesse, le bien-être et l’emploi, ainsi que pour l’impulsion numérique.

5. L’approbation de nouveaux droits qui renforcent la reconnaissance de la dignité des personnes comme le droit à une mort digne, à l’euthanasie, à la sauvegarde de la diversité et à faire de l’Espagne un pays de mémoire et de dignité.

6. Garantir la culture en tant que droit et lutter contre la précarité dans le secteur. Promouvoir le sport comme gage de santé, d’intégration et de qualité de vie.

7. Politiques féministes : garantir la sécurité, l’indépendance et la liberté des femmes par le biais d’une lutte résolue contre la violence sexiste, l’égalité de rémunération, la mise en place de congés de paternité et de maternité égaux et incessibles, la fin de la traite d’êtres humains en vue d’exploitation sexuelle et de l’élaboration d’une loi sur l’égalité des chances au travail.

8. Inverser le dépeuplement : soutien résolu à ladite Espagne vide.

9. Garantir la coexistence en Catalogne : le gouvernement espagnol aura pour priorité de garantir la coexistence en Catalogne et la normalisation de la vie politique. À cette fin, le dialogue en Catalogne sera encouragé, à la recherche de formules d’accord et de rencontre, toujours dans le cadre de la Constitution. L’État des autonomies sera également renforcé pour garantir le respect des droits et des services de sa compétence. Nous allons garantir l’égalité entre tous les Espagnols.

10. Justice fiscale et équilibre budgétaire. L’évaluation et le contrôle des dépenses publiques sont essentiels au maintien d’un État-providence solide et durable.


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