Compétitivité : une arme idéologique de la grande bourgeoisie contre les salariés et les petits entrepreneurs.

jeudi 25 novembre 2021.
 

- 1) Pourquoi les politiques de compétitivité échouent... et sont poursuivies

- Commentaire d’Hervé Debonrivage sur ce texte

Compétitivité : une arme idéologique de la grande bourgeoisie et de ses laquais contre les salariés et les petits entrepreneurs.

Nous reproduisons ici un article intéressant concernant le sujet très galvaudé de la compétitivité de l’économie française souvent comparée à celle de l’Allemagne.

L’article s’inscrit en faux contre les arguments souvent ressassés par les libéraux : le manque de compétitivité supposée de l’économie française serait dû à un coût du travail trop élevé, des charges sociales écrasantes notamment. On rappelle ici que les quelques 120 milliards d’euros versés aux entreprises en CIC E ces dernières années, somme pharaonique, n’a aucunement dynamisé l’économie française et l’emploi.

1) Pourquoi les politiques de compétitivité échouent... et sont poursuivies

Source : Mediapart 7 mars 2019

https://www.mediapart.fr/journal/fr...

Par Romaric Godin

Voir les graphiques sur le site en utilisant l’URL ci-dessus.

La compétitivité de l’économie française est brandie comme un étendard pour justifier une grande partie des politiques économiques actuelles. Mais l’examen de ce problème montre que les remèdes proposés sont largement inadaptés. Pour autant, le gouvernement actuel entend persister. Une stratégie à haut risque.

On connaît la chanson. Dès qu’une demande sociale se fait entendre, dès qu’une « réforme structurelle » est contestée, dès que des revendications salariales sont formulées, un argument est instantanément sorti du chapeau des politiques : la compétitivité. Il faudrait défendre à tout prix la capacité d’exportation de nos entreprises à coups de subventions, de réductions des droits des salariés et de dépenses fiscales.

Que n’a-t-on ainsi justifié au nom de cette compétitivité ? Le CICE, dont le deuxième « C » signifie bien « compétitivité » et qui aura coûté pas moins de 120 milliards d’euros aux finances publiques, rendant ainsi la réduction du déficit public plus difficile et plus douloureuse. Que ne justifie-t-on encore au nom de cette même notion ? Quasiment toute la politique économique de l’actuel gouvernement : la baisse prévue de huit points de l’impôt sur les sociétés, la transformation de ce même CICE en baisse de cotisations, les « réformes structurelles » affaiblissant l’État social et la protection des salariés.

Lors du débat parlementaire qui a suivi l’annonce par le président de la République des mesures en réponse au mouvement des « gilets jaunes » le 10 décembre, le premier ministre Édouard Philippe a ainsi fait de la protection « de la compétitivité des entreprises » une priorité.

C’est ce qui a justifié que l’État a pris à sa charge la hausse de revenus pour les personnes payées au Smic via la prime d’activité plutôt que de passer par une hausse dudit salaire minimum. C’est aussi ce qui a justifié que l’on maintienne la « double année » du CICE, autrement dit de cumuler en 2019 la baisse des cotisations devant remplacer le CICE avec le dernier versement de celui-ci (pour 19 milliards d’euros). C’est enfin ce qui, implicitement, justifie que l’on refuse de toucher à la réforme de l’ISF, conçue dans l’esprit du gouvernement comme une réforme destinée à améliorer in fine la compétitivité des entreprises.

La perte de compétitivité et l’illusion du déclin

Mais sur quoi repose cet argument central de la compétitivité ? Sur une réalité indéniable : la dégradation dramatique du solde commercial de la France. Selon les données de la Douane pour 2018, le déficit commercial a atteint 59,9 milliards d’euros, soit le plus mauvais chiffre depuis 2013. Le dernier excédent commercial annuel remonte à 2002. À l’origine de cette dégradation, on trouve l’atonie des exportations françaises qui se traduit notamment dans la perte très importante de parts de marché de la France dans le commerce mondial. En 1999, les ventes françaises de biens et services représentaient 5,8 % du total mondial. En 2017, cette part était passée à 3,5 %. Une chute de 40 % qui traduit bel et bien une perte de compétitivité sèche de la production française.

Pourtant, une fois ce constat fait, on n’est guère avancé. Un solde commercial n’est pas, en effet, un indicateur de performance économique. Il n’est d’abord qu’une partie du solde courant qui décrit l’ensemble du financement de l’économie. Dans la foulée de ce déficit commercial chronique, le solde courant français s’est bien dégradé aussi, passant d’un excédent de 3,4 % du PIB en 1999 à un déficit de 1 % du PIB en 2017. Mais il est à noter que cette dégradation reste modérée. On est très loin par exemple du cas britannique où le déficit courant atteint 5 % du PIB. Le besoin de financement du pays n’est donc pas inquiétant.

Au reste, il faut aussi signaler que le compte courant n’est pas non plus un indicateur de performance économique. Entre 2012 et 2016, le Royaume-Uni a ainsi affiché une croissance supérieure à celle de l’Allemagne en raison de son déficit courant alimenté par les investissements (financiers, souvent) étrangers. À l’inverse, le monstrueux excédent courant allemand, qui, alors, a frôlé les 9 % du PIB, témoignait d’une épargne trop importante qui réduit nécessairement la création de richesse du pays.

En regard, l’économie française apparaît équilibrée et dispose d’une vraie cohérence d’ensemble : elle exporte peu, mais récupère des flux financiers de l’étranger. Sa balance courante est donc proche de l’équilibre. Elle trouve alors un certain équilibre qui, néanmoins, est acquis au prix du soutien, par la puissance publique, de la demande intérieure. Il n’y a là aucun signe de « déclin », mais plutôt un régime de croissance plus faible, mais plus stable, que les autres. Cependant, en jetant la lumière, comme l’a fait le candidat, puis le président Emmanuel Macron, sur la seule perte de compétitivité, on donne cette impression de déclin et on prétend qu’il faut corriger cette perte au plus vite, quel qu’en soit le prix.

Les origines de la perte de compétitivité-prix

Certes, il est toujours mieux de disposer d’une capacité exportatrice renforcée pour bénéficier d’un régime de croissance plus solide. Mais pour bien agir, il faut connaître les causes profondes du phénomène. Or, depuis des années, les gouvernements, mais aussi les lobbies patronaux, insistent sur la question du coût du travail. Le travail serait trop cher en raison des salaires nominaux et des cotisations sociales.

Cela conduirait alors à un double phénomène : l’impossibilité d’ajuster les prix à ceux des marchés internationaux et la compression des marges qui réduirait l’investissement et ferait baisser de gamme les produits français. L’urgence serait alors à la baisse du coût du travail, notamment par la flexibilisation du marché de l’emploi (qui pèse sur les salaires) et par la baisse des dépenses publiques (qui permet de réduire les cotisations). C’est la politique menée depuis des années et qui s’est accélérée depuis 2011 en France.

Cette logique est fortement ancrée dans l’imaginaire collectif économique français. Mais est-elle justifiée ? Pour le savoir, trois chercheurs du CEPII (Centre d’études prospectives et d’informations internationales), Charlotte Emlinger, Sébastien Jean et Vincent Vicard, ont publié une note complète sur les « déterminants » de « l’étonnante atonie des exportations françaises » 3. Ils y explorent les différentes hypothèses, en partant d’un des faits les plus étonnants en apparence de la situation actuelle de l’économie française : l’absence d’amélioration notable de la compétition à la suite de l’amélioration relative du coût du travail français.

Concernant l’impact du coût du travail, l’étude reconnaît son rôle dans la perte de compétitivité française. Mais avec quelques bémols d’importance. Entre 1999 et 2008, le coût unitaire du travail, qui calcule l’évolution de ce coût du travail corrigé de la productivité, a progressé en France d’environ 20 % contre une quasi-stagnation en Allemagne. Cela a conduit à une dégradation de la compétitivité-prix des produits français.

Mais il convient immédiatement de souligner un fait important. France et Allemagne sont en effet partenaires dans une union monétaire où, en 2003, l’objectif d’inflation a été explicitement interprété à un niveau « inférieur mais proche de 2 % à moyen terme ». Or, comme le souligne Sébastien Jean, « cet objectif peut se comprendre également comme une norme de croissance des coûts unitaires du travail ». La raison en est simple : si ces coûts augmentent plus vite que l’inflation, les entreprises sont tentées d’augmenter les prix pour préserver leurs marges. S’ils augmentent moins vite, il y a une perte de pouvoir d’achat pour les travailleurs et donc un recul de la demande qui incite à baisser les prix. Bref, si l’objectif de la BCE est un objectif de stabilité des prix, alors il doit s’appuyer sur une croissance des coûts unitaires du travail similaire.

De ce point de vue, la France fait figure de bon élève : son coût du travail a augmenté d’environ 2 % par an, soit conformément à la cible de la BCE. C’est moins, par exemple, que l’Espagne ou l’Italie (dont la moyenne est plus proche de 4 %). Le discours courant consistant à dire que les salariés français ont été trop « gourmands » ou que les dépenses sociales françaises ont « trop pesé » sur les entreprises ne tient pas. La dérive n’est pas française, ici, elle est allemande : c’est l’évolution des coûts unitaires allemands qui a été anormalement basse, conforme à un régime d’inflation nulle. « L’Allemagne a fait de la désinflation compétitive qui n’est pas cohérente avec l’objectif de cible d’inflation de la BCE », explique Sébastien Jean. Les Allemands n’ont donc pas « joué le jeu ». Ils ont gagné de la compétitivité-prix sur ceux qui l’ont joué.

En régime monétaire classique, l’appréciation de la monnaie allemande aurait compensé cette modération salariale. Mais dans la zone euro, il n’existe pas de correction pour ce type d’écarts. Il y a donc eu perte de compétitivité pour la France, malgré une évolution raisonnable des coûts. Cette conclusion confirme celle à laquelle parvenaient, début 2015, Costas Lapavitsas et Heiner Flassbeck dans leur ouvrage Against The Troika (éditions Verso) où ils mettaient en évidence la « normalité » de l’évolution française, le dumping salarial allemand et ses effets dévastateurs sur la zone euro.

L’insuffisance de l’explication par les coûts

Mais là encore, l’affaire n’est pas si simple. L’étude du CEPII estime que ce différentiel de coût du travail aurait dû conduire à une hausse des exportations allemandes par rapport aux françaises de 13 à 18 % sur la période allant de 1999 à 2008. Or, dans les faits, la différence est de 37 %. Il y a donc un autre facteur explicatif massif : dans le cas le plus extrême, seule la moitié de la perte de compétitivité par rapport à l’Allemagne s’explique par cet élément de coût du travail. Du reste, sur cette période, les exportations françaises perdent aussi du terrain par rapport aux exportations espagnoles, alors que la compétitivité-prix française s’améliore au regard de l’Espagne.

Il existe une autre preuve du caractère incomplet de cette explication. Depuis 2011, la croissance des coûts unitaires du travail français ralentit sous l’effet notamment des politiques décrites plus haut. Depuis cette même année, l’Allemagne a entamé une correction de ces coûts du travail qui croissent plus vite. La situation s’inverse donc. Le CEPII a calculé que, entre 2011 et 2017, sur la seule base de l’évolution des coûts unitaires, les exportations françaises auraient dû croître de 5 à 6 % de plus que leurs concurrentes allemandes. Dans les faits : les ventes allemandes ont crû de 7 % de plus que les ventes françaises. Cet écart ne saurait donc s’expliquer par des éléments de coûts.

Certes, l’étude du CEPII remarque que la politique allemande de dévaluation interne a été si violente que la résorption des écarts n’est encore que très partielle. « Le rattrapage récent ne représente qu’un quart de l’écart de coût unitaire cumulé entre 1995 et 2011 », explique Sébastien Jean. Il n’en reste pas moins que le caractère réduit du rattrapage n’apporte pas pour autant d’explications convaincantes à la poursuite de la perte de parts de marché face à l’Allemagne après 2011.

En observant dans le détail les coûts des entreprises manufacturières, on constate d’ailleurs que la correction est générale, que ce soit dans le secteur manufacturier lui-même ou dans celui des services intermédiaires, où les coûts du travail français ont perdu 6 % entre 2011 et 2015 par rapport à ceux de l’Allemagne. Cela remet également en question l’idée aussi souvent répandue que la France pâtirait de secteurs trop protégés de la concurrence. Cela induirait que les coûts de ces secteurs seraient trop élevés et pèseraient ainsi sur la compétitivité en causant des surfacturations aux secteurs exposés aux marchés mondiaux. Si cela a pu être vérifié sur quelques secteurs comme l’énergie ou le commerce de gros sur la période 1999-2011, ce n’est plus vrai entre 2011 et 2015, où les coûts de ces secteurs reculent. Il n’y aurait donc pas de rigidité qui empêcherait l’ajustement à la baisse des coûts et pèserait ainsi sur la compétitivité. Entre 2011 et 2015, les coûts du travail du commerce de gros français se sont ainsi réduits de 19 % par rapport à ceux de l’Allemagne.

Reste une hypothèse : ce que l’on appelle l’« effet d’hystérèse ». Ce terme, emprunté à la physique, traduit un phénomène qui dure lorsque les causes de ce phénomène ont cessé. Ici, il signifierait que le « dumping » salarial allemand a été si fort que toute correction serait désormais impossible : malgré la correction sur les coûts, les effets du passé continueraient à imposer des gains de parts de marché de l’Allemagne. Les chercheurs du CEPII repoussent cependant cette explication qui ne leur « semble pas sérieusement étayée » au regard des études actuelles et de la réalité de la main-d’œuvre. Ainsi, contrairement à ce que l’on entend souvent, les difficultés de recrutement dans l’industrie restent peu élevées et inférieures à celui des autres secteurs. Il semble donc possible de reconstruire un outil industriel, malgré le passé.

Le coût élevé d’une erreur politique

Réduire la question de la compétitivité à celle du coût du travail semble donc un double leurre. D’abord, parce que c’est l’absence de coordination des politiques de la zone euro qui a conduit à une perte de compétitivité-prix, pas une « anomalie de comportement » de l’économie française. La raison voudrait que l’on engage au plus vite une procédure de rééquilibrage, notamment en renforçant la demande interne allemande par de la relance et des investissements publics (qui sont hautement nécessaires outre-Rhin). Emmanuel Macron a jugé que, pour obtenir cette politique, la France devait d’abord « réformer », donc améliorer encore sa compétitivité-prix. Mais cette politique semble perdue d’avance au regard des résultats négatifs enregistrés depuis 2011. L’amélioration des coûts relatifs est réelle et les effets sont encore une dégradation de la compétitivité. La réponse du gouvernement est : « Il faut continuer et aller encore plus loin. » Comme le rappelait aux Échos le 11 décembre Édouard Philippe 3 : « L’objectif reste […] de réduire le coût du travail, d’être plus compétitifs. » Mais rien ne dit, et surtout pas les faits, que cette voie est « rationnelle ».

En réalité, cette logique d’ajustement des coûts est très périlleuse. Depuis 2011, elle s’est faite alors qu’il fallait consolider le budget. Il a donc fallu faire porter le double poids de la consolidation budgétaire et des cadeaux aux entreprises par des hausses d’impôts sur les ménages. C’est ainsi que le revenu disponible brut moyen des ménages a, selon une étude récente de l’OFCE, reculé de 1,2 % entre 2008 et 2016. La crise actuelle des « gilets jaunes » doit ainsi beaucoup à ces choix. Pour un résultat inexistant, donc.

L’Espagne, à sa façon, a mené une politique de compétitivité-prix cohérente en abaissant fortement ses coûts salariaux. Elle a certes regagné de la compétitivité et des parts de marché. Mais le pays est loin d’être un modèle : « C’est un exemple dramatique car l’Espagne vit depuis dix ans une crise économique et sociale d’une violence inouïe », rappelle Sébastien Jean qui souligne par ailleurs que le solde commercial espagnol est proche de celui de la France, autour de 3 % du PIB… Là encore, cette politique a eu un coût considérable pour un résultat économique global décevant. La France n’a certes pas besoin d’un tel ajustement à l’espagnole, mais ceux qui ne jurent que par la compétitivité-prix doivent bien méditer cet exemple d’outre-Pyrénées.

L’explication peu convaincante de la compétitivité hors-coût

Surtout, comme on l’a vu, le prix n’est bien qu’une partie du problème, sans doute pas majoritaire. Mais alors d’où vient la perte de compétitivité résiduelle ? La note du CEPII poursuit l’enquête. Elle écarte l’effet lié à la spécialisation commerciale. Autrement dit, la France se serait spécialisée dans des secteurs en déclin. Mais, selon l’étude, « le taux de croissance de la demande adressée est similaire entre les grands pays de la zone euro ». Autrement dit, les marchés d’exportation français n’ont pas été significativement moins dynamiques que les marchés d’exportation allemands ou italiens.

.Qu’en est-il alors du fameux « niveau de gamme » ? C’est là la réponse souvent apportée au problème de la compétitivité hors coûts. La France aurait un niveau de gamme trop faible par rapport à ses coûts de production : elle produirait des biens trop chers au regard de leur qualité. Et l’explication donnée à ce phénomène serait une faiblesse de l’investissement productif qui n’aurait pas permis de faire évoluer la gamme des produits. L’actuel gouvernement, à la différence de ses prédécesseurs, s’est emparé de ce sujet en prétendant favoriser l’investissement productif par des mesures de défiscalisation du capital et de ses revenus. C’est pour cette raison qu’Emmanuel Macron a rejeté toute remise en cause de la réforme de l’ISF et du prélèvement forfaitaire unique (PFU) après le « grand débat ».

Qu’en est-il exactement ? L’étude du CEPII identifie une légère baisse de la spécialisation des produits français qui « s’éloigne de celle de l’Allemagne et se rapproche de celle de l’Italie ». Mais les écarts entre la part des produits haut de gamme dans les produits exportés en France (40 %), en Italie (40 %) et en Allemagne (50 %) « restent similaires sur les deux dernières décennies ». On ne peut donc identifier une véritable dérive à la baisse des produits français.

De façon générale, Sébastien Jean se méfie d’ailleurs de cette notion globale de « compétitivité hors-coût » qui, affirme-t-il, est surtout une « mesure de notre ignorance ». C’est en effet une notion négative qui se définit principalement par tout ce qui n’est pas dans la compétitivité-prix. C’est donc vague et incertain, et il est bien délicat de fonder sur une telle notion une politique économique.

Un manque de financement et d’investissement ? Pas vraiment…

De fait, l’étude du CEPII se montre très sceptique quant à l’équation défendue par le gouvernement selon laquelle cette compétitivité hors-coût se serait dégradée faute d’investissement. Certes, les marges des entreprises françaises se sont légèrement dégradées entre 1999 et 2017 de 0,7 point tandis que celles des entreprises allemandes s’accroissaient de 1,5 point. Mais, prévient la note, « le lien entre marges et investissements n’est pas direct d’un point de vue théorique ». Rien de plus logique : on peut faire beaucoup de choses avec un profit en dehors de l’investissement, notamment lorsque, comme aujourd’hui, la valeur actionnariale est prégnante sur la gestion des entreprises. De la même manière, on peut aussi investir sans utiliser son profit, par de l’endettement. Bref, il y a dans ce supposé lien direct une vision assez primitive du capitalisme.

.De fait, le taux d’investissement global français est plus élevé que son équivalent allemand (22 % contre 20 % du PIB). Le CEPII s’intéresse cependant à sa composition car les entreprises françaises investissent beaucoup dans la construction, mais là encore, c’est peu probant puisque, en Allemagne, le taux d’investissement hors construction ne cesse de reculer à mesure que les exportations ne cessent de s’envoler. En revanche, il est vrai que les entreprises françaises investissent moins dans l’outil productif, mais pour le CEPII, c’est la conséquence du recul de la part de l’industrie manufacturière dans l’économie hexagonale plus que celle d’un choix raisonné. En revanche, la France investit plus que l’Allemagne dans « l’immatériel », autrement dit les logiciels, la recherche et développement, la propriété intellectuelle. Tous ces éléments posent de sérieux problèmes de comparabilité statistique. Mais leur importance en France devrait, en théorie, plutôt favoriser une augmentation de la qualité et de la productivité des exportations françaises. Et donc soutenir les ventes. C’est l’inverse qui se produit. « L’explication des performances commerciales de la France par la faiblesse de la compétitivité hors-prix est une interprétation qualitative qui ne peut pas prétendre s’appuyer sur des relations de cause à effet clairement établies », conclut l’étude du CEPII.

Certaines données macroéconomiques tendent à le confirmer : depuis 2013, les entreprises françaises se sont fortement endettées pour investir massivement avec un résultat nul sur le plan des exportations. Dans ce cadre, fonder aussi une partie de la politique économique sur cette logique douteuse semble donc bien peu rationnel.

En dernier lieu, le CEPII tente d’identifier le rôle des multinationales en France. L’économie hexagonale se distingue par la prédominance de très grandes entreprises et de très petites entreprises. Sébastien Jean précise que l’importance des multinationales en France n’est pas nouvelle : elle existait voilà vingt ans avant la dégradation de la compétitivité. Mais l’étude montre cependant que le phénomène s’est accentué au cours des deux dernières décennies. Et que les multinationales françaises ont accéléré les délocalisations de production pour ne conserver que les activités de R&D en France, avec l’appui de l’État via le Crédit impôt recherche (CIR).

Il faut rappeler que ce phénomène s’est effectué dans le cadre intellectuel d’un rêve de « société sans usine », pour reprendre les termes de l’ancien PDG d’Alcatel Serge Tchuruk en 2001. Les élites économiques françaises ont cru que les économies développées seraient désormais non industrielles et que l’on sous-traiterait la production aux économies émergentes. Grands patrons, hauts fonctionnaires, politiques se sont laissés bercés par ce songe et ont pris des mesures en conséquence. Ce discours n’a jamais pris en Allemagne qui a conservé des sites de production hauts de gamme tout en délocalisant une partie de sa chaîne de valeur, là où, en France, on délocalisait et sous-traitait tout. Le CEPII insiste particulièrement sur le cas de l’automobile. Ce secteur représente à lui seul pas moins du tiers de l’écart entre l’évolution des exportations françaises et allemandes. Et c’est celui qui a le plus pratiqué ces délocalisations de production au profit de la R&D.

Cette stratégie perdante a conduit à une perte générale de substance productive. Car lorsque les sites de production des grandes entreprises quittaient la France, les sous-traitants locaux qui dépendaient de ces sites ont souvent péri. Résultat : malgré l’amélioration des coûts du travail, les exportations françaises ne peuvent réellement repartir, faut de capacité suffisante. C’est en grande partie pour cette raison que la production industrielle française a stagné depuis 1999 alors que celle de l’Allemagne a crû de 40 % et alors que la crise de 2008 a été moins vive en France que dans la moyenne de la zone euro.

Changer de politique semble urgent, mais n’est pas à l’ordre du jour

Une fois ces éléments établis, on conçoit alors ce que les politiques prises pour améliorer la compétitivité ont d’absurde. Incapable de mettre en place une politique de coordination globale de la zone euro désormais hautement nécessaire, les gouvernements se sont d’abord principalement concentrés sur le coût du travail. Mais cette tentative de correction de la désinflation compétitive allemande des années 1995-2010 est hautement dangereuse sur le plan social et largement inefficace sur le plan économique. On a fragilisé les comptes publics pour réduire le coût du travail, principalement sur des bas salaires qui, selon le CEPII, ne pèsent au global pas plus de 9 % des coûts de production des secteurs exportateurs. Une stratégie qui, du reste, n’incitait guère à créer des emplois à forte valeur ajoutée et donc à une montée en gamme.

Sur cette dernière question, on s’est, parallèlement, foca sur les financements globaux des investissements globaux, alors que l’investissement était déjà fort et que les financements sont abondants. Aujourd’hui, le gouvernement prétend mener une politique industrielle centrée sur l’innovation. Mais la question n’est pas l’investissement et l’innovation, c’est bel et bien les capacités de production sur le territoire français. Et l’absence de ces capacités de production est le fruit d’une stratégie des grandes entreprises françaises. Donner plus de fonds à ces dernières revient donc, pour la compétitivité du pays, à remplir le tonneau des Danaïdes.

Sébastien Jean affirme qu’il existe cependant encore des moyens de mener une politique de compétitivité. Mais, pour lui, cela nécessite de changer de logique. « Il faut cesser de penser que retenir la R&D suffit, il faut redonner à la France de l’attractivité en tant que terre de production », explique-t-il. Le « grand débat » aurait pu être l’occasion de remettre cette politique à plat et de redéployer les immenses subventions accordées au nom de la compétitivité à cette refondation de la substance productive française. Sans doute peut-elle aussi passer par des mesures de soutien, mais, compte tenu des limites des stratégies des multinationales françaises, elle doit également passer par une vraie politique industrielle et par la mise en place de contre-pouvoir dans l’entreprise.

Autant de pistes que le gouvernement actuel refuse d’emblée, faisant de l’actuel débat une nouvelle occasion manquée pour la politique économique française. Et alors se dresse une autre hypothèse : que la question de la compétitivité ne soit qu’un prétexte à la destruction du modèle social français.

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2) Commentaire Hervé Debonrivage

Bon article démontant la fable des coûts salariaux supposés trop élevés en France plombant la compétitivité.

La faiblesse de l’investissement notamment industriel en France est bien mise en lumière induisant une atteinte à la compétitivité.

Néanmoins, cet article comporte quelques lacunes.

1) On peut regretter que l’article n’aborde pas la question de la productivité du travail.

Rappelons que la productivité mesurée par le PIB par heure travaillée était approximativement de même niveau en France qu’en Allemagne et qu’aux États-Unis qui sont les plus élevés du monde à structure économie comparable.

Pour plus de détails voir article :

http://piketty.blog.lemonde.fr/2017...

2) N’est pas vraiment abordée la question de la recherche-développement plus développé en Allemagne qu’en France. Sexy a augmenté de 75 % entre 2005 et 2016 en Allemagne atteignant 9 % du PIB.

Voir article : https://www.connexion-emploi.com/fr...

La France ne consacre que 2 % de son PIB à la R&D. Voir article des Échos : R&D : l’écart se creuse entre la France et l’Allemagne. https://www.lesechos.fr/20/02/2012/...

3) En fin d’article, est abordé beaucoup trop rapidement la question de l’investissement des entreprises du CAC 40.

Il faut rappeler que seulement 15 à 20 % des profits des entreprises du CAC 40 sont réinvestis dans l’appareil productif et que 80 à 85 % sont distribuées en dividendes.

Et cette situation n’est pas nouvelle et a tendance à s’aggraver depuis les années 1980–90.

Voir l’article : la distribution de dividendes contre l’investissement https://blogs.alternatives-economiq...

Rappelons qu’en 2018, le CAC 40 bat un record historique distribution de dividendes avec 57,8 milliards d’euros.

Selon le rapport d’Oxfam, les dividendes croissent 10 fois plus vite que les salaires en 2018.

Même des économistes libéraux non fanatisés tirent la sonnette d’alarme :

« Une chose est sûre, la priorité donnée à la création de valeur au profit de l’actionnariat et au détriment du travail ne semble guère être remise en cause dans le sérail feutré des grandes entreprises françaises. De nombreuses voix se sont pourtant récemment élevées pour réclamer une évolution de cette doctrine qui doit beaucoup à l’économiste néo-libéral Milton Friedman : c’est le cas du rapport Notat-Senard sur « l’entreprise, objet d’intérêt collectif », celui de l’ONG Oxfam sur les profits du CAC 40, de l’économiste Patrick Artus dans son dernier ouvrage Et si les salariés se révoltaient ? (Fayard, 2018), ou encore du rapport sur « l’entreprise post-RSE à la recherche de nouveaux équilibres » de l’Institut de l’entreprise… Mais pour l’heure, les cadors du CAC 40 font manifestement la sourde oreille »

Sources : https://www.liberation.fr/france/20... et https://www.oxfamfrance.org/inegali...

La compétitivité ne trouve pas sa source dans les idéalités de la sphère financière mais dans la matérialité de l’économie productrice de biens et de services.

Le fétichisme actionnarial des néolibéraux consistent à confondre la « productivité » (rentabilité) actionnariale avec la productivité du travail. Ceci constitue une expression du rapport de domination de classe du capital sur le travail, de la valeur d’échange abstraite sur la valeur d’usage concrète des marchandises. Ainsi, pour les théologiens libéraux, la compétitivité se mesure à l’aune de la pure rentabilité financière actionnariale. Mais peut-être que la culture industrialiste allemande fait mieux comprendre aux capitaliste d’outre-Rhin les limites de cette croyance.

Hervé Debonrivage


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