« La France doit s’engager pour une issue diplomatique au Venezuela »

mercredi 13 février 2019.
 

Dans une tribune au « Monde » cosignée par Jean-Luc Mélenchon, un collectif de personnalités de gauche milite pour une solution politique et pacifique.

L’heure est grave au Venezuela. Ce pays traverse la crise économique, sociale, politique et démocratique la plus dramatique de son histoire. Il est désormais menacé à très court terme d’une déflagration dont les conséquences seraient incalculables et déstabilisatrices pour l’Amérique latine, région jusque-là épargnée par les guerres.

Pourtant, dans ce contexte, la diplomatie française s’est de fait alignée par Tweet compulsifs d’Emmanuel Macron sur les positions les plus radicalement agressives promues par les Etats-Unis et leurs quelques alliés latino-américains.

Cet alignement aveugle n’est pas admissible tandis que s’installe en Amérique latine un climat de nouvelle guerre froide. Il faut prendre au sérieux les déclarations de Washington. A la question « les Etats-Unis envisagent-ils une intervention militaire ? » au Venezuela, le conseiller à la sécurité nationale de la Maison Blanche, John Bolton, n’a de cesse de répéter : « Toutes les options sont sur la table. » De fait, les ingrédients sont aujourd’hui réunis pour une escalade qui, si elle n’est pas arrêtée au plus vite, conduira au pire, à la violence, à la guerre civile, à la guerre tout court.

L’ingérence ne règle pas les crises

Le Venezuela est prisonnier d’un conflit civil qui a polarisé à l’extrême l’ensemble de la société et altéré l’Etat de droit et la démocratie. Il faudrait se positionner par rapport à une alternative faussement abstraite : faut-il soutenir le camp de Nicolas Maduro ou celui de Juan Guaido ? Faut-il soutenir celui du président constitutionnel mais contesté ou celui du président « par intérim » autoproclamé, dont la légitimité ne provient pas du suffrage universel ? En réalité, la question n’est déjà plus celle-ci. Ce dont il est question désormais, c’est de stopper d’urgence les logiques de surenchère et d’ingérence partisanes activées au nom de la « démocratie » et des droits de l’homme pour servir, in fine, une stratégie de « changement de régime ».

« Ce dont il est question désormais, c’est de stopper d’urgence les logiques de surenchère et d’ingérence partisanes »

Au Venezuela comme ailleurs, les résultats de cette approche sont connus d’avance. Les crises de cette ampleur, complexes et bloquées, ne se règlent jamais par la force, l’ingérence, l’interventionnisme direct ou indirect. L’histoire de ce premier quart de siècle entamé, de l’Irak à la Libye en passant par la Syrie, ne nous a que trop édifiés quant à cette question. Partout, toujours plus de chaos, de violence, de désordres, et toujours moins de démocratie, de paix et de prospérité.

Dans les circonstances inflammables du Venezuela, reconnaître Juan Guaido comme président « par intérim », comme l’ont précipitamment fait les Etats-Unis et les pays du groupe de Lima [14 pays américains œuvrant pour une sortie pacifique de la crise vénézuélienne], ne peut pas être une solution. Cet adoubement aggrave les problèmes et promeut l’installation d’un système de double légitimité politique insoutenable. Il constitue une négation majeure des principes de base de l’ordre public international. En adoptant cette démarche, la France souscrit à un processus dangereux qui menace en réalité l’intégrité et la souveraineté du Venezuela, ainsi que la stabilité de l’Amérique du Sud. On le connaît notre gouvernement, moins exigeant devant l’Arabie saoudite ou l’Egypte du maréchal Sissi, pour ne citer qu’eux !

Nous appelons le gouvernement à changer de voie

Cette option partisane a déjà coupé la France du rôle de médiation pour lequel elle pouvait être attendue et utile. Ainsi la foucade du président de la République a ôté en réalité à notre pays toute possibilité de jouer un rôle réellement indépendant dans la résolution de ce conflit. Pourtant, ni le conseil des affaires étrangères de l’Union européenne, regroupant les ministres des Etats membres, ni le Conseil de sécurité de l’ONU n’ont accepté d’entrer dans cette escalade.

Une représentation de notre gouvernement était annoncée à Montevideo (Uruguay) jeudi 7 février pour la première réunion du groupe de contact international sur le Venezuela, conjointement organisée par l’Uruguay et l’Union européenne, en présence d’une dizaine de pays latino-américains et européens aux positions diverses sur le sujet.

« Les divergences d’appréciation sur la politique gouvernementale au Venezuela sont connues. Elles ne peuvent justifier le refus des solutions pacifiques et démocratiques »

Nous appelons le gouvernement à changer de voie et à y soutenir toutes les positions qui s’exprimeront en faveur d’une solution politique et pacifique au Venezuela strictement respectueuse de la charte des Nations unies. C’est le rôle que devrait avoir, ici comme ailleurs, ladite communauté internationale, qui ne saurait se réduire à la politique du fait accompli imposée par les Etats-Unis et leurs alliés suivistes au rang desquels il faut hélas aujourd’hui compter la France. S’engager pour une issue diplomatique n’est pas une utopie, mais une condition de la paix durable au Venezuela et en Amérique latine.

L’heure est venue de donner toute sa chance à cet agenda. Les divergences d’appréciation sur la politique gouvernementale au Venezuela sont connues. Elles ne peuvent justifier le refus des solutions pacifiques et démocratiques. Que les adversaires de Nicolas Maduro qui se disent amis de la démocratie montrent qu’ils peuvent être solidaires d’un ennemi au nom des principes pour lesquels ils le combattent. La brutalité et la guerre sont toujours les pires options. Il y a toujours le choix. Montrons la voie. Il en va de la crédibilité, de la responsabilité et de l’indépendance de la France sur la scène internationale. Et c’est là notre plus grande force devant les peuples du monde.

Eric Coquerel, co-coordinateur du Parti de gauche ; Bastien Faudot, animateur national de la Gauche républicaine et socialiste (GRS), conseiller départemental de Belfort ; Jean-Luc Laurent, coordinateur GRS, ancien député, élu du Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne) ; Marie-Noëlle Lienemann, sénatrice (GRS) de Paris ; Emmanuel Maurel, député européen, animateur national de la Gauche républicaine et socialiste ; Jean-Luc Mélenchon, président du groupe La France insoumise à l’Assemblée nationale ; Danielle Simonnet, co-coordinatrice du Parti de gauche ; Younous Omarjee, député européen (L’Union pour les Outremer).

Et les députés LFI Ugo Bernalicis, Alexis Corbière, Caroline Fiat, Bastien Lachaud, Michel Larive, Danièle Obono, Mathilde Panot, Loïc Prud’homme, Adrien Quatennens, Jean-Hugues Ratenon, Sabine Rubin, Bénédicte Taurine.


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