Heures supplémentaires : belle victoire des Kronenbourg et première défaite du sarkozysme triomphant

dimanche 10 juin 2007.
Source : L’Humanité
 

La France qui trime trop se rebiffe bien

Au cours d’une grève, massive et inédite, entamée en début de semaine, une écrasante majorité de salariés de Kronenbourg contestent les heures supplémentaires

Aux portes d’un charmant patelin, au coeur de l’Alsace naturellement, suggèrent les clichés, portée sur le bleu, dans une brasserie qui plus est - l’historique Kronenbourg -, le sarkozysme triomphant essuie peut-être son premier revers. Sur le terrain de la fumeuse « valeur travail », dans les faits, en pratique, et loin des faux-semblants idéologiques (« travailler plus pour gagner plus ») qui servent à masquer, un temps, les ordres du capital. Depuis le début de la semaine, une écrasante majorité des 650 salariés en CDI, accompagnés par une centaine de précaires sous contrats saisonniers et intérimaires, se sont mis en grève pour dénoncer les heures supplémentaires obligatoires. La direction envisage de contraindre ses ouvriers à travailler plus longtemps afin d’absorber, sans augmenter les effectifs, le volume de production transféré à Obernai l’année dernière après la cession par Kronenbourg de sa brasserie lorraine de Champigneulles. Derrière leur cahier de revendications, les salariés ne demandent au fond qu’une chose, claire comme de l’eau de roche : ne plus perdre leur vie à la gagner.

Bulles de la direction

Face à cette irruption sans précédent chez Kronenbourg, la direction du groupe, désormais contrôlé par des fonds de pension anglais et américains, fait la sourde oreille, à l’instar, au fond, du nouveau gouvernement. Mercredi soir, après avoir pointé devant la presse les voitures, déjà très luxueuses à ses yeux, dans lesquelles les ouvriers débarquent à l’usine (Libération d’hier), elle a démontré qu’elle ne comprenait rien au cri de colère de ses salariés, en apportant une réponse purement pécuniaire à des exigences portant sur la reconnaissance et sur les conditions de travail : une prime de 1 500 euros en cas de reprise immédiate du travail et si les objectifs de production sont réalisés, ainsi qu’une réduction du nombre d’heures supplémentaires obligatoires par an qui passeraient de cent heures à quarante-huit. Alors que, mercredi soir, l’intersyndicale CFDT-FO-CGT a, dans un premier temps, vanté cette « avancée partielle », les salariés l’ont vertement remise en place. « On est arrivé au portail, on a expliqué les propositions et on s’est fait descendre complètement », confie, sourire aux lèvres, André Tillard, délégué syndical central CGT. Jeudi matin, à bulletins secrets, les ouvriers des équipes qui tournent en trois-huit ont voté à 94 % pour la poursuite de la grève. Plus déterminés que jamais.

Rêves de fuite

Malentendu pour la direction, mystère pour les syndicats et miracle pour les salariés. « Chez nous, les gars, ils s’en foutent un peu du fric, résume un des ouvriers. Ce qu’on veut, c’est avoir du temps à nous, souffler un peu, ne pas voir nos familles que le dimanche. Si demain, la direction nous répond sur les conditions de travail, le mouvement s’arrêtera tout seul ! » À l’initiative de l’appel qui a tout déclenché lundi dernier, Jean-Marc Schneider réfléchit : « On sent cette grogne monter depuis des années. Ceux qui ne sont pas d’accord avec ce qui se passe actuellement, ils sont tous descendus ; ceux qui trouvent que tout va bien, qu’ils continuent à travailler ! On a été époustouflés par le résultat, c’est vrai. Pendant des années, on a lancé des mouvements et on se retrouvait à quatre ou à cinq. Mais là, tout le monde est dehors et la production est complètement arrêtée. » Et Jean-Marie Labiau, délégué FO, de préciser : « Le pus était en train de pourrir. La douleur dissimulée dans le personnel s’est propagée. Quand on a appris que désormais les heures supplémentaires seraient imposées, et non plus volontaires, on a pensé que la direction était à côté de ses pompes. Dans ces conditions, certains pourraient se retrouver contraints de travailler jusqu’au dimanche matin, tout en revenant bosser le lundi à l’aube. »

Dans cette usine, où la moyenne d’âge culmine à quarante-sept ans, les plus âgés ne rêvent, tout le monde l’admet, que de s’enfuir, prendre la porte dès que possible, vers les cinquante-six ans et à tout prix. Secrétaire CFDT du comité central d’entreprise, Éric Scheidecker confirme : « On n’a plus envie de se donner, c’est vrai, en vieillissant, mais cette propension générale est encore accentuée chez nous par les méthodes de la direction. Ces gens-là ne raisonnent que par ratio : on doit faire tel volume de production et on va utiliser des salariés transformés en robots afin de réaliser les objectifs. Obnubilés par les dividendes à verser aux fonds de pension anglais et américains qui tiennent désormais le groupe, ils ne pensent absolument plus au facteur humain. »

Thomas Lemahieu 8 juin 2007


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message