1967-2017 : les émeutes de 1967 divisent toujours Hongkong

jeudi 1er novembre 2018.
 

Cinquante ans après, témoins et chercheurs s’affrontent toujours sur le sens à donner aux troubles qui ont secoué la colonie britannique.

Entre mai et décembre 1967, des ­émeutes firent 51 morts et plus de 800 blessés à Hongkong. S’agissait-il de révoltes ouvrières face aux ­injustices sociales ­locales, ou d’une tentative pour renverser ­l’administration coloniale britannique ? Des émissaires zélés de la Chine voisine, alors en pleine révolution culturelle, sont-ils intervenus ? Cinquante ans plus tard, témoins et chercheurs s’affrontent toujours sur le sens à donner à ces événements et sur le rôle et les intentions ­ultimes de leurs instigateurs.

« Ennemis de classe »

Tout a commencé en mai, par une grève dans une fabrique de fleurs en plastique du quartier de San Po Kong. Mais le contexte était déjà en place. Un an auparavant, une légère augmentation du prix du ferry avait suscité des troubles violents, que les « gauchistes » (leftists, terme désignant à Hongkong les militants procommunistes) avaient failli soutenir.

« Selon mon impression, la première grosse émeute de 1967 fut davantage un mouvement spontané de colère et de frustration qu’un ­événement concocté par les communistes. (…) Je n’ai pas vu le moindre Petit Livre rouge, je n’ai pas entendu de chants communistes à ce ­moment-là », raconte Syd Goldsmith, employé du consulat américain, qui se retrouva bloqué au cœur des violences et vient de publier un ouvrage sur le sujet, Hongkong on the Brink (Blacksmith). « La première indication claire que Pékin soutenait les émeutiers ne vint qu’au bout de trois semaines, avec un éditorial dans le Quotidien du peuple », ajoute-t-il.

Dès lors, la révolte change de tournure. Des « ennemis de classe » sont identifiés comme hommes à abattre. Des milliers de bombes de fabrication artisanale sont posées dans Hongkong, générant une ambiance de terreur. En juillet, quelques centaines de militants communistes ­armés passent la frontière et attaquent un poste de police hongkongais, y tuant cinq policiers. En août 1967, le très populaire journaliste de radio Lam Bun, qui avait pris parti contre les émeutes, est brûlé vif dans sa voiture.

Les « leftists » au pouvoir

Très controversés, à peine étudiés à l’école, ces événements embarrassent encore les autorités. Au point que la quasi-totalité des archives gouvernementales liées à cet été sanglant ont disparu en 1997, lors de la rétrocession de Hongkong à la Chine. Pour Connie Lo Yan-wai, réalisatrice du récent documentaire Vanished Archives (« archives disparues »), c’est la preuve que la Chine communiste souhaite cacher la vérité sur ces faits.

Le journaliste Ching Cheong, spécialiste de cette période, souligne quant à lui que nombre de leftists de l’époque sont désormais au pouvoir. Plusieurs ont été décorés. Si certains ont fait amende honorable sur ces événements, d’autres amorcent leur autoréhabilitation. Une centaine d’entre eux se sont ainsi ­affichés devant la presse, début mai, lors d’une cérémonie au cimetière de Wo Hop Shek, où sont enterrés seize ouvriers morts au cours de l’été 1967. Il y fut affirmé que ces morts étaient des « martyrs patriotiques et non des voyous », que les émeutes de 1967 étaient « justes » dans leur intention car elles visaient « l’exploitation capitaliste et la suppression impérialiste », et qu’il était temps que la société leur ­accorde honneur et reconnaissance.

Une réécriture de l’histoire d’autant plus audacieuse que, jusque dans les années 1990, le Parti communiste chinois lui-même considérait ces événements comme des « erreurs ». Ce retour en grâce des gauchistes hongkongais de 1967 a pris de court le Parti : selon Ching Cheong, Pékin aurait donné consigne de ne pas trop communiquer sur ce sujet d’ici au 1er juillet, date de la visite historique du président Xi Jinping à Hongkong.

Florence de Changy (Hongkong, correspondance)


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message