La laïcité en question(s), par Gérard BOUCHET (Compte-rendu de lecture)

jeudi 20 septembre 2018.
 

Notre ami Gérard Delfau vient d’enrichir la collection Débats Laïques qu’il dirige d’un petit ouvrage bien utile, dû à Gérard Bouchet, ancien formateur en Ecole Normale puis IUFM, élu municipal, et président de l’Observatoire de la Laïcité Drôme-Ardèche.

En 48 questions (soit 50 avec l’introduction et la conclusion), il fait le tour des problèmes soulevés autour de (et par) la laïcité. Questions orientées, bien sûr, et destinées à préparer les réponses de l’auteur. C’est classique, mais très pédagogique ; jamais lourd, du fait de la brièveté de chaque réponse, et appuyé sur une documentation sérieuse : on appréciera notamment le rappel des positions de l’Eglise catholique au fil des siècles, citations précieuses à l’appui.

L’ouvrage comprend deux parties : « connaître et comprendre », et « mettre en œuvre » la laïcité. Disons-le d’emblée : on ne trouve globalement rien à redire sur ces deux parties. Ni laïcité adjectivée, ni accommodements raisonnables, ni multiculturalisme anti-universaliste ne trouvent grâce aux yeux de l’auteur, aussi ferme dans ses convictions que posé dans son expression. Le test des « parents accompagnateurs de sorties scolaires » est positif. Il est un peu dommage que la question de la neutralité en entreprise privée soit expédiée, avec une citation mal choisie de la Cour de cassation(1) : mais chacun sa spécialité, après tout. En revanche, sur la laïcité scolaire, il ne manque pas un bouton de guêtre : tout est dit, sans concession, comme sans polémique stérile.

On apprécie de lire que la neutralité ne doit pas être confondue avec la pluralité, et que « la laïcité est autre chose que l’œcuménisme et la tolérance réciproque » entre religions, ce qui revient à exclure les agnostiques et les athées de toute existence civile. La question 42 est l’occasion d’une remarque subtile, et essentielle : la laïcité c’est « aucun » culte, et non pas « tous » ! En même temps, le principe de libre exercice des cultes justifie la critique du projet gouvernemental d’organisation du « culte musulman » -affaire des musulmans eux-mêmes, et non de l’Etat.

Notre critique essentielle, très sectorielle, portera sur l’usage du terme « espace public », opposé à « espace privé » (question 25). Il ne faut en effet pas confondre « l’espace public » (qui comprend, a dit le législateur, tous les lieux « ouverts au public »), dans lequel s’exercent, dans les seules limites de la loi, les libertés publiques et privées, et « la sphère publique » (collectivités, établissements et services publics), dans laquelle s’applique le « principe de laïcité ». De même, tout ce qui ne ressortit pas à cette sphère publique, et que Catherine Kintzler (citée dans la bibliographie) nomme plus justement « espace de la société civile », ne peut être réduit à l’espace familial, voire intime. Confusion juridique et, croyons-nous, philosophique, sur la portée de la laïcité et ses espaces.

Par ailleurs, on se permettra de trouver aventureuse l’idée qu’il existerait une morale dont les principes seraient « communs aux croyants et aux agnostiques » -ce que dément, dans l’ouvrage même, le rappel critique des positions –à dimension éthique- de l’Eglise sur le mariage entre personnes du même sexe ou la fin de vie. Heureusement, la référence à Kant sauve tout à nos yeux !

Autre désaccord de notre part : la question 36 est l’occasion d’une discussion –certes savante- sur l’obligation ou non du port du voile par le Coran : question oiseuse, car le droit de manifester sa religion est purement déclaratif (tous les juges en conviennent). Et un laïque n’a pas à se faire l’interprète des textes dits « sacrés ». En revanche, le caractère politique de l’offensive islamiste autour du voile, dès la fin des années 80, est à juste titre souligné. Gérard Bouchet est ouvert et cultivé, mais non naïf ! Bien inspirées sont les formules qui concluent -toujours à propos du voile- : « La servitude, même volontaire, reste une servitude. Et la laïcité n’accepte pas la servitude. »

Saluons les « jalons dans l’histoire de la laïcité » présentés en annexe, rappels historiques bien nécessaires. On regrettera tout au plus la confusion entre « Concordat » et « articles organiques », l’oubli de la soumission de l’école à l’Eglise par la loi Guizot de 1830, et celui du régime sévère des congrégations dans celle de 1901 sur les associations.

Enfin, quelques égratignures sur les patronymes demandent à être corrigées : Pierre TévAnian (p. 114, note) ; Guy Coq (et non Cocq, p. 146, note) ; rapport Clavreul (et non Chevreuil, p. 151, note) ; Martine (et non Muriel) Cerf (p. 225, bibliographie).

En tout cas, voilà une lecture qui ne nous a pas déçus, un format opérationnel, un ouvrage à recommander, qui nous montre que la laïcité reste, non seulement un cadre juridique, mais une idée philosophique et politique, une ouverture permanente au débat pour l’émancipation.

Charles Aramburou

Note(s)

1. ↑ Si l’interdiction de porter un foulard islamique dans le règlement intérieur d’un organisme privé ne constitue pas une « discrimination directe », ce n’en est pas moins une « discriminations indirecte » : mais elle peut être admise si elle correspond à « un objectif légitime, tel que la poursuite par l’employeur, dans ses relations avec ses clients, d’une politique de neutralité politique, philosophique ainsi que religieuse »


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