Le 2 mai 2006, la loi Sarkozy Clément sur l’immigration sera en débat à l’Assemblée nationale

lundi 24 avril 2006.
 

La promesse d’une nouvelle loi sur l’immigration et l’asile, trente mois après l’adoption d’un premier texte, doit interroger quant à l’objectif recherché. C’est, nous assure-t-on, une nécessité pour doter la France d’une immigration choisie. Ce terme, très discutable dans ce qu’il comporte de stigmatisation à l’égard de centaines de milliers de nos compatriotes et de leurs enfants originaires de pays tiers et venus nous rejoindre depuis les années 60-70, ne saurait de toute manière résoudre la question de l’asile, l’une des expressions les plus fondamentales et les plus tenaces de la solidarité humaine. A moins que certains ne veuillent définitivement tourner la page d’une liberté et d’un droit essentiels, à la base même de l’idée originelle de la construction européenne et garantie par la Convention de Genève, regroupant la signature de près de cent cinquante pays dans le monde. C’est de quoi peuvent légitimement s’inquiéter les défenseurs des droits de l’homme en consultant le bilan officiel de la situation de l’asile en France produit par l’Office de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra).

Avec 8,2 % (4 184 octrois de protection) l’an passé, le taux de reconnaissance au statut de réfugié délivré par l’Ofpra n’a jamais été aussi faible en valeur absolue depuis vingt ans. Pour aboutir à ce chiffre, les procédés sont multiples : refus d’enregistrement, absence de convocation systématique des demandeurs alors que la loi de 2003 lui en fait obligation, augmentation de la proportion des affaires traitées en procédure prioritaire, augmentation spectaculaire du taux d’annulation des décisions de l’Ofpra par la Commission de recours des réfugiés, augmentation des demandes de réexamen.

A l’heure actuelle, tous les indicateurs permettant d’apprécier la qualité des décisions rendues par l’Ofpra sont au rouge : cet organisme, qui est à l’origine un office de protection se comporte en pratique, depuis quelques années, comme un office dont la mission consisterait d’abord à démasquer les fraudeurs, puisque tout demandeur d’asile est désormais présumé fraudeur en puissance.

Pour ne développer que quelques exemples, la réduction du délai de présentation du dossier de demande d’asile de 30 à 21 jours, outre les refus d’enregistrement qu’il engendre, a pour conséquence d’empêcher toute personne qui ne maîtrise pas notre langue et ne dispose pas d’un appui juridique et social de déposer un dossier solide. Nous avons depuis longtemps démontré que les demandeurs d’asile pris en charge dans des structures spécialisées obtiennent la protection de la France dans des proportions de deux à quatre fois plus élevées que lorsqu’ils sont livrés à eux-mêmes face aux multiples obstacles de la procédure. Encore faudrait-il qu’ils puissent majoritairement accéder à ces structures.

En 2005, seuls 20 % d’entre eux ont pu exercer ce droit. Et il ne s’agit pas ici que d’un problème de places d’hébergement disponibles. 23 % des demandeurs d’asile ont été, en 2005, placés en procédure prioritaire, c’est-à-dire qu’ils ont vu leur dossier examiné en quinze jours, souvent sans être convoqués pour un entretien et sans pouvoir prétendre au moindre soutien. Le résultat est préoccupant puisque seul 2 % des demandeurs placés dans cette situation ont obtenu gain de cause. Fort opportunément, en annulant près d’une décision sur cinq de l’Ofpra, la juridiction de recours a accordé 9 137 décisions d’admission. Mais ce chiffre accentue le malaise. Le fait que la Commission des recours soit désormais à l’origine de 2,3 fois plus de décisions d’admission que l’Office pose évidemment un problème majeur d’équilibre entre les deux institutions et de confiance à l’égard de l’Office que la réforme de 2003 a un peu plus conforté en usine à rejets. Il n’est pas sain pour l’équilibre institutionnel de la procédure d’asile en France d’obliger les demandeurs à aller devant le juge pour obtenir ce que l’administration devrait accorder si elle appliquait convenablement la loi.

Le résultat de tout cela est que la machine à fabriquer de faux déboutés tourne actuellement à plein régime, faute d’examen suffisamment approfondi. L’Ofpra souligne ainsi que 55 678 déboutés supplémentaires ont été fabriqués en 2005, ce qui en porte le nombre à 184 527 depuis 2001 ! Quand on rappelle qu’au mieux 20 000 à 25 000 décisions d’éloignement du territoire seront exécutées en 2006 et que ceci constitue un plafond techniquement impossible à dépasser, on voit bien que la réforme de 2003 est une réforme purement incantatoire qui aboutit à augmenter le nombre de clandestins et de sans-papiers, selon un cycle sans fin, et que la loi Ceseda, loi de circonstance, visant moins l’intérêt général qu’un certain électorat, va encore aggraver. Au passage, le droit d’asile en sort gravement affaibli.

Ce n’est pas exactement l’idée que nous nous faisons du rôle de la loi, de la France, patrie des droits de l’homme et de la mise en oeuvre d’une convention internationale majeure en terme de dignité de la personne humaine !

Pierre HENRY et Jacques RIBS directeur général et président de France Terre d’asile. (article paru dans Libération)


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