Europe : Comment le traité Sarkozy enterre le « Non » français

vendredi 1er juin 2007.
 

Pendant toute la campagne présidentielle, Sarkozy a fait mine de vouloir respecter le Non français. Dans le débat d’entre deux tours, il ira même jusqu’à reprocher à Ségolène Royal de vouloir ramener la Constitution européenne en proposant de consulter à nouveau les Français par référendum. A l’inverse, son « mini-traité » ratifié par le Parlement était censé tourner la page de la Constitution. Le bal des puissants de l’Europe du Oui qui s’organise depuis quelques semaines autour de Sarkozy montre au contraire que ce changement de forme n’est là que pour maintenir le cap de fond d’une construction européenne libérale et anti-démocratique. Le traité Sarkozy est ainsi en train de s’intégrer utilement dans la stratégie de tous ceux qui veulent que l’Europe continue sur les mêmes rails. Une entourloupe que la gauche gagnerait à placer au cœur du débat des élections législatives.

La méthode Sarkozy pour contourner le non

« Ce soir, la France est de retour en Europe ». Personne n’a vraiment relevé la portée très ambiguë de ces déclarations de Sarkozy le soir de son élection. Vues depuis l’Europe du Oui, ne signifiaient-elles pas clairement que son élection allait marquer la fin de la « parenthèse » du Non français ouverte en 2005 ? Pour cela, Sarkozy fait comme si l’élection présidentielle avait représenté un deuxième vote européen des Français après celui du 29 mai 2005. Il affirme en effet carrément qu’il a obtenu du peuple français « un mandat pour négocier un traité qui sera ratifié par le Parlement ». En votant pour lui, les Français auraient ainsi décidé d’abdiquer par avance leur droit de se prononcer sur un nouveau traité européen dont ils n’ont pourtant qu’une idée très floue. D’autant que la seule conclusion que Sarkozy prétend retenir du Non des Français est purement formelle. Peu importe le contenu, mais « cela ne peut pas être une Constitution, les Français ont dit non » (avec Barroso le 23 mai). Incroyable détournement du sens du vote du 29 mai qui fait comme si les Français avaient dit non ce jour-là au principe même d’une Constitution, sans se préoccuper du contenu politique du texte. Une fois de plus, Sarkozy est pris en flagrant délit de camouflage de tout ce qui pourrait le ramener au débat sur le libéralisme. Et en bon militant du Oui, Sarkozy ne manque pas de reprendre à propos de son traité simplifié la rhétorique de « la seule solution possible » (avec Barroso le 23 mai), pour mieux étouffer toute velléité de solution alternative.

Le traité simplifié : continuer la Constitution par d’autres moyens

L’activisme diplomatique de Sarkozy en direction des gouvernements des principaux pays du Oui (Allemagne, Espagne, Italie) et des chefs des institutions européennes (présidents de la Commission et du Parlement européen) vise à les persuader qu’ils peuvent conserver le fond libéral de leur projet pour l’Europe pour peu qu’ils acceptent d’en changer la forme en guise de concession de pure forme au Non français. Tous n’avaient pas saisi la manoeuvre et avaient même commencé, comme Prodi ou le président SPD de la Commission constitutionnelle du Parlement européen, à dénoncer le « mini-traité inacceptable ». Sarkozy était même désormais suspect de conversion aux arguments du non du fait de la tonalité très eurocritique de sa campagne électorale. Voyant le danger d’être incompris, Sarkozy a immédiatement envoyé les signaux nécessaires pour rassurer l’Europe du Oui.

Le « mini-traité » est ainsi devenu subitement un « traité simplifié », formule qui a le mérite d’afficher une continuité avec le projet de constitution, qu’il n’est plus question de remplacer en tant que tel mais de « simplifier ». Même si très peu de commentateurs ont alors relevé ce glissement, les principaux intéressés ne s’y sont pas trompés et ont commencé à réviser leurs appréciations sur le projet de traité Sarkozy. L’Allemagne n’est plus opposée à un traité simplifiée pourvu que la « substance » du traité constitutionnel soit préservée. Cela tombe bien, c’est exactement ce qu’explique dans le détail l’émissaire officieux envoyé par Sarkozy pendant la campagne, le député UMP Pierre Lequiller, qui explique que le traité Sarkozy vise à simplifier « sans perdre l’essence » du traité constitutionnel. L’Italie a aussi embrayé en saluant désormais la volonté de Sarkozy de « renforcer les institutions européennes » et de « conforter notre vision de l’Europe », autrement dit de continuer dans la même voie. Même son de cloche du côté du président du Parlement européen Hans Pöttering qui a désormais bon espoir qu’avec la proposition Sarkozy, le Conseil européen de juin puisse aboutir à « une solution marquée par la stabilité » (suite à sa rencontre avec Sarkozy le 22 mai 2007). Le message le plus clair est enfin venu de la Commission elle-même qui a confirmé par la bouche de son président Barroso (23 mai) que le projet Sarkozy était une bonne base pour aboutir à « une formule qui puisse répondre aux préoccupations qui sont les nôtres de sauvegarder beaucoup d’aspects de la substance du traité constitutionnel, et en même temps montrer que nous avons écouté les préoccupations de ceux qui n’ont pas voulu le traité ».

Ajustement sur la forme et continuité sur le fond, les partisans du Oui n’ont donc pas renoncé à un seul de leurs objectifs initiaux, comme l’a d’ailleurs rappelé Barroso lui-même dans la suite de sa déclaration : « Nous soutenons les valeurs, les principes, l’acquis du traité constitutionnel. » Les stratèges du Oui sont même en train de réaliser que le projet Sarkozy de traité simplifié peut faire consensus avec les plus eurosceptiques des libéraux européens (Pologne, Royaume-Uni, République tchèque) dans la mesure où il sauve l’essentiel qui est leur plus petit dénominateur commun : le cours libéral de la construction européenne. Pour cela, la présidence allemande est en train d’inventer un système d’Europe à la carte dit « opt-in, opt-out », qui serait greffé sur le traité Sarkozy et permettrait des avancées optionnelles sur le modèle de l’Euro. Rien de tel, pour diluer encore plus l’Europe en un simple grand marché, aggraver l’impuissance publique européenne et empêcher tout essor d’une souveraineté populaire européenne.


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