Concessions hydrauliques. Un barrage citoyen contre la privatisation

dimanche 5 août 2018.
 

Là où les gouvernements, de gauche comme de droite, avaient jusqu’ici joué la montre, Emmanuel Macron n’a pas hésité à ouvrir en grand les vannes à la privatisation des concessions hydrauliques, détenues jusqu’à présent par EDF à 80 % et par Engie (via la CNR et la Shem) à 15 %.

Non à la privatisation des barrages hydroélectriques (Jacques Serieys) !

1) Concessions hydrauliques. Un barrage citoyen contre la privatisation

C’est en février dernier, lors d’une rencontre à Matignon, que les syndicats ont découvert le pot aux roses. L’État, sans concertation, a décidé de devancer l’appel et mis sur la table de la Commission européenne des propositions permettant l’accélération de la mise en concurrence, avec calendrier à l’appui. «  Il a été avancé à fin 2018. C’est-à-dire demain. D’ici à 2022, ce sont 150 barrages sur les 400 en France qui pourront être livrés à l’appétit du secteur privé  », tonne Dominique Pani, animateur des questions hydrauliques à la FNME CGT. Présent hier à Corps, aux abords du barrage de Sautet, le syndicaliste répondait à l’appel du PCF Isère, initiative qui avait mobilisé une foule importante afin de constituer une chaîne humaine pour dire non à cette privatisation. Outre le PCF, le collectif citoyen Hydro, Attac et la CGT avaient fait le déplacement afin de répondre à une action aux répercussions nationales. Pierre Laurent, secrétaire général du PCF, était lui-même sur place  : «  L’idée, pour nous, est de lancer un appel à la mobilisation pour mettre sous protection citoyenne nos barrages. Il y a une vraie offensive gouvernementale contre les services publics, la SNCF, le service hospitalier et bientôt notre système de production électrique.  »

Protection citoyenne, car le gouvernement n’a pas hésité à répondre favorablement à la Commission européenne et sa volonté affirmée de voir, au nom de «  la concurrence libre et non faussée  », le patrimoine hydroélectrique français bradé sans contrepartie. En effet, Bruxelles met avant l’argument de la position dominante d’EDF sur le marché global de l’électricité pour justifier sa demande. L’hydraulique, première énergie renouvelable de France

La France, les doigts sur la couture du pantalon, va devenir ainsi le seul pays européen à accepter ce marché de dupes  ! Ni l’Allemagne, ni la Norvège, pourtant premier producteur d’énergie issue de l’hydroélectricité, n’ont accepté de suivre les desiderata de la Commission européenne. Ce sera une première dans la politique française. Même Nicolas Sarkozy, qui avait avancé en 2010 la possibilité de mettre sur le marché une cinquantaine de barrages, avait rangé l’idée dans sa poche.

Sous le quinquennat de François Hollande, la loi sur la transition énergétique ouvrait bien la voie à la privatisation de l’hydraulique, mais laissait malgré tout la possibilité à EDF et Engie de prolonger les concessions contre travaux. Cette fois, que nenni et, pis encore, l’électricien public ne pourra pas postuler à plus de 60 % d’un lot hydroélectrique. Et pourtant, les enjeux sont énormes, tant d’un point de vue économique qu’écologique. L’hydraulique est en effet la première énergie renouvelable de France. Elle concourt pour 12 % à la production électrique et fournit au pays 70 % de son électricité renouvelable. EDF investit d’ailleurs chaque année 400 millions d’euros par an dans le renforcement de ses ouvrages. Que se passera-t-il avec le privé  ? Qu’adviendra-t-il des autres usages de l’eau  ? «  Ce sont des millions de mètres cubes bon marché fournis à la collectivité pour l’eau potable, l’irrigation… Un opérateur privé cherchera forcément à faire un maximum d’argent sur l’eau  », rappelle-t-on à la CGT FNME, avant d’ajouter  : «  Un gigawatt d’hydraulique coûte 1 milliard d’euros à construire, mais les barrages sont amortis depuis longtemps. Tout ce qui est produit aujourd’hui n’est que du bénéfice. Une véritable poule aux œufs d’or pour les repreneurs.  » D’or et de diamants, termine Dominique Pani  : «  Une centrale hydroélectrique peut répondre aux pics de consommation en quelques minutes. Imaginons qu’il y ait une forte demande. Un opérateur privé peut très bien retarder de quelques minutes le lancement afin que les prix montent sur le marché de gros et vendre ainsi plus cher.  »

Éric Serres, L’Humanité

En février, le gouvernement a confirmé qu’il entendait lancer des appels d’offres sur les barrages hydroélectriques. Une vente qui reviendrait à privatiser l’eau.

Peut-on laisser le privé gérer ce qui compte au nombre des principales réserves d’eau de France  ? Le débat crépite depuis que les projets de privatisation des barrages hydroélectriques français se précisent. Pris la main dans le sac par les organisations syndicales, l’État a admis, début février, qu’il entendait répondre positivement à l’injonction faite par l’Europe de céder une part de son patrimoine énergétique national. Depuis, le secteur est en ébullition. Hier, les hydrauliciens d’EDF ont multiplié les arrêts de travail à l’appel d’une intersyndicale CGT-CFDT-CGC-FO. Près de 500 agents se sont également rassemblés à Strasbourg, devant le Parlement européen.

Les acheteurs potentiels, eux aussi, se mettent en ordre de bataille, qu’ils soient européens (l’allemand E.ON, l’italien Enel ou encore le norvégien Statkraft sont sur le coup), internationaux (on évoque des groupes chinois et canadiens) ou encore français. Total et Engie sont entrés dans la danse, avec, selon le journal Libération, la bénédiction du gouvernement. Ce dernier espérerait ainsi contrecarrer l’accusation qui lui est faite de dilapider les bijoux industriels français. Peine perdue  : qu’elle bénéficie aux entreprises nationales ou pas, la vente se fera quoi qu’il en soit au détriment des usagers, dénoncent ceux qui s’y opposent.

«  Il faut se le dire une bonne fois pour toutes  : tout ce qui concerne l’eau doit rester dans le secteur public  », martèle Emmanuel Poilane, directeur de la fondation France libertés, laquelle a fait de la reconnaissance de l’eau comme bien commun un cheval de bataille. En d’autres termes, estime le militant, privatiser l’outil revient à privatiser la ressource, avec, dans le cas présent, des conséquences multiples.

Construits pour la plupart après guerre, les barrages hydroélectriques sont aujourd’hui au nombre de 433, principalement implantés en zones montagneuses.

À eux tous, ils comptent pour 12 % dans la production électrique nationale. Ils représentent, surtout, la première source d’électricité renouvelable française (contre 3,9 % pour l’éolien et 1,6 % pour le solaire). Ultime singularité, ils sont l’unique source de production électrique à permettre de caler, en temps réel, la production sur la demande  : il suffit d’ouvrir les vannes quand la demande augmente et de les fermer quand elle baisse, atout que ne possèdent ni le nucléaire, ni l’éolien, ni le solaire. «  À ce titre, reprend Emmanuel Poilane, les barrages hydro­électriques sont le principal outil de notre régulation énergétique.  »

Et pas uniquement. Qui dit barrage dit retenue. Et qui dit retenue dit pouvoir. Stock d’eau potable pour les populations, irrigation pour l’agriculture ou matière première pour l’industrie, les immenses lacs artificiels formés par les barrages sont des réserves d’eau stratégiques pour les territoires, administrées par les préfectures. Laisser le secteur privé, fût-il français, se mêler de la gestion de la ressource inquiète singulièrement ceux qui ont d’ores et déjà maille à partir avec lui. La semaine dernière, rappelle France libertés, les groupes Veolia et Saur ont de nouveau été condamnés pour avoir coupé ou réduit le débit d’eau dans des logements, habitude qu’ils ont faite leur, bien que la loi le leur interdise formellement. À cette aune, la perspective de laisser les multinationales manipuler les robinets des réserves d’eau nationales laisse perplexe. Selon les plans de l’État, 150 barrages pourraient être mis en vente dès 2018.

Marie-Noëlle Bertrand, L’Humanité


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