Proche-Orient : la loi qui révèle la vraie nature d’Israël

mardi 7 août 2018.
 

Le texte sur « Israël, Etat-nation du peuple juif » que vient d’adopter le parlement israélien change peu de choses aux discriminations et violences que les Palestiniens affrontent au quotidien. Mais il les inscrit dans la loi. Il livre la vérité sur le régime israélien qui a choisi d’être juif au prix de la démocratie… (Par René Backmann)

C’en est fini du camouflage hypocrite : le parlement israélien a adopté le 19 juillet une loi qui reconnaît la vraie nature de l’État d’Israël : nationaliste, ségrégationniste, raciste et communautaire. Par 62 voix contre 55, avec deux abstentions et un absent, la Knesset a approuvé un texte qui définit Israël comme « l’État-nation du peuple juif ». La loi proclame « le droit d’exercer l’autodétermination nationale dans l’État d’Israël est propre au peuple juif », déclare l’hébreu seule langue nationale, rétrograde l’arabe à un « statut spécial » et affirme que « Jérusalem entière et unifiée » est la capitale de l’État.

Ce document législatif qui confère « une valeur nationale » au « développement et à la consolidation d’implantations juives » entre dans la catégorie des « lois fondamentales » qui font, en Israël, office de constitution. C’est dire son importance historique.

Abolie, donc, la vieille fiction de « l’État juif et démocratique » telle qu’il était défini par la déclaration d’Indépendance. « Si l’État est juif, il ne peut être démocratique, observe dans Haaretz l’éditorialiste Gideon Levy, car il n’existe pas d’égalité, dans ce cas, entre les citoyens juifs et les citoyens non-juifs. S’il est démocratique, il ne peut être juif car la démocratie ne peut instaurer un privilège fondé sur l’ethnicité. Israël déclare qu’il est l’État-nation du peuple juif et non l’État de ses citoyens ou l’État des deux peuples qui vivent en son sein, poursuit Gideon Levy, il a donc cessé d’être une démocratie égalitaire, pas seulement en pratique, mais aussi en théorie. C’est pourquoi cette loi est aussi importante. C‘est une loi de vérité ».

Cette « loi de vérité », qui organise l’établissement de communautés séparées, fondées sur l’ethnicité ou la religion et crée les conditions d’une situation légale d’apartheid dénoncée par les défenseurs des droits humains, a été a adoptée après un débat incendiaire au terme duquel les 13 députés représentant la minorité arabe (près de 20 % de la population israélienne) ont quitté la salle après avoir déchiré le texte soumis au vote.

Le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou en mars 2018 © Reuters Le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou en mars 2018 © Reuters

« C’est la fin de la démocratie, a tweeté le député arabe Ahmed Tibi, membre de la Knesset depuis près de vingt ans. Et le commencement officiel du fascisme et de l’apartheid. Un jour noir. Un nouveau jour noir. » Yael German, député du parti centriste d’opposition Yesh Atid estime, de son côté, que « cette loi est une pilule de poison pour la démocratie ». « C’est une loi raciste », résume Dan Yakir, conseiller juridique de l’Association pour les droits civiques en Israël (ACRI).

Proposée et défendue par la majorité d’extrême droite, ultranationaliste et religieuse sur laquelle s’appuie Benjamin Netanyahou, elle a été combattue en vain par ce qui reste du centre et de la gauche dans ce parlement qui dérape un peu plus vers le culte de l’intolérance et de la violence à chaque élection. Un dérapage que Netanyahou, menacé par plusieurs poursuites judiciaires pour corruption et enrichissement illicite, se garde bien de contenir, multipliant au contraire les postures et propos démagogiques à l’encontre des Palestiniens et de leurs droits, pour conserver le soutien du noyau dur de ses partisans.

Même le président de l’État, Reuven Rivlin, pourtant membre du Likoud, – parti du premier ministre –, et le procureur général de l’État Avichai Mandelblit, ancien procureur militaire, ont manifesté leurs réserves ou leurs réticences. En vain. « Cette loi, a averti le chef de l’État, sera une arme entre les mains des ennemis d’Israël ». « Attention aux ramifications internationales », a insisté le magistrat. Ni l’un ni l’autre, manifestement, n’ont été entendus par le premier ministre et sa majorité de colons et de religieux, favorables à la ségrégation entre les citoyens juifs et arabes et partisans de l’annexion de la Cisjordanie occupée.

Il est vrai que depuis la reconnaissance par Washington de Jérusalem comme capitale d’Israël, puis le transfert de l’ambassade américaine de Tel-Aviv vers Jérusalem, et les multiples manifestations d’amitiés et signes d’encouragement prodiguées par Donald Trump, Netanyahou juge avoir les mains libres pour agir à sa guise. Ce dont il ne se prive pas.

Après avoir fait abattre par les tireurs d’élite de l’armée plusieurs centaines de Palestiniens non armés qui manifestaient le long de la barrière qui sépare Israël de la bande de Gaza, il a renforcé le blocus de ce territoire surpeuplé qui manque déjà de tout – à commencer par l’eau potable – avant d’ordonner des frappes aériennes contre des cibles du Hamas. Le tout dans l’impunité totale et l’indifférence quasi globale de la communauté internationale. Malgré le risque d’embrasement que les attaques du Hamas et les offensives israéliennes font peser sur la région.

Que peut changer la loi qui vient d’être adoptée à la solution de la question de Palestine ? Tout et rien.

Tout, car elle érige en principe constitutionnel de l’État d’Israël l’annexion de Jérusalem-Est, détruit la fiction d’un État égalitaire pour tous ses habitants, légalise la ségrégation résidentielle et la stratégie d’annexion, introduit l’idée selon laquelle les Arabes sont des intrus en Israël, nourrit les vieux projets de transfert et réduit à néant les dispositions du plan de partage définies par la résolution 181 des Nations unies et celles de la résolution 194 sur le retour des réfugiés.

Elle change tout aussi, car Benjamin Netanyahou, héritier idéologique du révisionniste sioniste Zeev Jabotinski, a dû apprendre de son mentor que les mots peuvent donner forme à la réalité. Personne, aujourd’hui, comme le fait observer Gideon Levy, ne peut donc plus feindre d’ignorer la vraie nature du projet du premier ministre et de sa majorité.

Pour les principaux intéressés, ce nouveau texte législatif ne changera rien. Ou pas grand-chose. Car pratiquement tout ce que la Knesset a gravé dans le marbre de la Loi fondamentale est déjà, en toute impunité, inscrit dans les faits. C’est la réalité qu’affrontent jour après jour, sur le terrain, les Palestiniens. L’inégalité entre les citoyens juifs et arabes – Palestiniens – de l’État d’Israël saute aux yeux dès qu’on parcourt les localités et les quartiers habités par les uns et les autres. Ici, les équipements, les services publics, les institutions d’un État moderne, là le délabrement, les carences, l’abandon de villes négligées et de faubourgs délaissés.

Jérusalem devenue dans sa totalité capitale d’Israël ? Pour l’heure, seule l’administration Trump l’a officiellement reconnue, mais Washington entend introduire cette donnée nouvelle dans son plan de paix. Et surtout comment ne pas voir que plus de 210 000 colons israéliens sont déjà implantés, à côté de 320 000 Palestiniens, à Jérusalem-Est, qui devait être, pour les partisans de la solution a deux États, la capitale de l’État de Palestine ?

Quant aux quelque 400 000 colons israéliens installés en Cisjordanie, n’incarnent-ils pas déjà, en violation du droit international et en toute impunité, cette « valeur nationale », mentionnée au point 7 de la nouvelle loi, en vertu de laquelle l’État doit « encourager et promouvoir » le développement des colonies ?

Enfin comment ne pas constater que ce nouveau texte, qui s’attarde sur les symboles, l’emblème, le drapeau, l’hymne, le calendrier officiel de l’État-nation du peuple juif, tous déjà connus depuis 1948, ne consacre pas une ligne à la définition ou au tracé des frontières de cet État. Comme si ce « détail » demeurait à régler, mais sans préciser avec quel interlocuteur.

La principale innovation de cette loi est peut-être, au fond qu’elle confirme le rapprochement entre le régime de Netanyahou et les régimes nationalistes identitaires d’Europe de l’Est, ces « démocraties illibérales » – Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie – réunies dans le « groupe de Visegrad ». Prompt à dénoncer comme antisémites les États, institutions, organisations, personnalités qui critiquent et condamnent la politique d’Israël à l’égard des Palestiniens, le premier ministre israélien fait preuve d’une indifférence troublante voir d’une tolérance coupable pour les écarts de démagogie antisémite auxquels se livrent les dirigeants de plusieurs de ces pays.

Quelques heures après l’adoption de la loi déclarant Israël État-nation du peuple juif, et réaffirmant le lien avec la diaspora et « les membres du peuple juif en difficulté en raison de leur judéité », Netanyahou recevait en grande pompe à Jérusalem le premier ministre hongrois Viktor Orbán. Peu lui importe, en apparence, qu’Orbán ne cache pas son admiration pour le régent Miklos Horthy, « homme d’État exceptionnel » à ses yeux, qui instaura entre 1920 et 1944 en Hongrie un régime ultraconservateur promoteur de lois antijuives. Ou que Viktor Orbán, qui tient le milliardaire philanthrope George Soros, – américain d’origine hongroise –, pour un défenseur caché de la cause des migrants, ait laissé se mettre en place et se développer en Hongrie une campagne d’affichage contre lui ouvertement antisémite.

Netanyahou qui reproche également à George Soros de financer en Israël les ONG engagées dans la défense des immigrants africains menacés d’expulsion n’a pas caché, au début de l’année, devant les membres du Likoud, l’antipathie qu’il éprouvait pour le mécène des sociétés civiles.

En d’autres termes, rien ne choque le premier ministre israélien dans les propos et l’idéologie véhiculée par Orbán et ses amis. Comme pour affirmer clairement sa proximité avec les idées « illibérales » des dirigeants du groupe de Visegrad, le premier ministre israélien leur a d’ailleurs proposé de tenir leur prochain sommet en Israël. Ce qui pourrait être une autre contribution à la révélation de la vraie nature de la « démocratie israélienne ».

En 2006, l’ancien président américain Jimmy Carter a publié un livre – « Palestine, peace not apartheid » – fondé sur ses visites répétées et ses nombreux entretiens avec les dirigeants de la région. Dans cet ouvrage, il analysait, plus de dix ans après les accords d’Oslo, les raisons de l’enlisement du processus de paix. À ses yeux, l’avenir des relations entre Israéliens et Palestiniens pouvait alors se résumer à une alternative simple : la paix ou l’apartheid. La politique suivie par Netanyahou depuis qu’il est arrivé au pouvoir, il y a près de dix ans, et l’adoption aujourd’hui de la loi sur « Israël, État-nation du peuple juif » confirme qu’il n’a pas choisi la paix…


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