Macron : À des années-lumière de l’émancipation humaine

mardi 12 juin 2018.
 

En évoquant ce fil conducteur de «  l’émancipation  » pour guider sa politique, le chef de l’État prend le risque d’être contesté sur ses finalités.

1) La liberté doit s’articuler à l’égalité par Clémentine Autain, députée France insoumise de Seine-Saint-Denis

Clementine Autain : Les tenants du libéralisme surfent sur une ambiguïté fondamentale qui se cristallise dans la proximité du terme avec celui de «  liberté  ». Par un tour de passe-passe, éminemment sonore, ils prétendent donc «  libérer les énergies  », comme l’entonne du matin au soir la Macronie, et ainsi contribuer à l’émancipation des individus et de la société. L’entourloupe est aussi ancienne que le libéralisme économique. En revendiquant, voire s’arrogeant le principe de liberté, il s’agit de promouvoir une économie de la concurrence, de la dérégulation, de l’accaparement des richesses par un capital toujours plus affamé et son sinistre corollaire consumériste. Nous connaissons le funeste résultat de ces politiques qui sont menées depuis des décennies partout en Europe et qu’Emmanuel Macron a choisi d’accélérer et d’amplifier. Plus le profit et la rente sont libérés de contraintes, de ponctions redistributives, plus la pauvreté et les inégalités explosent.

La politique économique libérale contrevient à l’intérêt concret des catégories populaires qui voient leur qualité de vie s’abaisser. Avec d’autres, comme Martha Nussbaum, le prix Nobel d’économie Amartya Sen a développé l’idée simple selon laquelle la liberté n’est qu’un mirage si l’on n’a pas de toit sur la tête, de quoi manger, se soigner, s’éduquer, se cultiver. Une société qui progresse est une société qui développe les «  capabilités  » des individus, autrement dit les possibilités pour chaque personne de devenir autonome, libre parce que pleinement sujet de sa vie. La liberté chevillée au corps de la Macronie est celle du capital et des puissants. Elle ne peut être autre chose.

Le propos du ministre Christophe Castaner sur ces sans-abri qui refuseraient une place en centres d’hébergement par «  liberté  » doit être pris au sérieux. Nous sommes au bout d’une logique qui considère que chacune, chacun possède a priori toutes les clés de son autonomie, et donc la faculté de choisir sa vie. Cette assertion est une négation des processus de domination, d’exploitation, d’aliénation. Viser l’émancipation suppose a contrario de battre en brèche les mécanismes qui fondent ces rapports sociaux, et non de les ignorer. Pour ne pas être réservée aux dominants, la liberté doit s’articuler à l’égalité.

Le libéralisme économique a, par ailleurs, pour corollaire le renforcement du contrôle social et l’affaiblissement de la démocratie. La fable selon laquelle la liberté du capital irait de pair avec la démocratie et les libertés relève d’un conte pour enfants du XXe siècle. La France de Macron enfourche le pas d’un binôme cohérent  : libéralisme économique et contrôle social accru. Oui, le recours aux ordonnances, la chasse aux migrants ou la brutalité vis-à-vis d’une jeunesse rebelle vont de pair avec une politique de dérégulation de l’économie. Dans le monde ultralibéral, la surveillance des libertés devient nécessaire pour affirmer le pouvoir de l’État qui s’en est dépossédé sur le terrain économique, pour limiter les espaces de contestation et mieux laminer les possibilités d’insoumission. Ajoutez une pincée de méritocratie, laissant accroire que notre société n’est pas favorable aux héritiers et aux rentiers mais à celles et ceux qui auraient tout simplement la volonté de réussir. Complétez d’une bonne dose de technocratie, augmentant la distance entre les inclus et les exclus. Le résultat est à la hauteur des crises sociales et démocratiques que nous traversons. Nous voici dans Moi, Daniel Blake de Ken Loach. À des années-lumière de l’émancipation humaine. Dernier ouvrage paru  : Notre liberté contre leur libéralisme. 1968-2018 (Éditions du Cerf, 2018).

2) Les principes de la souveraineté populaire par André Bellon, président de l’Association pour une Constituante

André Bellon À l’occasion du premier anniversaire de l’élection d’Emmanuel Macron (ah, ce goût pour les commémorations stupides  !), on entend se développer en boucle un refrain selon lequel le président respecte le programme pour lequel il a été élu. Il n’est pas inutile de rappeler que, si l’actuel titulaire de l’Élysée a bien été constitutionnellement élu, ce n’est pas son programme que les citoyens ont avalisé. Au premier tour, qui caractérise justement le soutien à un programme, Emmanuel Macron a obtenu à peine plus de 18 % des inscrits. Le deuxième tour exprimait surtout le refus du Front national, non un appui à un projet et, même dans ce contexte, l’heureux élu n’a pas atteint 44 % des inscrits. Prétendre qu’un tel résultat engageait un programme n’est qu’une triste plaisanterie.

Il revient à l’esprit, à l’occasion de ces déclarations, une thèse très à la mode dans les milieux philosophico-politiques depuis des décennies. Tocqueville aidant, on nous met en garde quant à une présumée «  dictature de la majorité  ». Certes, la nécessité de contre-pouvoirs ne fait aucun doute, et notre Constitution en manque cruellement, mais l’idée d’une «  dictature de la majorité  » est plus que douteuse. Imagine-t-on qu’une dictature de la minorité soit préférable  ? Et n’est-ce pas le danger qui nous guette  ? Car il n’est pas acceptable qu’un pouvoir aussi absolu que celui du président de la République procède d’une légitimité électorale aussi faible.

La question des institutions est depuis longtemps au cœur de la crise politique et sociale. Elle devient encore plus dramatique lorsqu’un pouvoir aussi faible veut imposer des mesures fort minoritaires, renforcer le pouvoir présidentiel, aussi bien sur le territoire national en écrasant les collectivités locales que dans une vision européenne bien éloignée de la volonté du peuple. Cette situation engendre des tentatives tout aussi minoritaires, certaines prônant la violence, d’autres contestant les principes mêmes de la souveraineté populaire, du citoyen et de son droit au vote, attaquant l’essence même du suffrage universel. Rien de malheureusement plus logique, ces tentatives condamnables trouvant naissance dans la forme de dictature engendrée par le système.

Une telle situation nous mène à des affrontements graves et des phénomènes de violence de plus en plus manifestes. La solution se trouve dans le retour aux principes fondamentaux de la démocratie, à partir des citoyens, dans les communes comme dans les quartiers. Ce travail permettra la redéfinition d’un contrat social, fondement nécessaire à l’équilibre national comme à la réaffirmation de saines relations internationales. Tel est le sens du processus menant à l’élection d’une Constituante en France qui, loin des solutions clés en main de tous les pouvoirs autoproclamés, est la seule solution pacifique, démocratique et rassembleuse aux défis du moment que nous traversons.

3) La tiédeur de l’eau par Marie-Jean Sauret, psychanalyste et auteur

Marie-Jean Sauret Pourquoi ces gesticulations contre le Venezuela ou encore Cuba, et cette complaisance envers l’Arabie saoudite et Israël  ? Les crimes que l’on dénoncerait là ne disqualifient-ils pas la morale prêchée ici  ? Le cours du pétrole tient-il lieu d’éthique  ? 18,24 % des inscrits à un premier tour et 43,6 % à un second (Macron) sont démocratiques, et 29 % des inscrits (Maduro) n’est pas légitime, et 23,86 % des exprimés valent mieux que 68 % des exprimés  ? L’ingérence étrangère et les «  sanctions  » internationales sont légitimes là quand la suspicion d’une ingérence de Moscou ici est un scandale  ? Le référendum est paré de toutes les vertus si le résultat conforte la logique néolibérale, et un danger pour la démocratie quand il va contre (Constitution européenne, Grèce, Air France, SNCF…)  ?

Les référendums d’entreprise ont dénoncé la casse alors que présidentielle et législatives ont privilégié les casseurs. Un clivage affecterait l’électeur qui vote non à la politique et oui au politicien  ? Certes, ce sujet partagé est une fiction  : beaucoup des salariés confirmeraient la cohérence de leurs votes. Pourtant, il faut bien suspecter quelques-uns de cette division pour rendre compte de la macronisation. Cette partition nous inquiète. Mais ne devrions-nous pas nous réjouir de cette part qui, chez chacun, objecte au néolibéralisme  ? Cette comptabilité subtile échappe aux prévisionnistes, mais elle donne la majorité aux candidats pour une autre société. Si nous savons la réveiller.

Jusqu’où ira Emmanuel Macron  ? Il donne l’impression d’une urgence à casser les services publics les uns après les autres, comme s’il se savait sur un siège éjectable. Pervers, il tient parfois un discours humaniste, juste assez pour leurrer son monde et obtenir le soutien de certains dont il fait les poches. Le moment venu, comme nombre de politiques, il disparaîtra sur un poste lucratif où il recevra ses dividendes pour service rendu. Jamais gouvernement n’aura été aussi cynique. Après avoir trahi ses amis de gauche, mimé le philosophe, Brutus devient Jupiter, révélant qu’il ne connaît d’autre fidélité que celle de l’argent, des actionnaires, des banques, des grandes entreprises, de la Bourse, etc. La France est le pays où les inégalités de classes (richesse, héritage, métiers…) seraient les plus stables. Bien sûr, ce sont des inégalités à combattre comme telles. Cette stabilité est due, outre la vigilance des salariés (certains syndicats et partis), à la redistribution permise justement par les services publics  : imposition, allocations, Sécurité sociale, retraites, santé, transport, éducation… Et voilà que l’on prétexte de la stabilité des inégalités pour justifier la privatisation ou la destruction des dispositifs qui les contiennent  !

L’objectif d’E. Macron est donc clair – servir à tout prix le néolibéralisme – et nous en connaissons les armes, de la traîtrise à l’autoritarisme en passant par le mensonge. Jusqu’où allons-nous supporter cela  ? Jusqu’à quand ferons-nous jouer cette division qui nous fait protester contre la casse et trouver courageux des réformes qu’aucun programme électoral n’a exposées  ? Entre la glace de l’extrême droite et le feu de la gauche, l’électeur a choisi l’eau tiède, de gré ou de force au second tour. Mais la tiédeur de l’eau n’a rien à voir avec la chaleur du feu  : tôt ou tard, elle l’éteindra et finira en glace. Nous n’avons donc pas l’éternité devant nous pour souffler sur les braises, tant qu’il y en a. Et il y en a en cette période de lutte. Pour ce faire, nous pouvons compter sur cette part qui, chez soi comme chez chacun, logiquement, proteste – même s’il l’ignore…


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