La privatisation du rail allemand est aujourd’hui en accusation

mercredi 11 avril 2018.
 

Pourrait-on imaginer la gare de Genève fermée à la circulation des trains jusqu’à fin août parce que la moitié des aiguilleurs du poste de contrôle sont malades ou bien partis en vacances ? C’est ce qui se passe actuellement à Mayence. Faute de main-d’œuvre aux postes d’aiguillage, la capitale de Rhénanie-Palatinat, une ville de 200 000 habitants, doit vivre avec une gare fermée en soirée aux trains grandes lignes. Les trains ICE doivent donc contourner Mayence pour se rendre à destination. La situation est si grave que le trafic régional a été réduit lui aussi en début de semaine. Tout devrait se normaliser à la fin du mois, a promis hier Deutsche Bahn (DB). ×

A la fin du mois ? La nouvelle a fait l’effet d’une bombe dans un pays si fier de sa technologie et de son organisation du travail. Les Allemands, qui entretiennent une relation quasi passionnelle avec leur compagnie ferroviaire, ont découvert à Mayence qu’elle était incapable de trouver une équipe de remplacement pour un poste d’aiguillage. Mayence n’est pas une exception, a expliqué le chef du réseau ferroviaire (BD Netz AG). « La situation pourrait avoir lieu n’importe où en Allemagne », a avoué Frank Sennhenn. Un « désastre »

Face à ce « désastre » qui occupe la une des journaux allemands depuis plus d’une semaine, le président de la DB, Rüdiger Grube, a dû interrompre ses vacances. Il a rencontré les syndicats hier pour leur confirmer que 600 aiguilleurs seraient embauchés pour les situations d’urgence.

Cet aveu d’échec a été l’occasion pour les syndicats de dénoncer les réductions de personnel. Pour les seuls employés du réseau (DB Netz), dont les aiguilleurs, le nombre de postes est passé de 52 000 à 35 000 en dix ans. Les autres catégories de personnels ont également dénoncé une pénurie de main-d’œuvre. « Il nous manque 800 conducteurs de train », a expliqué Claus Weselsky, le chef du syndicat des conducteurs de train.

Les experts estiment que cette situation est une conséquence directe de la privatisation de la DB et de sa tentative d’entrée en bourse. L’ancien patron, Hartmut Mehdorn, est accusé d’avoir mené un programme d’austérité dans le seul objectif d’ouvrir le capital aux investisseurs. Pour que l’action DB se vende à bon prix, il fallait rentabiliser au maximum. « La compagnie n’avait qu’un objectif en tête : économiser. Cette stratégie l’a menée dans le mur », explique Heiner Monheim, professeur à l’Université de Trèves.

En réduisant la masse salariale, DB a d’ailleurs renoué avec les bénéfices (2,7 milliards d’euros avant impôt en 2012). Mais les dividendes ne sont pas réinvestis dans le réseau ou les matériels, critiquent les experts.

Par ailleurs, la DB ne remplit plus son rôle de service public, ajoutent les écologistes. « La Deutsche Bahn est devenue un groupe logistique mondial actif dans 140 pays de la planète », constate Anton Hofreiter, président vert de la Commission parlementaire chargée des transports. « Pourquoi devons-nous au­jour­d’hui être le premier trans­porteur de vin en Australie ? C’est absurde », peste-t-il.

Le gouvernement Schröder avait engagé cette restructuration de la DB il y a dix ans. L’entrée en bourse avait échoué en 2008 en raison de la crise bancaire. Transformée en société privée dans les années 90, la DB est donc toujours aux mains de l’Etat. Une nouvelle tentative d’introduction en bourse n’est pas à l’ordre du jour.

Christophe Bourdoiseau


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