31 août 1937 Nationalisation du rail

vendredi 1er septembre 2023.
 

Le 31 août 1937, un décret-loi confie l’exploitation et la construction des réseaux à la Société nationale des chemins de fer français (SNCF).

La SNCF voit le jour au crépuscule du Front populaire. Nous sommes à l’été 1937. Le vent des conquêtes sociales a tourné. La pause est décrétée dans les réformes. Le socialiste Léon Blum a cédé sa place à la tête du Conseil, le 30 juin, au radical Camille Chautemps. Le cabinet, recentré à droite, obtient du Parlement les pleins pouvoirs jusqu’au 31 août pour prendre «  toutes mesures tendant à assurer  » en priorité «  le redressement économique  » et «  l’équilibre du budget  ». L’exécutif décide alors de régler le sort d’un système ferroviaire au bord de la faillite. La dépression économique et la concurrence du transport routier, dont l’essor est favorisé, ont accru les difficultés récurrentes du rail. Le déficit accumulé par les différents réseaux, gérés pour la plupart par des compagnies privées, menace d’atteindre les 30 milliards de francs. Or, ce passif pèse sur les comptes publics, auxquels il est imputé à travers un fonds commun.

Au terme d’une négociation éclair, le gouvernement impose une réorganisation visant à unifier et rationaliser l’activité ferroviaire sous la tutelle de l’État. Une convention, conclue sur le fil avec les patrons des compagnies le 31 août 1937, scellée par un décret-loi, confie «  l’exploitation et, s’il y a lieu, la construction  » des réseaux à la SNCF. La nouvelle entreprise, regroupant 500 000 agents, est soumise au droit commercial. Mais l’État détient 51 % du capital. Il exerce son contrôle par sa voix prépondérante au conseil d’administration et sa faculté de désigner les principaux membres du comité de direction. Les compagnies, en échange de leur apport, perçoivent un nombre d’actions d’une valeur de 695 millions de francs.

Quatre sièges du conseil d’administration – sur 33 – sont concédés aux représentants du personnel. La création de la SNCF prendra effet au 1er janvier 1938 avec expiration de la société au 31 décembre 1982, date d’un retour dans le giron de l’État. L’État patron lance un plan de fermeture de 10 000 kilomètres de lignes voyageurs en 1938

Que penser de cette restructuration qui fait dire à Camille Chautemps que «  nous avons évité le double écueil de laisser dominer l’intérêt public par les intérêts particuliers ou de soumettre les chemins de fer à un régime de bureaucratie étatique  »  ? Pour la fédération CGT des cheminots, en tout cas, le compte n’y est pas. Son dirigeant, Pierre Semard, juge que «  la nationalisation reste à faire  ». L’organisation maintient son exigence d’une appropriation démocratique reposant sur un pouvoir de décision également réparti entre représentants de l’État, des usagers et du personnel. Elle se prononce, en outre, pour une politique de coordination des transports rompant avec une logique de concurrence qui consiste, comme le prévoit un décret pris en marge de la création de la SNCF, à organiser «  des lignes automobiles destinées au remplacement des services ferroviaires  ».

En réalité, la nationalisation des chemins de fer couve depuis l’ouverture des premières lignes de train dans lesquelles ont investi des banquiers comme Rothschild ou Pereire. À la faveur de la révolution de 1848, le ministre républicain Duclerc défendra, en vain, un projet de rachat «  de toutes les actions de chemin de fer  », considérant qu’«  abandonner les transports à des compagnies privilégiées, c’est abandonner le pouvoir de régler la consommation et la production, de fixer la valeur et le prix de tous les objets  ».

Le 19 février 1911, dans l’Humanité, Jean Jaurès estime que «  les travailleurs de la voie ferrée ont vu juste lorsque l’autre jour ils ont demandé (…) que l’ensemble des réseaux fût nationalisé  » car «  il y a pour la classe ouvrière un intérêt vital à ce que des services publics démocratiquement gérés se substituent aux monopoles capitalistes  ».

La revendication est réaffirmée lors de la grève massive des cheminots en 1920, année même où un certain Léon Blum présente une proposition de loi visant à la «  nationalisation industrialisée  » du réseau. Pourtant, c’est finalement sans délibération parlementaire, en évinçant les syndicats de la table des négociations, que le cabinet Chautemps a élaboré une formule de société d’économie mixte semblable à celle déjà expérimentée en 1932 pour Air France. L’objectif est d’abord d’amener le système ferroviaire à l’équilibre financier «  intégral  ».

À la fin de 1938, l’État patron lance ainsi un plan de fermeture de 10 000 kilomètres de lignes voyageurs et soumet les personnels à une hausse du temps de travail. Comme le résume l’historien Georges Ribeill, la SNCF connaît dès lors les ambiguïtés de son statut hybride, «  condamnée à concilier service public et équilibre économique devant une concurrence croissante et sous la tutelle d’un État exigeant mais toujours avare de ses deniers  ». Et sa transformation en établissement public industriel et commercial, le 1er janvier 1983, n’aura pas suffi à infirmer, jusqu’à ce jour, le constat de Pierre Semard  : «  La nationalisation reste à faire.  »

Rémi Brouté, socio-économiste


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